Manuel Valencia (1) : "La puerta del tiempo" (soleá)

lundi 30 septembre 2024 par Claude Worms

Transcription intégrale de la composition de Manuel Valencia.

Photo : Laura León / Archivo fotográfico La Bienal de Flamenco

"La puerta del tiempo" ne figurait pas au programme du premier album de Miguel Valencia, "Entre mis manos" (La Voz del Flamenco, 2016). Encadré par deux duos du guitariste avec David Carpio et Manuel Liñan, cette soleá est le volet central d’un triptyque intitulé "Las tres orillas" diffusé sur YouTube.

La composition alterne des variations personnelles sur des falsetas "classiques" du palo (par exemple l’introduction a cuerda pelá en demi-barré V) et sur des modules d’articulations traditionnels (compases en rasgueados ; "paseos" harmoniques et llamadas — page 6) et des passages plus lyriques et innovants. L’interprétation différencie nettement ces deux types de composantes : les premières sont jouées a tempo ; les secondes plus lentement et rubato (pages 5 ; page 6, dernière mesure à page 7, dernier système). Dans ce dernier cas, l’écriture a compás pose quelques problèmes. Nous avons tenté d’interpréter les intentions du compositeur (notes mélodiques clés, ponctuations harmoniques), mais il ne s’agit là que d’une lecture possible parmi d’autres.

Tout l’art de Miguel Valencia consiste à fondre ces deux matériaux distincts en un discours cohérent. Deux exemples illustreront notre propos :

• la première falseta commence par une anacrouse chromatique (à l’exception de la note Sol#) en picado vers l’accord de Am (page 2, premier système, dernière mesure). Suit une séquence traditionnelle Am – G - F en triolets (quintes des accords à la basse). Mais cette progression prévisible est provisoirement rompue par une belle suspension sur l’accord de Bb (page 2, deuxième système, troisième mesure) avant de reprendre son cours jusqu’au cierre sur l’accord du premier degré. La reprise est identique pour le premier compás, mais la cadence IVm – III – II – I est ensuite beaucoup plus tendue par des arpèges de Am9, G6, Am(b5) et F9, ce dernier accord lançant un violent trait a cuerda pelá par un glissé de la première à la septième position (page 3, premier et deuxième système).

• après deux llamadas en bonne et due forme (la première avec tout de même, sur l’accord de F les notes Fa#, Fa bécarre et Mib à la voix supérieure), une nouvelle falseta commence sur deux mesures par un arpège ascendant de E7(b9) suivi d’une suspension sur l’accord de E(b9). Rien jusque là de très surprenant, mais la "réponse" de la mesure suivante crée une ambiguïté modale par l’apparition de la note Do#, alors même que l’accord de la conclusion harmonique, retardée au temps 11, reste bien E(b9) — page 6, dernier système, dernière mesure à page 7, premier système, dernière mesure. De fait, la reprise est marquée par une brève modulation à la tonalité éloignée de La majeur qui aurait sans doute ravi Manolo Sanlúcar (page 7, deuxième système, dernière mesure). A la mesure suivante, le compositeur revient au mode flamenco sur Mi par une chromatisme Do# / Do bécarre (accord de F), mais il diffère immédiatement la résolution sur le premier degré que nous attendions par un accord de Em7, de sorte que nous restons dans une zone harmonique plane, comme suspendue autour de l’accord de F (page 7, troisième système). Au lieu de conclure, il peut dès lors relancer la falseta vers des parages plus traditionnels par deux compases en arpèges sur l’accord de F en demi-barré I. Serions-nous enfin arrivés au terme de nos surprises ? Pas encore, une relance en picado sur le cierre (page 8, deuxième système, deuxième mesure) nous plonge dans un labyrinthe harmonique prolongé sur trois compases (jusqu’à la deuxième mesure du deuxième système de la page 9) qui, malgré sa complexité, ne s’éloigne jamais des degrés fondamentaux de la cadence flamenca. Manuel Valencia joue ainsi avec la culture flamenca de ses auditeurs, en trompant leur attente et en différant les résolutions qu’ils avaient anticipée. Comme le savent tous les bons compositeurs, c’est souvent de ces tensions que naît l’émotion musicale.

La cohérence à grande échelle de cette soleá est aussi renforcée par la réitération variée de certains remates — par exemple, page 4, troisième système et page 5, troisième système. Enfin, même si le langage harmonique reste globalement sage, il est souvent épicé d’intervalles dissonants par la voix aigüe — cf., entre autres, les neuvièmes et la septième majeures de la page 5, premier système, troisième mesure.

La pièce s’achève de manière haletante, sur une déferlante de remates a cuerda pelá enchaînés sur quatre compases (page 10, troisième système à page 11, dernier système).

Claude Worms

Photo : Ana Palma / DeFlamenco.com

Transcription (Claude Worms)

"La puerta del tiempo" (soleá)
"La puerta del tiempo" (soleá)

"La puerta del tiempo" (soleá)
"La puerta del tiempo" (soleá)




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