Manuel Valencia (2) : "Tierra negra" (taranta)

La taranta "Tierra negra" est inédite au disque mais a fait l’objet d’une performance vidéo en duo avec le peintre Patricio Hidalgo, disponible sur Youtube.

Il s’agit de l’une des compositions les plus originales de Manuel Valencia. Dès l’introduction, l’usage de la gamme par tons sur le deuxième degré — Sol / La / Si / Do# / Ré# / Fa bécarre (ou Mi#) / Sol — donne au palo une couleur totalement inédite (cf. pages 1 et 2, trois premiers systèmes). La première résolution sur le premier degré, Fa#, n’apparaît qu’après trois pauses harmoniques sur le deuxième degré (successivement G7(b5), G7/B et G7). Cette introduction est aussi remarquable par les larges ambitus parcourus rapidement en picado — d’abord deux octaves et une quarte (Sol -Do#) puis deux octaves et une quinte (Sol - Ré).

La conclusion sur l’accord caractéristique de F#7(11) ne survient que trois fois, de plus en plus brièvement (page 2, troisième système ; page 6, deuxième système ; page 9, dernier système), ce qui donne la sensation d’une pièce en suspension (en apesanteur ?), le plus souvent sur le deuxième degré ou son relatif mineur, Mi mineur — d’autant que ces "cierres" ne sont jamais précédés de clichés traditionnels, notamment par le "paseo" sur les accord de D7/F# et G(7) d’usage courant depuis Miguel Borrull et Ramón Montoya. Ainsi, alors même que la trame harmonique reste presque constamment limitée aux accords fondamentaux du palo, ce toque por taranta ne sonne comme aucun autre.

Le récit musical procède par trois longues courbes mélodiques (picado) articulées autour de quelques brefs arpèges harmoniques. Nous y retrouvons l’ampleur des ambitus de l’introduction : page 3, troisième système à page 6, premier système ; page 7, deuxième système à page 9, troisième système ; page 9, quatrième système à page 11. Les deux dernières sont apparentées par des entrelacs entre notes aigües soutenues par des arpèges et notes graves à l’octave inférieur (pouce) : page 7, deuxième et troisième systèmes ; puis page 10, dernier système. D’autres procédés récurrents assurent également la cohérence de la composition :

• d’abord, l’insistance sur deux enharmonies particulièrement expressives : La# et Sib — tierce de l’accord du premier degré, F# et tierce de l’accord mineur du deuxième degré, Gm(7) ; Mi# et Fa bécarre — tierce de l’accord de dominante du premier degré, C#7 et septième de l’accord du deuxième degré, G7.

• réapparitions ponctuelles du Ré# de la gamme par tons initiale : page 4, deuxième système ; page 6, premier système (accord de A7(b5) ; page 10, premier système, avec une fugitive et très surprenante cadence C7/Bb - B7/A.

• mordants souvent suivis de glissandos (première occurrence page 2, premier système) et ligados véloces (page 5, premier système) suggérant les mélismes du cante, surtout lorsque les deux ornements sont combinés (page 3, dernier système et, en écho, page 6, premier système).

• couples tension / détente entre des picados effervescents et des plages harmoniques statiques en doubles croches rubato (pouce et battements i / m / i) ou en croches alternant basses et accords plaqués : page 8, dernier système (accord de F#/A#) ; page 10, deux derniers systèmes (accord de Em7). A trois reprises des accords sèchement étouffés suivis de silences, retardant la résolution harmonique, peuvent être rattachés au même type d’expressivité : page 9, deuxième et troisième systèmes ; page 11.

Claude Worms

Autre composition de Manuel Valencia disponible sur Flamencoweb :

"La puerta del tiempo" (soleá)

Transcription (Claude Worms)