"Ande vamos" 1

"Sur un air d’ accordéon"

samedi 8 décembre 2007 par Miguel Alcala

"Ande vamos" : "Où on va", formule rituelle de ceux qui cherchent sans le chercher l’ endroit où le chien noir du flamenco va se gratter les puces.

Miguel Alcala

Après des mois passés à bouillir le jour et à cuire dans son jus la nuit, Morón de la Frontera s’était réveillé sous la pluie. La chaux cruellement blanche avait pris des teintes douces et grisâtres. Le crépitement des gouttes créait un fond de silence. Une expression de soulagement se lisait sur les visages. Les pavés luisaient gentiment et les trottoirs trop lisses étaient dangereux comme du verglas.

Nous nous étions réfugiés au premier étage d’une vieille baraque, entre quatre murs nus éclairés au néon. Je ne sais plus pourquoi un gitan de passage, un clochard et un accordéoniste s’étaient joints à nous. Agustín maudissait les américains d’avoir pourri le temps et prenait toute la place, comme d’habitude, avec sa guitare et son étui béant sur un fouillis de vieilles cordes. Quant à moi, je pestais intérieurement contre l’accordéon en souhaitant que son propriétaire ne soit pas un transfuge des « Imparables de Torreblanca »(1) : un quartet de cinquantenaires qui faisait fuir la clientèle des petits bars de Séville en massacrant du musette, jusqu’au moment où l’on payait, à bout de forces, pour qu’il veuille bien partir.

Inévitablement, l’homme attaqua un paso-doble sans défense. L’ instrument édenté en couina de misère et l’air inspiré de l’exécuteur nous rendit fatalistes. Cela aurait duré jusqu’à l’aube si Agustín n’y avait mis son grain de sel. Toute note de musique lui faisait briller le regard, toute sonorité lui crispait les lèvres. Il aspirait fortement par le nez et se mettait en transes sans bien s’en rendre compte.

Il s’accorda, l’oreille collée à la guitare, et lança une pluie d’arpèges, des pointes éparses, des traits sonores, des syncopes étouffées d’un brusque revers de main, des rafales de coups de pouce. N’importe quel guitariste aurait suivi les flonflons, sauf lui. La ritournelle ne faisait que passer entre ses oreilles. Seul l’organe de l’instrument l’intéressait. Il le traitait, à sa manière, comme une voix humaine.

C’était un jeu, à la fois magique, absurde, plein de sous-entendus, et surtout très flamenco. Le gitan inconnu tenait le clochard par le cou, comme un enfant. Ce dernier n’avait même pas dénoué son écharpe. Il mangeait et buvait ce qu’on lui donnait et ses yeux étaient pleins de larmes.

(1)-Les « Impossibles-à-arrêter » de Torreblanca)

Miguel Alcala





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