Andrés Peña

Production : Salle Ravel (Levallois) / Flamenco en France

mercredi 24 novembre 2010 par Manuela Papino

Un format qui s’ annonçait parfait.

20 novembre 2010

Salle Ravel de Levallois – Flamenco en France

Danse : Andrés Peña

Chant : David Palomar, David Lagos, Miguel Rosendo

Guitare : Francisco Javier Patino

Le lieu était très accueillant, la salle très bien sonorisée, et le cartel valait le déplacement. Flamenco en France présentait ce soir-là un spectacle de danse, et c’ est pourtant le chant qui donnait un caractère particulier à cette formation flamenca, bien pensée. Si c’ était la première fois qu’ Andrés Peña se produisait sur une scène parisienne, le public de ses élèves - à qui il enseigne, à Paris, avec patience et enthousiasme depuis plus de dix ans maintenant - était cependant manifestement au rendez-vous. Andrés Peña et ses musiciens ont fait salle comble.

Comme dans un film de Carlos Saura, les chanteurs sont entrés en scène en ombres chinoises sur fond rouge, sur la guitare de Francisco Javier Patino. Grâce à leurs timbres si différents, on distingua sans peine tout d’ abord la voix

de David Lagos, puis celle de David Palomar et enfin celle de Miguel Rosendo, débutant le spectacle por Tangos. La consigne globale semblait claire : « mucho temple ». Or si le chant dompta effectivement le compás, on se prit à espérer que la danse saurait profiter de ces trois voix magnifiques pour jouer à un va-et-vient avec le tempo, et donner une énergie finale qui aurait parfaitement terminé ces premiers Tangos. Mais, après un magnifique silencio d’ Andrés Peña, on restait toujours dans ce « temple » qui donnait une certaine impression de mollesse : la danse ne semblait pas vouloir lancer le rythme. David Palomar donna enfin le signal, amenant ce compás plus énergique qui s’ était fait tellement attendre, qu’ Andrés Peña conclut avec un brillant « remate » qui, malheureusement, fut aussi le signal de la fin.

Suivit un très beau cante « por Martinete » de Miguel Rosendo, dont la voix grave emplit tout l’ espace de la salle, et Peña arriva en force avec son « bastón », pour envoyer enfin cette énergie tant attendue. Il s’ illustra dans les escobillas, n’ hésitant pas à employer des effets qui ravirent le public par la rapidité de leur exécution, jouant parfois dangereusement avec une vitesse qu’ il poussa à la limite de ses possibilités. Les trois chanteurs furent brillants dans le Martinete et apportèrent un soutient efficace à Peña par leurs palmas, qui, il est vrai, n’ ont plus de secret pour ces trois grands professionnels de l’ accompagnement de la danse.

Les Alegrías suivirent le même schéma, la structure de tous les tableaux du spectacle étant d’ ailleurs identique : une longue introduction du chant et de la guitare, avant l’ entrée de la danse. Cette fois, c’ est bien évidemment le gaditano qui fut avantagé : David Palomar débuta par une Alegría toute en douceur, qui se prolongea sur le même ton lorsque débuta la danse. On commençait à déplorer l’ absence de palmas apportant une touche de « peps », lorsque les deux autres chanteurs entrèrent en scène, intensifiant justement la rythmique. Dès lors, Palomar s’ en donna à cœur joie, nous régalant de ses letras favorites sur les « fanfarones », qui chaque fois, et particulièrement dans un contexte français, deviennent immédiatement autant de traits délicieux de la gracia de Cádiz, du moins pour tout auditeur sachant en goûter l’ humour.

Andrés Peña choisit ensuite de poursuivre, dans une veine qui convient particulièrement bien à son style, les bailes dit « masculins », avec une

Farruca, introduite par une longue falseta de Francisco Javier Patino. Le marquage d’ Andrés Peña devint très inspiré, et se prolongea avec une réelle profondeur lorsque reprit le chant de Palomar. Andrés Peña rompt avec le style d’ Antonio Gadés (la référence pour ce palo), ne serait-ce que par son physique plus ramassé et dense, et amène ainsi une puissante implantation au sol qui met en valeur un baile en force, à l’ opposé des figures élancées et majestueuses de Gadés. Cela provoque un baile plus condensé qui met en valeur les gestuelles masculines de Peña, plus fournies et plus nombreuses que celles, plus sobres, d’ autres danseurs de référence comme Farruco. Le silencio prolongea l’ intensité déjà installée, et l’ escobilla joua parfaitement aux questions - réponses avec les palmas, laissant monter naturellement la vitesse du tempo jusqu’ au chant de David Lagos, qui s’ imposa pour conclure cette Farruca avec pureté, limpidité et raffinement.

Avec cette même voix « jerezana », cherchant ici plus de densité, David Lagos chanta seul une Soleá de Triana, unique moment du spectacle où la danse se fit un peu oublier : un temps de respiration bienvenu, bien qu’ un peu tardif. La Soleá fut sans doute le tableau le plus homogène et pertinent du spectacle. Andrés Peña et Francisco Javier Patino proposèrent un échange au cours duquel le marquage de la danse et de longues plages de silence donnèrent de l’ amplitude à leur dialogue, jusqu’ à ce que Palomar reprenne le chant que Peña « remata » parfaitement. La Soleá fut un moment de véritable osmose entre les cinq artistes, et c’ est justement là qu’ Andrés Peña nous offrit le meilleur de son style : une belle conclusion pour ce spectacle.

La moitié de la salle, debout, réclama un bis, que les artistes offrirent por Bulerías, en guise de présentation puisqu’ aucun ne se déroba : Patino fut réellement drôle, Palomar enthousiaste, Lagos se rappela de Jerez, et Rosendo ferma la marche avant qu’ Andrés Peña ne prenne congé de son public, manifestement conquis.

Andrés Peña a voulu tout danser. C’ était peut-être beaucoup, ne dit-on pas que « le mieux est l’ennemi du bien »… Il aurait pourtant pu profiter de ce cartel de chanteurs particulièrement intéressants, revêtant aujourd’hui une double casquette (« cante pa’lante » et « cante pa’tras »), pour aérer un peu son spectacle. Car si leur expérience à tous les trois, en tant que chanteur pour la danse, est remarquable - et précieuse dans un tel spectacle - leurs voix, si différentes, ont depuis quelque temps déjà fait largement leurs preuves dans des récitals en solo. Il n’ en reste pas moins que ce format était à la fois habile et professionnel, et nous a permis de passer un très bon moment.

Manuela Papino

Photos : Christian Bamale





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