La discographie de Carmen Linares - 2ème partie (1988 - 1997)

vendredi 2 février 2018 par Claude Worms

Nous tenons à remercier Carmen Linares, Miguel Espín García et Miguel Espín Pacheco pour leur disponibilité et leur patience. Sans leur aide précieuse, nous n’aurions pu mener à bien ces articles.

"[...] On peut dire que les guitariste m’influencent beaucoup ; j’aime chanter avec des guitaristes qui ont quelque chose à m’offrir, qui me stimulent". (Carmen Linares - Paris, 17 mai 2008)

CANTE CLÁSICO MA NON TROPPO

Avec quatre albums, dont un double, les années 1988-1997 sont la période la plus féconde de l’œuvre discographique de Carmen Linares. Après deux décennies de formation et un premier aboutissement en 1984, la cantaora revient en studio en musicienne accomplie, avec une rare maîtrise de tous les aspects de la vocalité flamenca. Elle continuera donc à servir le répertoire traditionnel, mais avec un style personnel et une créativité de plus en plus affirmés.

Le titre même du disque de 1988, "Cantaora", nous semble bien résumer à la fois cette nouvelle assurance et une liberté esthétique revendiquée. Sûre de son "métier", elle peut se prévaloir d’être "cantaora por derecho" ; mais cantaora, au féminin, implique également une sensibilité et un répertoire spécifiques, notamment pour les letras (cf. ci-dessous), qui nous semblent aller de soi aujourd’hui, mais qui restaient à imposer à l’époque à un milieu professionnel, et plus encore afionado, encore largement machiste - on peut donc y voir une déclaration de principe qui trouvera son plein accomplissement avec l’anthologie de 1997.

Le passage à cette nouvelle phase de cante "classique mais pas trop" est également marqué par un double changement. D’abord de labels, qui se succèdent au gré des projets : Flamencos Accidentales en 1988, puis Auvidis (dans la collection "Flamenco vivo" dirigée par Frédéric Deval), World Network et Mercury. Les différents aspects de la production et souvent le mixage sont confiés à son mari et à deux amis proches, grands professionnels par ailleurs, qui partagent ses idées et l’assisteront dorénavant tout au long du processus d’élaboration de ses projets : Miguel Espín García (direction musicale en 1988, assistant exécutif pour "Canciones populares antiguas" 1994, documentation et assesseur en 1997), Juan Verdú (direction artistique en 1988, assistant exécutif pour "Canciones populares antiguas") et José Manuel Gamboa (assistant de production pour "Cantaora" en 1988, production et mixage pour "La luna en el río" en 1991, direction artistique pour "Canciones populares antiguas" en 1994, production et mixage pour l’anthologie "La mujer en el cante" en 1997). Dans tous ces cas, il s’agit en fait d’un travail collectif entre Carmen Linares et ses trois partenaires - seul y échappe, naturellement, le live enregistré en Allemagne en 1994. Outre une chaleureuse complicité, propice à une plus grande prise de risque artistique et à une meilleure cohérence du résultat final, Carmen Linares y gagne vraisemblablement un surcroît d’indépendance et de meilleures conditions de travail quant au temps d’enregistrement disponible, à la prise de son et au mixage.

L’autre changement affecte le duo de ses accompagnateur : Paco Cortés en est cette fois le pivot (nous restons donc dans le "toque granaíno"), secondé soit par Pedro Sierra en 1988 et 1991, soit par son frère cadet Miguel Ángel Cortés ensuite. Ce dernier assure aussi les parties de seconde guitare pour la plupart des récitals de cette période, de plus en plus nombreux non seulement en Espagne, mais surtout à l’étranger - dans la plupart des pays européens, aux Etats-Unis, au Japon...etc. Cette reconnaissance internationale se manifeste également par une carrière parallèle sur les scènes lyriques.

La première expérience théâtrale de Carmen Linares remonte à 1977 : elle faisait partie de la distribution de "Las arrecogías del beaterio de Santa María Egipciaca", spectacle mis en scène par Adolfo Marsillach et représenté au Teatro de la Comedia de Madrid, sur une musique d’Enrique Morente et une chorégraphie de Mario Maya. Les épisodes suivants ne la changent guère de son métier de cantaora : elle est souvent engagée pour les scènes plus ou moins "flamencas" de zarzuelas, telles "La verbena de la Paloma" de Tomás Bretón ou "La Chupalona" de Federico Moreno Torroba - cette dernière a fait l’objet d’une captation live au Teatro de la Zarzuela en 1988, avec l’Orquesta Sínfonica de Madrid dirigé par Miguel Roa, publiée en DVD en 2003 (Círculo Digital, collection "Obras Maestras de la Lírica", n° 8). C’est le cas également pour l’"Historia de los tarantos", d’après Alfredo Mañas, mis en scène par Luis Balaguer, qu’elle interprète aux côtés de Rosa Durán, Rafael Romero, El Chaquetón et Perico el del Lunar (Teatro Reina Victoria de Madrid, 1979) ; ou encore pour l’adaptation par Mario Camus de "La forja de un rebelde" d’Arturo Barea - elle y incarne la Niña de los Peines lors d’une représentation dans un théâtre de Madrid pendant la Deuxième République (série télévisée produite par Beta Film et la TVE, tournage en 1988/89, première diffusion en 1990 - édition en DVD par la RTVE).

Mais à partir des années 1980-1990, Carmen Linares est confronté à un tout autre contexte musical, les œuvres lyriques de Manuel de Falla - dès 1986, elle participe à la résurrection de la version princeps de 1915 d’"El amor brujo" aux Reales Alcázares de Séville (VI Biennale). En 1990, elle chante la version révisée de 1925 à l’auditorium Manuel de Falla de Grenade avec l’English Chamber Orchestra dirigé par Edmon Colomer. En 1996, pour l’"Année Falla" commémorant le cinquantième anniversaire de la mort du compositeur, les représentations de "El amor brujo", dans l’une ou l’autre version, se multiplient : à l’auditorium de l’opéra de Sidney, sous la direction de Josep Pons (avec "La vida breve" au même programme), au Teatro Colón de Buenos Aires sous la direction de Frühbeck de Burgos, au Lincoln Center avec l’Orchestre Philharmonique de New-York dirigé par Charles Dutoit...etc.

Elle apprend ainsi une nouvelle discipline de travail, très éloignée de l’art du cante et de sa pratique de l’improvisation en ce qu’elle la contraint à se plier à des partitions totalement closes et à une lecture imposée par le chef d’orchestre - une expérience qu’elle mettra à profit pour des pièces de musique contemporaine, telle "In pace" pour cantaora ou contralto, percussions et sound carrier, de Mauricio Sotelo sur un texte de José Ángel Valente (création à Madrid le 1er octobre 1997 avec le percussionniste Christian Dierstein), ou les arrangements de Jean-Marc Padovani des "Canciones populares antiguas" de Federico García Lorca (cf. ci-dessous). Outre ses collaborations avec le Nederland Blazers Ensemble, l’Eos Quartet (guitare classique) et le trio Camerata Flamenco Project (cf. troisième partie), elle créera également deux œuvres du pianiste de jazz et compositeur Uri Caine au cours des années 2008 - 2011 : "Los desastres de la guerra" d’après les gravures de Goya (Teatro Isabel la Católica, Grenade, 21 juin 2008), et les "Lamentaciones nocturnas de Jeremias", version contemporaine des "Leçons de Ténèbres" baroques (création : Musikfest de Stuttgart en septembre 2010 ; première en Espagne : Alcázar de Segovia le 30 juillet 2011).


1) "CANTAORA" - Flamencos Accidentales, 1988

Si le programme de "Cantaora" est comparable à celui des LPs Hispavox pour le choix des palos, les cantes sont tous nouveaux et d’une qualité superlative - le disque recevra d’ailleurs le Premio del Ministerio de Cultura.

Les cantes "festeros" sont accompagnés en duo par Paco Cortés et Pedro Sierra (dans la version LP, les deux guitares sont strictement séparées sur les deux canaux stéréo), le premier se réservant en solo les cantes de mina, les soleares (sa falseta d’introduction est devenue un classique du genre) et les tientos, et le second les siguiriyas.

Pour la première fois, Carmen Linares nous offre une large gamme de tangos de Graná, conclus par un "cierre" modulant à la tonalité majeure homonyme, "por Triana" - introduction ad lib. et a cappella qui deviendra l’une de ses favorites por tango ("Yo no me pongo en el pelo / cinta de color de graná / hasta que no vea venir / a mi novio de La Habana"). Le même procédé (sur un cante de La Pirula et La Repompa de Málaga - "Por Dios no me llore, no...") lance une magnifique série de bulerías, dont elle parvient par son interprétation à unifier les styles pourtant très différents en une suite cohérente : "cortas" de Jerez, jaleo extremeño, cantes inspirés de la tradition de la Calle La Puente (quartier d’El Perchel, Málaga) et "cierre" de La Perla de Cádiz.

L’album ajoute de nouveaux chapitres de grande classe à plusieurs anthologies initiées par les disques Hispavox : siguiriyas structurées en un triptyque de tension croissante, qui deviendra son plan de prédilection pour ce palo (Manuel Molina / Tío José de Paula et La Piriñaca / cambio de María Borrico) ; soleares de Triana (La Andonda / El Machango / José Yllanda / Paquirri) ; minera d’El Pajarito (version par Niño de La Calzada et Niño Ricardo, 1945) et taranta de La Gabriela (version par La Niña de los Peines et Ramón Montoya, 1909).

Le soin apporté à la construction globale de chaque suite de cantes retient l’attention tout au long du disque, avec souvent des créations personnelles en introduction (cantiña et alegrías), ou pour encadrer l’ensemble (fandangos de Huelva). Ces derniers, même s’ils sont d’origine populaire, sont d’ailleurs tellement remaniés qu’on peut à bon droit les considérer comme des compositions de Carmen Linares - un travail d’orfèvre quant à la beauté des lignes mélodiques, comparable à celui d’Enrique Morente (par exemple ses fandangos des albums "Negra, si tú supieras", 1992, et "Morente - Lorca", 1998).

Enfin, Carmen Linares renouvelle totalement la dynamique traditionnelle des tientos, qu’elle dote d’une dramaturgie rythmique inédite. Leur "temple" d’anthologie annonce ce qui va suivre, un mouvement perpétuel tension - détente entre longues tenues de notes rectilignes et brèves retombées conclusives très sèches et syncopées par l’ornementation - le tout en amples périodes sur le souffle : haletant, dans tous les sens du terme. Notons au passage la veine émancipatrice, bien ancrée dans la vie quotidienne et sans considérations théoriques superflues, de la letra "Tú ya no mandas en mí..." (cf. ci-dessous), suite logique de celle d’un tango extremeño de 1984 ("Por una triste peineta / que me diste para mi pelo / me quieres tener sujeta / como el anillo al dedo"), qui seront suivies de quelques autres de même inspiration.

"Cantaora" - LP GASA FA-004, 1988 / CD Flamencos Accidentales 0630137922, 1988

Tientos

Tientos - chant : Carmen Linares / guitare : Paco Cortés

Letras : 1) Te despierta un viento frío / si a medianoche en tu cama / te despierta un viento frío / por Dios no te dé jindama (miedo) / que son los suspiros míos / que a medianoche te llaman.

2) Doblen, las campanas doblen / las de los siete metales / tengo yo tu querer metío / en la masa de la sangre.

3) Tú ya no mandas en mí / me peine como me peine / ya no me peino pa’ ti.

4) Amores tienes con otra / también los quieres conmigo / tu quieres partir amores /yo no los quiero partíos.

5) ¡Ay ! no puedo / no puedo callar, no puedo / mi corazón va a romperse / si no digo que te quiero.


2) "LA LUNA EN EL RÍO" - Auvidis, 1991

Après la période Hispavox, la période "Cantaora" : par leur homogénéité, les albums de 1988 et 1991 forment un ensemble comparable à celui des enregistrement de 1978 et 1984 - programmes très complémentaires et mêmes guitaristes (Paco Cortés en solo pour les malagueñas, siguiriyas et fandangos, Pedro Sierra en solo pour la taranta et la cartagenera). "La luna en el río" fut d’ailleurs primé comme son prédécesseur, cette fois par l’Académie du Disque Français. Javier Barón est également invité à ces deux occasions (taconeo pour les alegrías du premier et les romeras et l’une des bulerías du second).

On notera cependant quelques évolutions dans la couleur sonore. Si les percussions (Antonio Carmona) étaient réduites à la portion congrue sur "Cantaora", elles sont beaucoup plus présentes sur "La luna en el río" (Jesús Heredia, pour les deux bulerías, la soleá por bulería et les romeras). L’arrangement des peteneras, avec Juan et Bernardo Parrilla (flûte et violon respectivement) donne un avant-goût des "Canciones populares antiguas" L’idée d’un intermède instrumental entre les deux cantes sera reprise pour "El café de Chinitas" - Carmen Linares reste fidèle au modèle de Pastora Pavón pour le deuxième volet, mais substitue une belle composition personnelle dérivée d’un chant sépharade à la petenera de Rafael Romero. Enfin, la présence de deux bulerías au programme du même disque est aussi une première. La production de celle qui ouvre l’album ("El sol, la rosa y el niño"), avec la basse de Carles Benavent mixée très en avant, surtout pour les "cierres", et une compression très "rock", rappelle le traitement sonore pas toujours très heureux du "nuevo flamenco" et de certains enregistrements tardifs de Camarón - une exception dans la discographie de Carmen Linares.

Deux nouveaux chapitres aux anthologies en cours : d’une part, taranta de La Antequerana et cartagenera d’El Rojo el Alpargatero sur un beau texte d’Antonio García (cf. ci-dessous) ; d’autre part, trois siguiriyas (Manuel Molina, suivi de deux cantes de Tomás El Nitri).

Les romeras alternent la version d’El Chaqueta, un autre classique du genre popularisé par El Niño de Barbate - avec une modulation au mode flamenco sur la dominante de la tonalité de référence que l’on trouve également pour les mirabrás -, et une cantiña del Pinini. A cappella, l’introduction des bulerías intitulées "A mi Lucía" est une belle leçon de phrasé : d’entrée, on y perçoit nettement le compás et le tempo. La coda est une démonstration virtuose de contretemps et syncopes façon El Chaqueta, sur les répétitions du même texte méthodiquement déphasées par le placement de césures (effet cumulatif de l’alternance de plus en plus rapide entre brèves respirations et jeux d’enjambements et de rejets entre les vers, sur le souffle) - "Y me dicen a mí / que si yo te camelo (quiero) / y yo digo que sí"). On retrouve la même rigueur du placement des syllabes accentuées et des "¡Ayes !" conclusifs pour les deux tarantos, la cantaora respectant scrupuleusement la cellule métrique de quatre temps du baile là où la plupart des interprètes s’accordent quelques licences et se contentent d’un balancement binaire aléatoire - après l’introduction de Paco Cortés, on entend clairement un accompagnement à deux guitares, bien que Pedro Sierra ne soit pas crédité.

Après une première malagueña (Baldomero Pacheco), le cante "abandolao" n’est plus une rondeña mais la rare malagueña de La Peñaranda. La version a compás de Carmen Linares, qu’elle reprendra dans l’anthologie de 1997, diffère sensiblement de celle d’Enrique Morente, ad lib. (il l’avait exhumée en 1967 pour son premier album). Les soleares por bulería commencent par quelques classiques de Jerez, mais s’en écartent ensuite pour des cantes plus personnels, construits sur des marches harmoniques de type "extremeño", puis sur un "cambio" (modulation à la tonalité homonyme majeure du mode flamenco de référence) pour finir - notons, une fois de plus, une expressive inflexion mélodique sur le cinquième degré diminué pour le dernier tercio ("... por eso yo no quiero / ¡Ay, Ay ! publicar mis penas"). Les trois fandangos ad lib. (accompagnement "por medio") concluent dignement l’album, en particulier les versions de compositions d’El Carbonerillo et d’Enrique Morente (premier et dernier cantes) - autre letra "féministe" au quotidien pour le deuxième ("Porque ya estoy cansada de aguantarte / tus caprichos y tus rarezas...").

"La luna en el río" - CD Auvidis Ethnic B 6753, 1991

Taranta y cartagenera

Taranta (La Antequerana) y cartagenera (El Rojo el Alpargatero) - chant : Carmen Linares / guitare : Pedro Sierra

Letras : 1) Del Molinete, muchachas del Molinete / preparad bien los moñeros / que viene la Méndez Nuñez / con doscientos marineros / ¡Muchachas del Molinete !

2) Será que no sé contar / será que me sobran penas / que siempre que ajusto penas / me salen penas de más / ¡sera que me sobran penas !


3) "CANCIONES POPULARES ANTIGUAS" - Auvidis, 1994

Par bien des aspects, les "Canciones populares antiguas" (neuf des treize chansons harmonisées par Federico García Lorca et le "Paño moruno" de Manuel de Falla) anticipent la dernière période de la discographie de Carmen Linares, postérieure à l’anthologie de 1997. Par leur instrumentation d’une part : les deux guitares de Paco et Miguel Ángel Cortés certes, mais aussi la flûte de Juan Parilla, le violon de Bernardo Parrilla, la contrebasse de Javier Colina, les percussions de José Antonio Galicia, et, épisodiquement, la bandurria de Rafael Andújar, le piano de Mariano Marín ("Sevillanas del siglo XVIII" et "Romance de Don Boiso") et les chœurs assurés par Dolores Carbonell, Marina Heredia et Rocío Heredia ("Anda jaleo"). D’autre part parce que Carmen Linares doit modeler ses versions sur des arrangements préalables crédités au seul Juan Parrilla, même si elle a sans doute participé au processus de réalisation et apporté quelques modifications (elle co-signe avec lui la direction musicale).

Il s’agit sans doute de la lecture la plus délibérément "flamenca" de ce répertoire très fréquenté, non seulement par les couleurs vocales de l’interprétation, mais aussi parce que la plupart des chansons sont adaptées à divers compases - certains rituels (bulería pour "Anda jaleo" ; petenera pour "El café de Chinitas"), d’autres plus inattendus (guajira pour le "Romance pascual de los pelegrinitos" ; tango por le "Zorongo gitano" ; rythme de tanguillo, dans la version ternaire inaugurée par Camarón - "La leyenda del tiempo", 1979 - pour "La tarara").

Surtout, Carmen Linares travaille de l’intérieur le placement de textes imposés sur des mélodies qu’elle ne peut pas non plus modifier à son gré - une expérience qui s’avérera précieuse lorsqu’elle mettra en musique des textes poétiques sur des partitions qui lui seront soumises par des compositeurs-guitaristes, à partir de 2002. Certains de ces phrasés deviendront des références pour les versions flamencas ultérieures, notamment les décalages rythmiques sur le refrain d’"Anda jaleo", "...Ya se acabó el alboroto / y vamos al tiroteo" - cf, le récent enregistrement de Rocío Márquez, pour le "Suite n°2" de ""Firmamento" (2017).

Soulignons enfin la diversité et la rigueur des arrangements, souvent construits en deux ou trois parties contrastantes. Nous nous contenterons ici de trois exemples : lent rythme ternaire processionnel, d’abord répété de manière hypnotique par le duo percussions / contrebasse, ensuite adouci par des contrechants lyriques du violon puis de la flûte, et finalement métamorphosé en guajira festive par tout le groupe instrumental ("Los pelegrinitos") ; longue introduction ad lib. du violon solo, énoncé vocal du thème à la manière d’un "cante libre" avec réponses des guitares et enfin vigoureuse bulería de l’ensemble ("El paño moruno") ; entre le prélude et le postlude en solo de Perico el del Lunar Hijo (des falsetas "añejas" de son père), le "Café de Chinitas", por petenera, comporte une première partie "concertante" (accompagnement du chant à l’ancienne par Perico / intermèdes instrumentaux non traditionnels du groupe) et une seconde partie au cours de laquelle l’accompagnement est traité de manière plus contemporaine par Paco et Miguel Ángel Cortés et enrichi progressivement de contrechants des autres musiciens.

En 1997, Carmen Linares chantera avec son "groupe" ce même répertoire lors des représentations du spectacle "Un rato, un minuto, un siglo", mis en scène par José Sámano et avec l’actrice Lola Herrera, sur des textes de Federico García Lorca (première au Teatro Real de Madrid). En France, c’est sans doute après avoir écouté l’album que Jean-Marc Padovani écrira des arrangements de ces chansons pour son "Minautaure Jazz Orchestra", avec lequel Carmen Linares les chantera lors du 14ème festival "Banlieues bleues" (1997)

"Canciones populares antiguas" - CD Auvidis Ethnic B 6201, 1994

Romance pascual de los pelegrinitos

"Romance pascual de los pelegrinitos" - chant : Carmen Linares / guitare : Paco et Miguel Ángel Cortés / violon : Bernardo Parrilla / flûte : Juan Parrilla / contrebasse : Javier Colina / percussions : José Antonio Galicia


4) "DESDE EL ALMA" - World Network, 1994

Enregistré au WDR Funkhaus de Cologne en 1992, le premier enregistrement live de Carmen Linares est un fidèle témoignage des concerts qu’elle donnait dans les années 1990. Comme nous, nombre de nos lectrices et lecteurs auront sans doute gardé en mémoire le récital du 13 octobre 1995 auquel ils auront eu le privilège d’assister à la Cité de la Musique, dans le cadre de la programmation du festival "Flamenco à la Cité" qui en resta malheureusement à cette première et unique édition - Fosforito avec Manuel Silveria, Enrique Morente avec Tomatito et Antonio Robledo, récitals de Moraíto et Pepe Habichuela, spectacles de La Tani et Antonio Canales et d’Angelita Vargas...

Il nous suffira d’écrire que "Desde el alma" est incontestablement l’un des rares grands albums live de la discographie flamenca, non seulement pour le chant, mais aussi pour la leçon d’accompagnement que nous donnent Paco et Miguel Ángel Cortés. Aux qualités de style que nous avons déjà évoquées, la musicienne ajoute ici, pour la première fois d’une manière aussi affirmée, un nouvel outil vocal : la maîtrise d’un vibrato qu’elle peut nuancer à son gré, en amplitude comme en fréquence, à des fins rythmiques et / ou expressives

Soulignons une fois de plus l’étendue du répertoire de la cantaora : à quelques rares exceptions (la rondeña et quelques extraits des bulerías et des fandangos de Huelva), elle n’y répète aucun cante déjà enregistré : fandangos de Huelva aussi beaux et personnels que ceux de "Cantaora", avec une émouvante introduction a cappella (un cante de José Rebollo) / malagueñas (El Gayarrito ou Antonio Chacón et El Canario) et rondeña / tangos extremeños (avec un hommage à Porrina de Badajoz : "Agujítas y alfileres, cómo lo cantaba El Porras ¡ay ! que más nadie puede") / siguiriyas de Manuel Molina - Manuel Torre, Joaquín LaCherna - Antonio Mairena et cante "de cierre" de Paco La Luz (pour ces deux dernières, l’une des rares incursions de Carmen Linares dans le répertoire d’Antonio Mairena) / romeras et cantiñas del Pinini, avec introduction a cappella et estribillo personnels ("Cuidaíto con ella...") / martinetes / tientos (introduction sur les vers de Manuel Machado utilisés pour les tangos de 1984) / cartagenera de Chacón et taranta de La Gabriela (mais letras différentes de la version de 1988, dont la thématique rappelle celle des bambera et fandangos de 1984 : "¡Ay ! Dios mío, a dondé vamos, tantos inventos pa’ na’, y quien más tiene más quiere, y pa’ subirse en los demás ¡el que caíga que cayere !") / bulerías de caractéristiques identiques à celles de 1991.

"Desde el alma. Cante flamenco en vivo - CD World Network, 56 983 1994

Siguiriyas

Siguiriyas (Manuel Molina - Joaquín Lacherna / Antonio Mairena - cante de cierre de Paco Le Luz) - chant : Carmen Linares / guitare : Paco Cortés

Letras : 1) Te fuiste de mi vera / sin apelación / ahora tu vienes hincaíto de rodillas / pidiendome perdón.

2) Si algún día yo a ti te llamara / y tú no viniera / la muerte amarga - compañerito mío - yo la apetecería.

3) ¡Dolores ! dolorosa mía / en un laíto de mi alma / te llevo metía.


5) "CARMEN LINARES EN ANTOLOGÍA. LA MUJER EN EL CANTE - Mercury, 1997

Ce double album devrait faire partie de la discothèque de base, non seulement de tout aficionado, mais plus généralement de tout mélomane. Le projet, un vaste panorama des compositions (27 séries de cantes...) créées ou substantiellement remaniées par des cantaoras depuis la fin du XIX siècle, était à l’époque une première audacieuse qui a permis d’exhumer de nombreux cantes oubliés, parfois jamais encore enregistrés, qui sont depuis devenus partie intégrante du répertoire des jeunes artistes contemporains - un seul exemple suffira : la cantiña de La Juanaca dans la version d’Antonio Mairena, dont on ne compte plus depuis les reprises discographiques.

Projetée dès la fin des années 1980, l’anthologie de 1997 est historique non seulement par son contenu, mais aussi par sa postérité. Flamencoweb a souvent eu l’occasion de souligner la richesse et la diversité des deux dernières générations de cantaoras, à notre avis supérieures à celles de leurs collègues masculins quant à l’originalité et la créativité (cf. nos rubriques "Nouveautés CD" et "Concerts et spectacles"). De ce point de vue, toutes les jeunes artistes actuelles sont redevables à toute la carrière de Carmen Linares, et singulièrement à cette anthologie - et à Mayte Martín.

S’il s’agit à l’évidence d’un chef d’œuvre, c’est d’abord parce que Carmen Linares, en musicienne accomplie et interprète d’exception, a réussi à éviter le piège de la reconstitution muséographique poussiéreuse, en gardant en permanence un juste et difficile équilibre entre respect des modèles originaux (elle a d’ailleurs connu personnellement certaines des cantaoras auxquelles elle rend hommage, telles Tía Marina Habichuela ou La Perla de Cádiz) et lectures personnelles et contemporaines - de quoi convaincre tous les jeunes artistes que le classicisme, en flamenco comme ailleurs, n’a pas d’âge et que la tradition peut donc être à la pointe de l’avant-garde, pour peu qu’on sache en extraire l’esprit et non la lettre. Mais c’est aussi par l’excellence de la production, du mixage et de la prise de son (José Manuel Gamboa et Juan Miguel Cobos) et par celle des guitaristes invités à participer à l’aventure.

De ce point de vue, nous considérons aussi "La mujer en el cante" comme une superbe anthologie de la guitare flamenca en cette fin du XX siècle, du toque le plus traditionnel (Perico el del Lunar Hijo) au plus moderniste (Rafael Riqueni, José Antonio Rodríguez ou Vicente Amigo)), en passant par les maîtres de l’accompagnement que sont, dans des styles pourtant très différents, Juan et Pepe Habichuela, Paco et Miguel Ángel Cortés, Paco Cepero, Enrique de Melchor, Manolo Franco, Moraíto, et Tomatito - tous grands pourvoyeurs de falsetas inoubliables en parfaite harmonie avec l’ethos et la musicalité de chaque chant.

On nous permettra ici un souvenir personnel. Le Grand Rex de Paris avait naguère présenté une "noche flamenca", une sorte de "Magna antología del cante flamenco" en concert - l’une de ces utopies musicales qu’on n’oserait même plus imaginer aujourd’hui. Le principe était de présenter des panoramas de cantes regroupés par palo : imaginez une dizaine de cantaore(a)s en arc de cercle, chacun avec son accompagnateur, interprétant l’un après l’autre une série de soleares, puis de siguiriyas, de malagueñas...etc. On concevra aisément que la lassitude et la fatigue aidant, la plupart des artistes commencèrent à converser à voix basse, voire à somnoler en attendant leur tour... tous, sauf Carmen Linares, qui écouta attentivement tous ses collègues, guitaristes compris, la nuit durant. C’est donc en connaissance de cause qu’elle a choisi, avec Miguel Espín García, le luxueux casting des guitaristes de l’anthologie qui, loin d’être un artifice promotionnel, obéit à une stricte logique musicale, et parfois historique. Quelques exemples ? Juan Habichuela pour les tangos de sa tante Tía Marina Habichuela et sa granaína, à laquelle Carmen Linares ajoute une création personnelle ; Paco Cepero pour les bulerías de La Perla de Cádiz, qu’il a longtemps accompagnée ; Perico el del Lunar Hijo qui avait appris de son père l’accompagnement canonique du cante "abandolao" de La Jabera (en mode flamenco sur Si, por granaína) et de la milonga de Pepa Oro (rappelons que Carmen Linares avait chanté avec lui pour le spectacle "La historia de los tarantos", d’Alfredo Mañas) ; Moraíto jouant "por Javier Molina" pour la siguiriya de La Niña de los Peines, et accompagnant les bulerías d’Antonia Pozo avec le "soniquete jerezano" qui leur sied ; Enrique de Melchor, qui avait accompagné Carmen pour un épisode de la série télévisée "La buena música de los flamencos" (TVE) et lors de nombreux festivals, pour les soleares de sa terre natale, Marchena ; Pepe Habichuela, son guitariste attitré dix ans durant, de 1978 à 1988, pour les soleares de La Serneta et les cantiñas de La Niña de los Peines et La Juanaca. Quant aux guitaristes les plus "modernes", ils sont choisis pour leur capacité à accompagner dans des modes flamencos non traditionnels, ce qui leur permet d’utiliser tout le manche plutôt que de jouer avec un capodastre à la sixième ou septième case (Rafael Riqueni et José Antonio Rodríguez notamment). Vicente Amigo se livre à une démonstration d’élégance mélodique dans les falsetas et les contrechants des cantiñas qui ouvrent le premier CD ("Toma ese puñal dorao" sera le premier single extrait de l’album), et Tomatito nous donne une leçon de "flamenquería" dans les trois palos qui lui sont dévolus, qui sont effectivement ceux dans lesquels il excelle (tangos, bulerías por soleá et bulerías) - la cantaora l’invitera, avec Moraíto et Enrique de Melchor, pour les concerts de présentation de l’anthologie à Madrid (Teatro Monumental) et à Séville (Teatro Lope de Vega).

Ajoutons que la plupart des cantes ont été enregistrés en une seule prise, sans montage : du live en studio. Carmen Linares "poniendo el alma, poniendo la cabeza y sonándole la voz" (José Manuel Gamboa) : bambera de La Niña de los Peines ; bulerías d’ Antonia Pozo, La Perla de Cádiz, La Repompa, Juana Cruz Castro et La Niña de los Peines ; bulerías por soleá de María La Moreno ; cantiñas de La Mejorana, Rosa "La Papera", Rosario "La del Colorao", La Juanaca et La Niña de los Peines ; fandangos de Alosno (La Conejilla, María Limón et Juana María) ; fandangos de Lucena (Dolores "La de la Huerta") ; granaína de Tía Marina Habichuela ; malagueñas de La Trini, La Peñaranda (rythme "abandolao") et La Jabera (rythme "abandolao") ; milonga de Pepa Oro ; peteneras de La Niña de los Peines ; saeta de La Niña de la Alfafa ; siguiriyas de La Niña de los Peines et María Borrico ; soleares de La Serneta, La Jilica de Marchena et La Roezna de Alcalá ; tangos de La Repompa, La Niña de los Peines et Tía Marina Habichuela ; tarantas de La Niña de Linares et La Antequerana ; tientos de La Niña de los Peines. Excusez du peu !

"Carmen Linares en antología. La mujer en el cante" - 2 CDs Mercury 532 397 - 2, 1997

Réédition 2 CDs + DVD (concert de présentation de l’anthologie, enregistré le 29 avril 1997 au Teatro Monumental de Madrid, avec Enrique de Melchor, Moraíto, Tomatito et Manuel Soler + documentaire sur le "making of" du double album) : Universal Music Spain 0602517334717, 2007

Fandangos de Alosno
Bulerías
Tangos de Graná

Fandangos de Alosno (La Conejilla / María Limón / Juana María) - chant : Carmen Linares / guitare : Rafael Riqueni

Letras : 1) Para qué vienes ahora / a redoblar mis tormentos / dirá la gente que estoy / falta de conocimiento / si mi palabra te doy.

2) Hay una niña en Alosno / que se parece a una estrella / no la hay más guapa que ella / solamente se parece / a la Virgen de la Bella.

3) Ni mujer como María / no hay un hombre como Dios / ni amor como el de una madre / ni luz como la del día / y sombra la de un padre.

4) Que cuidao se me da a mí / cuando pasas y no me hablas / si yo no como ni bebo / con buenos días de nadie / ¡con los tuyos menos !

Bulerías (La Pirula / La Repompa) - chant : Carmen Linares / guitare : Vicente Amigo / danse et cajón : Manuel Soler / palmas : Javier Barón et Manuel Soler

Letras : 1) En los tiempos del Rey Faraón / ese padrecito de la raza mía / celebraron su coronación / cuatro gitanos que tanto querían / mientras que los bautizaban / hasta las palmas tocaban / por bulería / y los gitanos / ¡Viva Faraón ! / ¡Sí Señor ! / que te lo digo yo / este padrecito tan bueno y tan santo / este padrecito de todos los calós.

2) Padre cura mi marido / me quiere pisar el pie / sarandilla y olé / dejale que te lo pise / si te da bien de comer / sarandilla y olé.

3) Busca un rico que te dé / y cuando el rico no tenga / ven aquí y yo te daré.

Juguetillos : Cuatro quinaores / por una caña / endican que endican / no endicaban na’ / Saca la yegua / sacala, sacala / que la voy a domar.

4) Que le echaremos al molino / madre pa’ que se entretenga / fanega y media de trigo / se quedara sin molienda.

5) La molinera tiene una llave / con la que cierra / con la que abre / y a eso de la media noche / mamita mía me voy con ella.

6) Si pasas por el molino / tú le dices a la molinera / que la espero en el camino / que yo quiero hablar con ella.

Juguetillo : Dale de betún / a la bota / dale de betún / al tacón / y eres más bonita / que un tirabuzón.

7) Que con la mancha que tengo en la frente / murmura la gente que yo soy pecadora / mientras yo me metía en mi pecho / mientras que en mi pecho / la traición me llora / tú no digas que soy ingrata / y así mi traición le hiere / me dijo el que a hierro mata / ya sabes que a hierro muere.

Juguetillo : Y al pasar la barca / me dijo el barquero / las niñas bonitas / no pagan dinero.

Tangos granaínos (Tía Marina Habichuela - Tere Maya - Carmelilla del Monte) - chant : Carmen Linares / guitare : Juan Habichuela et Juan Carmoma / cajón : Antonio Carmona / chœurs et palmas : Antonio et Juan Carmona

Letras : 1) El morito es una flor / que al palacio quiso entrar / por ver a la reina mora / la belleza que tendrá. / Los moritos por delante / los moritos por detrás / que al palacio de la reina / el morito quiso entrar.

2) Yo tenía una bandera / con un letrero que dice / ¡Vivan las habichuelas !

3) Yo no me pongo en el pelo / cintas de color de grana / hasta que no vea venir / a mi novio de La Habana.

4) Cómo vives enfrente / de la botica / los colores que tu tienes / no se te quitan.

5) Quiero vivir en Graná / porque me gusta de oir / las campanas de la vela / cuando me voy a dormir.

6) Dios te salve gitana María / candela encendía / de mayo a abril / Dios te salve divino lucero / rosal tempranero / de mayo y abril.

7) Debajo del puente / yo la vi lavar / me dio mucha pena / de verla llorar.

8) Que yo no camelo eso / que yo camelo otra cosa / que yo camelo un vestido / de color de rosa.

Claude Worms

Révision : Miguel Espín García


Fandangos de Alosno
Bulerías
Tangos de Graná
Taranta y cartagenera
Siguiriyas
Romance pascual de los pelegrinitos
Tientos




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