Salvador Gutiérrez (1) : "Salvicas" (siguiriya y cabal)

Photo : Ana Palma / Festival de Jerez

La siguiriya en mode flamenco sur Ré est une innovation de Sabicas (d’où le titre "Salvicas"), qui l’a enregistrée pour la première fois en 1967 — LP "Flamenco Fever" , ABC S 587. Depuis, seul Miguel Ángel Cortés avait repris cette idée en 1998, avec sa siguiriya titrée "Patriarca" (album de même titre, Flamenco por derecho / Antequera Records CD-015-F) — cf., notre transcription : "Patriarca". Il est ensuite revenu sur cette première version dans ses deux albums suivants, en en livrant à chaque fois une version sensiblement différente : d’abord "Media vida", (album "Bordón de trapo", Karonte 7714, 2006), puis "Ésta herida mía" (album "El calvario de un genio", Teldisc, 2013).

Extraite de son unique enregistrement soliste à ce jour, "11 bordones", cette magnifique composition de Salvador Gutiérrez enrichit donc opportunément par la densité et la rigueur de son écriture — des constantes du style de ce guitariste, qu’il s’agisse de ses œuvres solistes ou de ses accompagnements — un répertoire encore très restreint.

La siguiriya alterne des références au toque traditionnel, telles les transpositions sur l’accord de Eb des falsetas sur pédale d’harmonie de Bb (page 2, deuxième système à page 3 ; puis page 5, trois derniers systèmes) et des idées d’une grande originalité, surtout pour l’harmonisation, jusque dans les variations sur la llamada (page 1, premier système ; page 2, premier système ; page 4, premier et deuxième systèmes, etc.).

La cabal est à notre connaissance une première dans la tonalité de Ré majeur. Salvador Gutiérrez y rappelle brièvement la siguiriya "classique" par une modulation au mode flamenco sur La (page 10, dernier système à page 11, premier système), donc sur la dominante de la tonalité de Ré majeur. L’épisode le plus développé de la cabal est une falseta en arpèges (page 11, dernier système à page 13 , deuxième système), dont le lyrisme et la fluidité, en contraste avec la tension de la siguiriya de la première partie, reposent sur la sensation d’une suspension du compás (noire + noire + noire pointée + noire pointée + noire — croche = croche). Le procédé, déjà utilisé sporadiquement par Niño Ricardo et Sabicas, consiste à remplacer la mesure à 3/4 constituée par l’espace des temps 5 à 2 (une noire + deux noires) par une mesure à 6/8, en continuité avec celle des temps 3 et 4 — nous l’indiquons au-dessus de la partition. Il est déjà utilisé pour la brève citation de Sabicas (trait descendant de trois notes repris à l’octave inférieur — page 5, dernier système) et pour deux accords phrasés en noires pointées (page 6, premier système).

NB : la longue tenue de l’octave de Ré sur le temps 4 du compás (page 2, premier système) peut être interprétée de deux manières, parce qu’elle n’est pas métronomiquement mesurée — heureusement, il s’agit de musique... La scansion des cinq accords suivants (deux noires pointées et trois noires) implique logiquement une entame de la falseta sur le temps 3 (sur le modèle de "las campanas" de Javier Molina), et donc une prolongation de l’octave jusqu’au temps 2. Mais dans ce cas, il faut ajouter au compás suivant une mesure à 3/4. C’est ce que nous avons écrit page 2. On peut aussi considérer que la tenue de l’octave est un point d’orgue. Dans ce cas, le premier des cinq accords pourrait correspondre au temps 1, ce qui permet de conserver la régularité métrique du compás, mais au prix d’une inversion des mesures induites : 6/8 aux temps 5 à 1 et 3/4 aux temps 4 et 5 (cf. "autre écriture", pages 14 et 15).

Transcription (Claude Worms)

NB : les deux compases en rasgueados de la page 8 pouvant être joués avec différents mécanismes de main droite, nous avons renoncé à les transcrire.

Salvicas (siguiriya y cabal) — composition et guitare : Salvador Gutiérrez.