L’ Arpeggiata / José Manuel Cano / Mateo Arnáiz

Musiques baroque et classique

vendredi 5 octobre 2007 par Claude Worms

L’ Arpeggiata (dir. Christina Pluhar) : "Los imposibles" Naïve V 5055

Carmen García Segura et José Manuel Cano : "Canciones para voz y guitarraflamenca" AMB 06013 CD

Mateo Arnáiz : "Caprichos, Boleros, Fandangos" Fal 284

Spécialistes de la Renaissance et du premier Baroque italiens (avec notamment deux remarquables enregistrements consacrés à Emilio de’ Cavalieri et Stefano Landi / Alpha 065 et Alpha 904), Christina Pluhar et son ensemble
L’ Arpeggiata travaillent depuis longtemps ce répertoire en ménageant une place importante à l’improvisation et à l’influence des traditions orales dans leurs interprétations (par exemple, dans une anthologies de Tarantelles, sur le label Alpha).

Avec "Los impossibles", titre emprunté à une pièce de Santiago de Murcia,
(une romanesca basée sur un thème populaire mexicain), elle explore un répertoire plus "exotique", la musique baroque latino-américaine des XVIème et XVIIème siècles, où se mêlent les apports européens (Italie, Portugal, et Espagne), africains, et indigènes. Le programme présente des chansons populaires, souvent mexicaines ("La Llorona", " La Petenera"..., et oui, la Petenera fut une chanson mexicaine avant d’ être incorporée au cante flamenco), des pièces à danser ( Jácaras, Marizápalos, Moresca, Fandango, Españoletas...), et d’étonnants "Negrillos", exhumés de la bibliothèque de Coimbra, compositions dont les textes sont censés imiter, par onomatopées, l’accent des esclaves noirs des colonies (on trouve dans l’un d’entres eux,
"Bastiao", un "guluguluga, gulugulugu" qui évoquera sans doute à nos lecteurs le futur "al gurrugu" des Tangos de La Niña de los Peines).

En plus du riche instrumentarium de l’ensemble (harpe, théorbe, luth, guitare baroque, chitarra battente, psaltérion, violon baroque, viole, violone, contrebasse clavecin, cornet à bouquin, et percussions), Christina Pluhar a eu l’heureuse idée d’inviter les King’s Singers (swing ravageur), deux excellents chanteurs traditionnels (Patricio Hidalgo et Béatrice Mayo Felip), et Pepe Habichuela. L’ hémiole étant une pratique courante dans ce répertoire, Pepe Habichuela s’intègre admirablement à l’ensemble, pour les Marizápalos, le Fandango, et les Jácaras, qu’il conclut par des falsetas "por Siguiriya".

Les textes du livret sont remarquablement documentés, et le coffret inclut un DVD réalisé par Olivier Simonnet : scènes de l’enregistrement ponctuées par un entretien avec Christina Pluhar, et trois "bonus" (deux chansons, et une improvisation au psaltérion accompagnée "por Malagueña" par Pepe Habichuela).

Dans son premier enregistrement ("En tu recuerdo" Pasarela
AMCD 004), José Manuel Cano Robles rendait hommage à l’ oeuvre proprement flamenca de son père, Manuel Cano. On sait que celui-ci pensait que les origines du flamenco devaient être recherchées essentiellement dans le répertoire populaire andalou. Il enregistra d’ ailleurs fréquemment des pièces inspirées de ce répertoire, comme les chansons populaires arrangées par Federico García Lorca, et des compositions de
Ángel Barrios.

"Canciones para voz y guitarra flamenca" poursuit dans cette voie, en duo entre Carmen García Segura ( soprano), et José Manuel Cano
(guitare flamenca). Pour ce répertoire à la croisée des chemins, les interprétations oscillent entre flamenco (Carmen Linares) et classique. L’option est ici nettement classique, ce qui correspond à la technique vocale et au timbre de la soprano. José Manuel Cano adapte remarquablement son jeu à cette esthétique : arrangements alternant accompagnements harmoniques et contrechants, et usage très parcimonieux du rasgueado (les "paseos" sont en général réalisés en arpèges). Seuls la technique de pouce et l’usage de quelques compás flamencos (Petenera pour "El café de Chinitas" et la Petenera de Ángel Barrios ; Bulerías pour "Anda jaleo" ; et de fugitives allusions à la Serrana pour "Canción del jinete") évoquent plus nettement l’esthétique flamenca.

Le programme propose des oeuvres déjà très fréquentées ( chansons populaires harmonisées par Federico García Lorca, et "Canción del fuego fatuo", de Manuel de Falla), mais ménage aussi de très agréables découvertes : deux mélodies de Manuel Cano sur des textes de García Lorca, et cinq chansons de Ángel Barrios, dont "Pregón de las flores", pour guitare solo, conclut le disque.

Les enregistrements de Mateo Arnáiz se signalent d’abord par la cohérence et l’ originalité de leurs programmes : après une anthologies de Préludes (Francisco Tárrega, Agustín Barrios, Heitor Villa-Lobos, Eduardo Sainz de la Maza, Léo Brouwer, Orlando Rojas, Enris Quinami, et Mateo Arnáiz, pour un prélude "por Taranta" / fal 170). "Caprichos, Boleros, Fandangos" explore le répertoire classique et "pré-romntique", de Francesco Molino (1768 - 1847) à Julian Arcas (1832 - 1882). Une grande partie des oeuvres sont en étroite relation avec la guitare "pré-flamenca". Nous ne saurions trop insister sur l’ importance de ce répertoire dans la genèse de la guitare flamenca (lire, à ce propos, les études de Eusebio Rioja et Norberto Torres) : "Caprice sur l’air espagnol "La Cachucha"" (Napoléon Coste), "Bolero" et "Los Panaderos" (Julian Arcas), "Bolero" et "Fandango" (Francesco Molino), et "Fandango variado" (Tomas Damas).
On trouvera par ailleurs dans ce disque des pièces aussi peu fréquentées que les "Capricetti" de Luigi Legnani, ou un "Caprice sur un thème favori de
C ; M. de Weber" de Johan Kaspar Mertz.

L’ interprétation sobre, élégante, et d’ une grande musicalité de Mateo Arnáiz, en complète harmonie avec l’ esthétique de ces oeuvres, fait tout le charme de ce disque, mis en valeur par le grain très particulier d’ une guitare
Coffe des années 1820.

Un enregistrement délectable autant qu’ instructif.

Claude Worms





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