Un dispositif d’ apprentissage pour les populations nomades

vendredi 30 septembre 2011 par Manuela Papino

Pour Elisabeth Clanet dite "Lamanit", chargée d’ études à la DEGESCO (Direction Générale des Enseignements Scolaires), détachée à la direction du CNED pour la "scolarisation des enfants du voyage et des publics itinérants", les gitans n’ ont qu’ un lien très lointain avec les gens du voyage et finalement "rien à voir", affirme-t-elle.

Dans une conférence intitulée « Apprendre en situation de mobilité : les gens du voyage » organisée au CNED, à Poitiers en septembre dans le cadre de l’ université d’ été 2011, elle explique que les gens du voyage sont (comme leur nom l’ indique) foncièrement nomades, alors que les gitans sont depuis très longtemps sédentaires. Ceci est loin d’ être un détail, puisque le dispositif dont elle s’ occupe est basé sur le nomadisme, non sur l’ origine ethnique.

"Les médias font encore une confusion au sujet des gens du voyage", dit-elle, "car ils sont d’ origines très variées". Il y a deux grandes catégories : ceux qu’ on doit appeler « Gens du voyage » et ceux que l’ on nomme « Tsiganes ». Les premiers sont essentiellement représentés par les « Pirdés » et les « Yéniches », respectivement des descendants de colporteurs, routiers picards, ou bretons, et des descendants d’ allemands (ils sont d’ ailleurs blonds en général), logisticiens de la guerre de Trente Ans qui s’ étaient installés en Alsace et qui avaient finalement choisi la France comme pays. Le statut juridique des « Gens du voyage » (lois de 1912 et 1969), unique en Europe, enferme des citoyens français en grande partie « autochtones », vivant en résidences mobiles, dans une itinérance structurelle : s’ il leur est accordé le droit de circuler, en revanche celui de s’ arrêter durablement ou de s’ installer définitivement quelque part - et parfois même le droit d’ avoir une carte d’ identité - leur sont pratiquement déniés.
Le terme Tsiganes désigne tous les groupes d’ origine indienne (d’ où généralement leur peau mate) : les manouches, les gitans et les roms. « Seuls les manouches vivent en caravane » dit-elle, (également quelques roms « assignés à l’errance contre leur gré »), et on les nomme donc « nomades ».

Les deux catégories représentent en France environ 500.000 personnes ; une situation exceptionnelle puisqu’en Irlande et au Royaume-Uni par exemple, ils ne sont que 15.000.

La question de l’ « accès à l’instruction » étant centrée pour Elisabeth Clanet sur le problème du nomadisme, le public dont elle s’ occupe ne comprend donc pas les minorités sédentaires. Depuis 1989, un gros travail a été mis en place prenant en compte les paramètres d’ enseignement à distance, de langue et de technologies adaptées. En 1991, un poste ministériel spécifique détaché au CNED a été créé pour ces 5% de la population européenne nomade. Il faut rappeler qu’ en France, c’est l’ instruction qui est obligatoire, non le fait d’ aller à l’école.

Il faut également rappeler que lorsqu’on se trouve dans des conditions particulières qui empêchent de suivre un enseignement traditionnel à l’ école (les gens du voyage sont considérés dans ce cas), le CNED est gratuit (alors que cela coûte 850e/an lorsqu’on choisit de ne pas envoyer son enfant à l’ école). Sur 100.000 enfants de 6 à 16 ans scolarisables, 30.000 sont en situation de mobilité contre 70.000 sédentarisés. En 1995, le CNED comptait 46 inscrits. En 2010, il en comptait 7758. Environ 60 % des gens du voyage sont des moins de 20 ans. Cette population jeune voit la proportion des scolarisés diminuer au fil des tranches d’ âge. Si 70 % des enfants en âge d’ être en primaire sont scolarisés, seulement 20 % des jeunes qui devraient être au collège suivent effectivement des cours. La moitié suit les enseignements à distance et l’ autre fréquente le collège. Passé la troisième, ceux qui continuent font surtout des CAP et des BEP, et les jeunes qui arrivent jusqu’au baccalauréat sont vraiment très peu nombreux (un ou deux par an avec le CNED).

"Aujourd’hui, les cours classiques du CNED ne sont pas adaptés à ces populations", continue Elisabeth Clanet. "Il y a un fascicule pour chaque matière, ce qui est lourd et tient de la place, et pour écrire sur un cahier, il faut une table, ce qui n’ est pas toujours facile dans une petite caravane. Nous souhaitons qu’ il n’ y ait qu’ un seul fascicule regroupant toutes les matières, une amélioration ergonomique et une facilité d’ accès à internet" (les aires d’ accueil pour les gens du voyage ne sont pas équipées de wifi). "Nous souhaitons donc qu’ on leur fournisse par exemple une clé 3G" (elle précise que toutes les caravanes ont déjà une télévision, un lecteur DVD ; la plupart ont un smartphone, un ordinateur et des consoles de jeux). "Nous développons divers projets : les équiper de cours audio, leur dispenser un cours sur le civisme et la responsabilité, organiser des visites, notamment au Louvre ou à la Comédie Française, les encadrer pour des lectures comme « Le grand Maulnes », réaliser un DVD sur « qui ils sont » à destination des professeurs..."

Car effectivement, une nouvelle circulaire doit sortir prochainement leur permettant une double inscription (dans une école et au CNED). Aujourd’hui, il existe des associations et des coordinateurs missionnés par l’ Education Nationale qui aident à faire le lien entre le CNED, les administrations et les principaux de collège qui collaborent en accueillant ces enfants du voyage lorsqu’ils se présentent (souvent seulement pour trois ou quatre jours). Cela signifie qu’ il faut solliciter un professeur pour leur donner un enseignement adéquat durant ces quelques jours, puisqu’il leur est très difficile de s’ intégrer dans une classe. Malgré toutes ces initiatives, la scolarisation de ces populations reste difficile.

Dans l’ immédiat, les perspectives à court terme pour les gens du voyage sont les suivantes : la suppression du titre de circulation (obligatoire jusqu’à présent à partir de seize ans et devant être validé tous les trois mois sous peine d’ amende puis de prison), l’ accès au droit de vote et la double inscription au CNED et dans un établissement scolaire. En ce qui concerne plus particulièrement l’ instruction : une plus grande prise en compte de leur mobilité ainsi que de leur réticence à la mixité sociale, religieuse ou ethnique et une attention particulière à l’ échec scolaire (à travers le « Socle commun de compétences et de connaissances »). Pour cela, le suivi grâce à internet doit se développer et s’ intensifier (possibilité d’ utiliser des tablettes, skype, etc.). Il faut aussi la mise en place d’ un carnet individuel national qui permettrait de connaître le niveau de l’enfant et un encadrement spécial du CNED pour les problèmes d’ illettrisme et d’ analphabétisme (un cours pour les 12-16 ans est déjà en place).
Car, « si les enfants sont très encadrés au niveau familial », souligne Elisabeth Clanet, « il n’en est pas de même au niveau scolaire : soit les parents n’ ont pas le temps, soit ils n’ en ont pas les capacités ».

« Il est fondamental de mieux s’ occuper de ces enfants du voyage car il est important de posséder les clés pour avoir un esprit critique et pouvoir choisir sa vie » conclut-elle. « Or pour l’ instant, ils en sont encore à une époque très lointaine de la nôtre ». Il faut dire qu’ Elisabeth Clanet a également une vision empirique de ce qu’ elle avance puisque, rappelle t-elle, « j’ ai moi-même été élevée dans une caravane, je viens de là. »

Elisabeth Clanet : auteur de « Fils du "Vent de l’ Histoire" - Une autre approche sur l’ histoire de la migration des ancêtres des Roms, Sinté et Kalé » (in Etudes Tsiganes, 2010)

Manuela Papino





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