Loren Chuse "Mujer y flamenco"

Signatura Ediciones Seville 2007

dimanche 30 décembre 2007 par Maguy Naïmi

Décidément les clichés ont la vie dure ! L’ouvrage de Loren Chuse, "Mujer y flamenco" ( il s’agit de la thèse de doctorat revue et corrigée de ce professeur , ethnomusicologue de l’Université de Los Angeles, publiée par Signatura Ediciones), nous présente une réflexion sur la place de la femme dans le Flamenco. Mais, alors que tout son ouvrage nous décrit avec beaucoup de talent la femme "chanteuse", que nous présente l’éditeur sur sa couverture ? : les jambes fort aguicheuses d’ une danseuse !! Si l’ on ajoute à cela les nombreuses fautes échappées à la correction qui émaillent certains chapitres, cela ne prédispose pas le lecteur avisé à considérer avec indulgence le travail de cet éditeur. Cette attitude s’ avère de plus contre productive, car le client abusé par la couverture pense avoir en main un livre sur la danse ; et ceux qui, comme moi, s’intéressent davantage au chant, risque de "passer à côté" de cette recherche digne d’intérêt.

Je ne saurais dire si ce livre a été traduit en français, mais beaucoup de nos lecteurs internautes auront à coeur de le lire en espagnol ou en anglais.
Cet ouvrage s’adresse aussi bien à ceux qui connaissent peu le sujet qu’à ceux qui connaissent fort bien le "cante" et en particulier le "cante" féminin.

Les premiers chapitres évoquent les chanteuses du XIXème et du XXème siècles, et font un rappel de la situation politique et sociale de l’Espagne d’alors. Loren Chuse nous présente des chanteuses telles que "La Andonda", dont elle cite des "letras" savoureuses :

"La Andonda le dijo al Fillo

Anda y vete, pollo ronco

a cantarle a los chiquillos"

ou encore "La Peñaranda" dont Enrique Morente et Carmen Linares ont rendu populaire la "letra" :

"Yo no tengo quien me quiera

ni quien se acuerde de mí

El que desgraciaito nace

no merece ni el vivir."

Certaines ont inspiré le grand poète Federico García Lorca, qui écrivit en l’honneur de " La Parrala" :

"Lámparas de cristal

y espejos verdes.

Sobre el tablao oscuro

La Parrala sostiene

una conversación con la muerte."

Le troisième chapitre présente des chanteuses d’aujourd’hui:Carmen Linares, Tina Pavón, Lole Montoya, Esperanza Fernández, Tomasa la Macanita, Elu de Jerez et Macarena de Jerez.

L’auteur sait s’effacer pour les laisser parler. La batterie de questions de Loren Chuse a pour but de les laisser s’expliquer, se dévoiler ; le ton est juste et naturel. Certaines questions ayant trait à leur carrière et à la difficulté pour elles de s’imposer, de concilier la vie familiale et professionnelle, appellent des réponses nuancées ; d’autres essayent de leur faire définir leur art . Est-il différent de celui des hommes ? Chante-t-on de la même manière selon que l’on est une femme ou un homme ?

Dans le chapitre suivant l’auteur s’intéresse à la tradition flamenca à Lebrija et Grenade. Outre qu’y sont évoquées de grandes figures comme celles de La Pepa de Benito et de Inés Bacán, Loren Chuse a la bonne idée de faire parler des chanteuses de Grenade, moins connues, mais néanmoins très intéressantes, comme Mercedes Hidalgo ou Magdalena Ramos. Celle ci évoque la nécessité de créer des écoles de "cante" comme il en existe déjà pour la danse, car "tout le monde n’a pas la chance d’être la fille d’Enrique Morente qui a eu un Maître à la maison". Elle raconte également que la première fois qu’elle a chanté dans une Peña accompagnée par un guitariste, elle s’est sentie perdue, habituée qu’elle était à chanter "a capella", lors de mariages ou de baptêmes ; et relate comment elle répétait avec son walk man sur les oreilles en faisant le ménage, passant ainsi pour une folle aux yeux de ses enfants, mais néanmoins "toujours encouragée par son mari".

Le cinquième chapitre demeure pour moi le plus émouvant, car Loren Chuse y évoque les femmes guitaristes et en particulier María Albarrán "la gitana pionera" qui avait peur de paraître moins féminine lorsqu’elle jouait de la guitare, et qui confie que Mario Escudero, Rafael Iraquera et Sabicas, amis de la famille, l’ont encouragée quand elle était toute petite (elle a commencé à quatre ans), mais ne lui ont jamais rien montré. Elle a appris d’oreille, en écoutant les enregistrements de Ramón Montoya, Niño Ricardo, Sabicas, Paco de Lucía. C’est elle qui exprime le plus la frustration et l’exclusion ressentie en tant que femme guitariste, racontant comment, lorsqu’elle arrivait à une fête, celle ci s’arrêtait comme par enchantement ; ou comment dans sa loge, un soir, à travers la cloison, elle a entendu les guitaristes d’à côté jouer "por Bulería" ; comment elle s’est mise à jouer une deuxième voix que ces jeunes gens ont appréciée ; mais surtout comment, lorsqu’elle a voulu se joindre à eux, ils s’en sont allés un à un, ayant découvert que le guitariste d’à côté était une femme.

Après les sixième et septième chapitres (respectivement : "Thèmes, archétypes et stéréotypes", et "La construction sociale de l’identité flamenca"), le dernier chapitre réunit tous les thèmes traités dans l’ ouvrage. L’auteur tente d’apporter une réponse aux questions qu’elle s’est posées, et la phrase qui nous semble le mieux résumer sa thèse est celle tirée du sous-chapitre "La musique et les relations de pouvoir dans le chant flamenco" :

"La mujer en el flamenco ha sabido convertir la imagen estereotipada, y las restricciones culturales que pesaban sobre ella, en un camino nuevo, creativo, complejo y, a veces contradictorio. Como Washabaugh lo ha afirmado, cada momento del flamenco está lleno de complejidad y de expresión compensatoria. Las mujeres han sido muy activas en el proceso de definir y conformar su participación en el flamenco actual. Continúan reelaborando y reinterpretando los espacios contradictorios que el flamenco ha creado - el contexto del bar para el hombre y el de la feria para las mujeres - y juegan con las identidades que se desprenden de esos dos contextos."

Signatura Ediciones

Maguy Naïmi


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