3ème festival "Flamenco à La Villette"

16, 17 et 18 mai 2013

mardi 21 mai 2013 par Nicolas Villodre

Farruquito como tú...

Mal partie, la partie. On veut parler de la troisième édition du festival Flamenco à La Villette. Avec un retard, pour des raisons soi-disant « techniques », gâchant une bonne part de la soirée inaugurale. Une demi-heure annoncée, qui a tourné au ralenti, devenant, en réalité, plus d’ un tour de grande d’ horloge. Pourquoi ? C’ est toujours la même rengaine avec le Farruquito qui a, une fois de plus, refusé de danser et littéralement fait « faux bond » aux organisateurs comme au public. Face à un obstacle réel ou exagérément grossi (d’ après ceux qui l’ ont approché, le parquet, ce soir-là, n’ était pas sonorisé comme il l’ eût dû), et, deux prétextes valant mieux qu’ un, pas assez spacieux – spécieux, l’ argument ? – pour permettre à des chevilles trop enflées de s’ exprimer normalement.

À force de crier au loup, les Farruco & Co ne sont pris au sérieux par personne, quand bien même leurs exigences seraient, exceptionnellement, justifiées. On imagine le dialogue de sourds : « Je veux et j’ exige, outre une avance sur mon cachet, des microphones de type PZM Sennheiser e912, pas des vulgaires Shure ou des rogatons de l’ ORTF datant de Mathusalem ou de Catherine Langeais ! ». Il faudra donc se rendre au festival de Mont-de-Marsan pour espérer voir le jeune gens, ou avoir la patience d’ attendre la réalisation du film sur la saga des Farrucos, prévu par la formidable documentariste de la BBC, notre amie Jana Bokova

Du coup, faute de grives, on a écouté le merle chanteur, en l’ occurrence le cantaor de Jerez de la Frontera, José Mercé, artiste profond à la voix ample, puissante. Un cri et une phonation soutenus, si besoin était, par le jeu solide et absolument juste du guitariste Diego del Morao, fils du regretté styliste, Moraito, auquel hommage fut rendu, ici et là. Merci à Mercé d’ avoir décalé sa prestation vocale et passé en revue – sans doute aussi un peu beaucoup en force –, les palos de son affection, dans l’ ordre quasiment immuable de ses spectacles depuis déjà un certain temps, à savoir : Malagueñas, Soleá, Fandangos, Alegrías de Cádiz, Tangos, enchaînés à des Tientos et Bulerías en bouquet final. Le public lui a d’ ailleurs fait bon accueil, heureux de reconnaître l’ un des standards écrits par lui, « Aire », précédé par un fameux gimmick à base de rasgueados, toutes cordes éteintes.

Cette velléité populiste est aussi le territoire qu’ a décidé d’ investir une autre enfant de la balle, la pimpante, flambante et exubérante Estrella Morente. Cette dernière a choisi d’ exploiter le legs paternel en s’ adressant directement, sans prendre de gants, au grand public plutôt qu’ à celui, somme toute succinct, des affranchis du cante jondo. Elle a donné un show suffisamment épatant pour la galerie, inauguré par un Pregón traditionnel, tirant le reste du set sur la corde sensible roucoulante façon crooner. Estompant toute aridité ou irrégularité dans les Tanguillos, probablement pour ne pas trop déranger son auditoire. Jouant par moments la carte rumbera en lissant tout sur son passage – arrangements musicaux, vocalises, cliquetis et claquetis des palmeros, temps, forts et morts, et contretemps –, descendant dans l’ arène en en poussant une dernière sans le secours de la HF. Cela le fait donc. Estrella peut, sans problème, succéder à feues Sara Montiel et Lola Flores à laquelle elle rend d’ ailleurs hommage en reprenant une copla – il faut dire que le grand-père maternel de la chanteuse-étoile, Montoyita, fut aussi l ’un des guitaristes attitrés de La Faraona.

On ne dira rien, par charité chrétienne, du simulacre artistique, relevant du témoignage ethnographique (celui de la pratique d’ amateurs, devant en principe rester à l’ intérieur du cercle familial) et non du spectacle, intitulé Cumbre flamenca. Pour prétendre parodier un genre, un style ou un artiste, il faut, en effet, déjà assurer dans le premier degré et être, au moins, au niveau de ce qu’ on chercha à subvertir, moquer ou disqualifier. Soyons positif : ne gardons en tête que les meilleurs moments du programme, notamment la prestation de Pastora Galván et de ses collègues (pas moins de cinq danseurs, hommes et femmes confondus, pour rendre hommage à l’ immense Carmen Amaya, dans le cadre du centenaire de sa naissance). Les trois bailaoras, surtout, ont été, tour à tour, captivantes, ensorcelantes, amusantes, alternant Bulería et taconeo, robe à froufrou et pantalon sombre, de mâle andalou, moulant, soulignant les rondeurs, ceinturant et contenant l’ abdomen, chemisier blanc orné de pois noirs d’ un bon diamètre.

Dans un répertoire sans surprises (Alegrías, Bulerías, Tangos...) Tomatito a magnifiquement conclu notre affaire, au milieu de sa troupe (un Sextet, pour reprendre un terme emprunté au jargon jazz) très professionnelle formée de deux choristes-palmeros efficaces, d’ un jeune guitariste chargé de seconder le maestro, au cas où, d’ un percussionniste qui nous a gratifié d’ un remarquable solo et de la danseuse, Paloma Pastor (c’ est le nom que nous avons cru entendre), que Tomatito nous a révélée et qu’ il a su mener jusqu’ aux limites de la transe, à ce moment de duende, climax d’ une soirée qu’ on a senti venir par étapes progressives, suivant divers modes d’ excitation. Tout, dans la possession, étant une question de rythme.

Curieusement, Tomatito, s ’il est bel et bien l’ animateur (pour ne pas dire le leader incontesté) de tout le groupe, n’ est pas pour autant un soliste, autrement dit, un guitar hero, capable d’ aligner, de façon claire et limpide, des phrases au kilomètre et/ou de restituer, d’ une manière fluide et cohérente, des gammes préméditées. Il donne l’ impression d’ improviser, ce qui est rare, dans le domaine de la guitare d’ accompagnement, dite aussi rythmique (il est proche en ce sens du guitariste de Rhythm and Blues Wilko Johnson - à qui Dr Feelgood doit beaucoup). Poussant le volume au maximum, il enchaîne sans discontinuer les accords les plus ardus du flamenco ou d’ autres, droit issus du jazz-rock, voire de la bossa, à l’ arraché ou bien en égrainant subtilement les arpèges. Sa guitare réchauffe les spectateurs les plus blasés et ceux qui semblaient frigorifiés. Son sens et sa science du swing sont uniques. Peu importent les approximations dans les cordes du bas en pur nylon, les digressions et réitérations. Les frappes, les caresses d’ un instrument qu’ il maîtrise exhaustivement, ses lignes de basse produisent leur plein effet qui est l’ extase.

Nicolas Villodre

Photos : Nicolas Villodre


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