Mateo Arnáiz : "Suite española" (Isaac Albéniz)

1 CD Mandeo Records Fal 557 (2009)

lundi 18 mai 2009 par Claude Worms

Pour les passionnés de musique classique, l’ année 2009 sera fertile en commémorations : trois cent cinquantième anniversaire de la naissance de Purcell (1659 - 1695), deux cent cinquantième anniversaire de la mort de Haendel (1685 - 1759), bicentenaires de la mort de Haydn (1732 - 1809) et de la naissance de Mendelssohn (1809 - 1847), et centenaire de la mort d’ Albéniz (1860 - 1909).

Mateo Arnáiz, dont nous avons déjà eu l’ occasion de chroniquer le précédent album dans cette même rubrique, vient d’ enregistrer ses propres transcriptions pour guitare de la première "Suite española" pour piano d’ Isaac Albéniz. Si certaines de ces pièces sont déjà bien connues des guitaristes, il s’ agit à notre connaissance du premier enregistrement intégral pour guitare soliste, avec : "Sevilla" (sevillanas) ; "Cádiz" (saeta) ; "Granada" (serenata) ; "Asturias" (leyenda) ; "Aragón" (fantasia) ; "Cuba" (capricho) ; "Cataluña" (curranda) ; et "Castilla" (seguidillas).

La plupart de ces compositions datent des années 1886 - 1893, et ont été regroupées a posteriori par les éditeurs. Seules quatre pièces formaient originellement l’ opus 47 ("Cataluña", "Cuba", "Sevilla" et "Granada"). "Asturias" (titre malencontreux pour une composition évoquant plutôt la Granaína flamenca) et "Castilla" proviennent des "Chants d’ Espagne" (opus 232, 1896 - 1897, respectivement intitulées "Prélude" et "Seguidillas"). D’ abord publiée comme "Jota aragonesa", "Aragón" était l’ une des deux "Danses espagnoles" (opus 164, vers 1889), et la "Sérénade espagnole", opus 181 (vers 1890) fut rebaptisée "Cádiz".

Isaac Albéniz / Mateo Arnáiz (photo : Thierry Masson)

Albéniz s’ inscrit dans la lignée des compositeurs du XIXème siècle qui confièrent l’ essentiel de leur inspiration au piano (Chopin, Liszt, Granados, Busoni)..., et dans les multiples "écoles nationales" qui marquèrent la musique européenne de la seconde moitié de ce siècle. Mais, parmi les folklores régionaux espagnols, c’ est la musique populaire andalouse qui l’ intéresse plus particulièrement : sur les douze pièces qui composent les quatre cahiers d’ "Iberia" (son chef d’ oeuvre, 1906 - 1908) , seule "Lavapiés" échappe à ce tropisme andalou. Le flamenco naissant est naturellement l une des sources privilégiées du compositeur : il en évoquera fréquemment le couple chant / guitare (ce qui justifie évidemment la transcription pour guitare) :

_ D ‘ abord par des figuralismes, que l’ on trouve déjà dans la littérature pour clavecin (le Padre Soler, ou Domenico Scarlatti, qu ‘ Albéniz jouait fréquemment) : notes répétées (évocation des castagnettes ou du "taconeo", voire de la technique pouce / index alternés des guitaristes flamencos – "Asturias") ; grupetto incisif proche de l’ ornementation du cante …

_ Par l’ harmonie : fréquence de la cadence andalouse à la dominante, et surtout des dissonances de secondes et neuvièmes mineures.

_ Par la forme : comme ce fut le cas pour beaucoup de pianistes compositeurs qui furent ses contemporains, la forme sonate convient mal à l’ inspiration d’Albéniz, bien qu’ il en ait composé cinq, dont seules les trois dernières ont été conservées. Chacune des pièces de la suite génère ainsi sa propre forme, avec cependant quelques invariants, notamment l’alternance paseo / cante propre au flamenco. Le paseo énonce les règles rythmiques et harmoniques de la forme traditionnelle de référence (notamment pour les danses : ici, la Sevillana – "Sevilla" ; la Seguidilla de l’ "Escuela bolera" - "Castilla" ; la Jota – "Aragón"), et agit comme ritournelle entre les différents cantes. Albéniz se refuse à tout développement, et présente les thèmes mélodiques qui figurent les cantes sous forme de variations (changements de registre ou de tonalité, ornementation, articulation rythmique…), ce qui rappelle immanquablement les falsetas des guitaristes flamencos. Ces thèmes mélodiques sont toujours écrits avec leur accompagnement de "guitare" : chant au registre aigu et accompagnement dans les graves, qui peut prendre épisodiquement un caractère contrapunctique (premier chant d’ "Aragón", "Cádiz"…) ; ou, à l’ inverse, chant au registre grave, accompagné par des accords arpégés dans les aigus (deuxième chant d’ "Aragón" ; "Granada"…).

_ Enfin, plus fondamentalement, on se souviendra qu’ Albéniz fut aussi un brillant improvisateur. On peut légitimement soupçonner que la substance de ces huit pièce fut d’abord écrite sur le piano, avant de l’être sur le papier, ce qui est déjà en soi une sorte de transcription. C’est exactement ainsi que les guitaristes flamencos composent leurs falsetas.

Cet aspect directement instrumental de l’écriture d’Albéniz permet de mieux mesurer la complexité de la transcription : comment rendre à la guitare l’articulation pianistique (pédale…), l’étendue de l’ ambitus (unissons main gauche / main droite à distance de deux octaves…), ou encore les énormes contrastes de dynamique (il atteindront 5 f / 5 p dans "Iberia")… ? Les transcriptions de Mateo Arnaíz sont exemplaires : les cordes à vide se substituent à la pédale, et quelques techniques guitaristiques viennent ça et là rappeler opportunément la source d’inspiration du compositeur (par exemple, le court trémolo à la fin du dernier chant de "Sevilla").
Mais le transcripteur n’abuse jamais de ces techniques instrumentales idiomatiques, et évite soigneusement de tomber dans la facilité du "tout guitare", qui réduit trop souvent les œuvres d’Albéniz à leur seule séduction mélodique immédiate, et simplifie abusivement leur trame harmonique et leur complexité rythmique, qui sont pourtant leurs vertus essentielles. On admirera surtout comment Mateo Arnaíz rend très clairement audibles les voix intermédiaires, sans en altérer la complexité (par exemple, les dissonances et les retards du premier thème de "Cádiz")… au prix d’ une main gauche particulièrement exigeante.

Ajoutons enfin que l’interprétation est à la hauteur des transcriptions. Des choix de tempo d’une grande justesse, donnant aux thèmes mélodiques leur exacte respiration ; une mise en place qui souligne chaque syncope et chaque contretemps ; une riche palette de timbres et de dynamique : on redécouvre ainsi avec bonheur une pièce aussi ressassée qu’ "Asturias"…

Claude Worms

Discographie

Mateo Arnáiz : "Preludios" - 1 CD Fal 170 (2005)

Mateo Arnáiz : "Caprichos, Boleros, Fandangos" - 1 CD Fal 284 (2006)

Mateo Arnáiz

Galerie sonore

Isaac Albéniz : "Cádiz" (Saeta) - n° 2 de la "Suite española" (transcription : Mateo Arnáiz)


"Cádiz" (Saeta)




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