mercredi 29 janvier 2014 par Maguy Naïmi
Nous avons assisté à un événement dans le cadre du Festival Flamenco de Nîmes : la présentation d’un livre de dessins, "Flânerie à travers le Flamenco", réalisé par les collégiens de l’Institut Emmanuel d’Alzon, en co-production avec le Théâtre Bernadette Lafont. Projet coordonné par Corinne Savy et Eddie Pons, et imprimé par AGB Imprimerie.
Corinne Savy (photo Muriel Timsit) / Eddie Pons
Nous avons donné la parole à celle qui a été à l’origine de ce projet original : Corinne Savy, professeur de musique à l’Institut et ethnomusicologue. Elle nous a expliqué la genèse du projet :
Ce projet remonte à 2007, nous dit-elle, quand, avec Edith Bornancin, chargée des relations avec le jeune public pour le Théâtre Bernadette Lafont, nous avons décidé de créer des ateliers de danse sur le thème du flamenco. Nous avons commencé par quelques ateliers dans différentes classes de 6ème, 5ème et 4ème sans spécialité particulière, puis nous avons resserré le projet sur les classes bi-langues de l’Institut Emmanuel d’Alzon. Nous avons réalisé avec Céline (Chely la Torito) une première déclinaison sur le rapport danse / chant, puis sur le rapport danse / chant / percussions. Forte de ces expériences articulées dans une optique pédagogique en partenariat avec le Théâtre Bernadette Lafont, j’ai décidé d’amplifier le projet en intégrant un regard plus aigu sur la culture andalouse : le flamenco n’était plus seulement lié à la programmation du théâtre, mais envisagé dans son contexte andalou.
Nous avons fait appel à Eddie Pons, dessinateur humoriste spécialisé également dans le dessin tauromachique, qui avait fait partie de l’aventure du festival dès l’origine. C’était intéressant d’amener ce regard décalé. Les enfants ne connaissaient pas le flamenco, ils voyaient ça comme une culture de gens qui pleurent ou qui crient... et complètement étrangère à la culture française. Il fallait donc trouver des liens. Les enfants ont retrouvé Chely avec qui ils avaient travaillé l’année précédente. Lorsqu’elle a demandé à un élève s’il aimait le flamenco, la réponse a fusé : "Non !" Il s’en est suivi un effet boule de neige, et tous ont déclaré qu’ils ne l’aimaient pas. Nous avons relevé le défi : "Vous n’aimez pas le flamenco ? Et bien on va faire quand même !"
Avec Eddie, ils ont travaillé deux heures par semaine, d’abord sur les objets, cajón, guitare, castagnettes, éventails..., établissant un dialogue entre eux et le flamenco. Parallèlement, dans l’atelier de Chely, nous leur disions : "Puisque vous n’aimez pas le flamenco, nous allons en faire une chanson en Bulería" - "A mí no me gusta el cante / el cante a mí no me gusta", que l’on chantait en groupe. Ensuite, nous y avons associé la danse, puis la guitare…
Finalement, à mi-parcours, certains ont demandé : "Est-ce qu’on peut dire qu’on aime ça ?" Nous avons d’abord pensé à un chœur à l’antique avec ceux qui résistent et ceux qui aiment, puis le groupe de ceux qui aimaient a grossi. Le dessin était une façon de s’approprier un langage par l’humour, et plus nous avancions, plus nous nous retrouvions avec des dessins assez surréalistes. Dans un premier temps, Eddie leur donnait un dessin : il y avait le modèle du guitariste ou ceui du chanteur, et très vite ils travaillaient sur des personnages. Aujourd’hui le personnage, c’est le cajón ; aujourd’hui, c’est la paëlla… Dans le livre, il y a des petites gambas qui se baladent et qui chantent, qui dansent… Les castagnettes chantent. La gamba se promène dans une exposition de tableaux, et s’ensuit un dialogue entre la guitare, le cajón, les castagnettes et la gamba. Ce sont des appropriations par les élèves. Peu à peu, un langage s’est créé avec ce côté décalé, et ça a donné des choses étonnantes comme la guitare, le cajón et l’aïl qui crient "¡Ay !" Nous avons préparé l’exposition, et les élèves ont décidé qu’il était impossible de présenter une exposition sur le flamenco et dire : "On n’aime pas ça !" Nous allons dire : "On aime le flamenco, l’Andalousie et la culture flamenca !"
Toute l’équipe du Théâtre est venue, grâce à Edith Bornancin et à Patrick Bellito (conseiller artistique pour le Festival Flamenco de Nîmes), qui ont joué un rôle déterminant dans le lien que nous avons tissé entre le Théâtre Bernadette Lafont et l’Institut Emmanuel d’Alzon. Quand ils ont vu l’exposition, ils nous ont dit qu’il fallait envisager un rendu d’atelier. En 2013, l’idée de faire venir des andalous à Nîmes pour une résidence d’artistes de deux ou trois mois étant difficile à réaliser, nous avons décidé de d’organiser la rencontre sur une journée. Mari Peña et Antonio Moya ont animé un atelier de chant. Pour préparer les élèves à cette journée, Chely les avait fait travailler sur l’émotion - l’année précédente, le thème était l’humour. Nous avions décidé de leur faire prendre des postures flamencas qui reflèteraient des émotions : je me mets en colère, je me replie sur moi-même… La chorégraphie était construite sur des séries de mots à connotation émotionnelle. Il s’agissait de créer ces attitudes en dansant, pour ensuite les traduire en dessins. Nous avons montré aux enfants des photos de danseurs et de danseuses : le dessin de l’homme au bras levé, c’est Israel Galván ; la danseuse à l’éventail, la Yerbabuena...
Nous avons aussi travaillé sur le cuadro. Comment pouvait-on rendre un dialogue entre les guitaristes et les chanteurs ? Peu à peu, les élèves produisaient des dessins, mais l’idée n’était pas de travailler sur le dessin lui-même, plutôt sur le croquis. En 2013, nous avons organisé cette journée avec Mari Peña et Antonio Moya : un court récital (Tientos, Soleares et Siguiriyas) devant les trois classes bi-langues et des classes venues visiter l’exposition. Ensuite, nous sommes repartis travailler en atelier. Mari et Antonio parlaient du chant, Chely continuait à travailler sur la danse, et Eddie sur le croquis. L’idée de croquer Mari et Antonio était une démarche pédagogique qui sortait de notre cadre habituel. J’ai montré quelques dessins à François Noël(directeur du Théâtre Bernadette Lafont), et nous avons eu l’idée de l’abécédaire. Patrick Bellito lui aussi était partie prenante dans ce projet, tout comme l’Institut Emmanuel d’Alzon. En tant que référent culturel, j’avais la possibilité de réaliser ce projet, la direction l’appuyait totalement, les parents d’élèves le souhaitaient : il était temps de le réaliser. En 2014 les enfants seraient tous en 3ème, et pour leur faire un cadeau avant qu’ils ne quittent le collège, nous réaliserions ce livre… dans l’urgence !
Une équipe de professeurs d’espagnol est venue me rejoindre au fur et à mesure, en 2011, 2012 et 2013. Un atelier d’écriture de "letras" a été organisé pour les élèves de 4ème. Nous avons fait appel à Pepe Linares, qui a composé une Sévillane : atelier d’écriture et atelier d’interprétation, menés de front. Quatre-vingt élèves ont donc interprété une Sévillane : c’était leur cadeau aux élèves de 3ème qui avaient fait le livre. Cela a eu un tel succès que nous allons prolonger ces expériences. Un programme est déjà établi : toutes les classes de 3ème vont à un spectacle avec d’autres classes, et nous faisons un travail transdisciplinaire au travers de la danse. Nous avons resserré les liens entre les classes bi-langues et le Théâtre. Un de mes collègues d’espagnol, M. González, a en charge le jumelage avec des collègues espagnols, dont un à Cordoue. Il existe donc une cohérence entre le Festival, l’apprentissage linguistique et le lien avec l’Andalousie.
Propos recueillis par Maguy Naïmi
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