Du Gâtinais à l’ Alameda de Hércules

vendredi 4 janvier 2013 par Claude Worms

Stage des élèves du Conservatoire des Deux Vallées avec la cantaora Laura Vital

Sis à Milly-la-Forêt, le Conservatoire des Deux Vallées, dirigé par Annie Couture et Gilles Worms, est un lieu musical hors normes, non seulement par la compétence et le dévouement de ses professeurs, mais aussi par la pédagogie qui y est mise en oeuvre. Quelle que soit leur discipline instrumentale, les élèves y sont tenus de pratiquer le chant choral, et forment à chaque génération des ensembles instrumentaux et vocaux. Leur cohésion et leur solidarité sont entretenues par des stages d’ été et surtout par des concerts qui attirent tout au long de l’ année un public nombreux et enthousiaste. Il est vrai que leurs programmes sont toujours aussi exigeants que surprenants. Les élèves y interprètent avec une grande compétence et une énergie joyeuse et communicative des répertoires variés : de polyphonies de la Renaissance à des œuvres contemporaines pour chœur ; d’ extraits de cantates de Bach à une réduction de la Symphonie Inachevée de Schubert (concocté par le directeur) ; d’ arrangements de chansons de Boris Vian ou Jacques Higelin à du rock expérimental ou des compositions d’ anciens élèves ; de chansons de marins bretonnes à des chœurs corses… Le tout avec une remarquable justesse de style.

Car l’ une des originalités du Conservatoire est de former les élèves, non seulement à la lecture, l’ harmonie, l’ analyse…, mais aussi à la transmission orale de diverses traditions musicales. Ce dernier apprentissage se fait systématiquement, d’ abord par des ateliers (gratuits, chose rare) à l’ Ecole de Musique en cours d’ année, puis par un stage d’ été sur le terrain. D’ anciens élèves sont donc allés en Bretagne, en Corse, dans le Béarn… Ajoutons que ces stages accueillent tous les élèves, quelles que soient les ressources familiales, grâce à diverses subventions à l’ aide généreuse de l’ association APEC des Deux Vallées et aux recettes des concerts.

Parmi ces traditions musicales, le cante flamenco. Tout en travaillant parallèlement la musique arabo-andalouse avec …, le chœur des Contamines ( du nom du lieu du premier stage d’ été de ses membres) s’ y est attelé depuis deux ans, sous la direction de Maguy Naïmi pour le chant, et avec, pour l’ accompagnement, la guitare de l’ auteur de ces lignes. Nous avons commencé l’ initiation au cours de l’ été 2010 par des chants praticables en chœur (répertoire "rociero" - Sevillanas et Fandangos, et Tanguillos - chants traditionnels du Carnaval de Cádiz) qui ont permis aux participants de se familiariser avec les particularités rythmiques et mélodiques du cante flamenco.

Les "choses sérieuses" ont commencé l’ été suivant, avec le chant solo : une nouveauté un peu intimidante pour des élèves habitués au chant choral, d’ autant plus que le programme abordait des formes majeures du cante traditionnel (Malagueñas, Soleares, Siguiriyas et Tangos). Au cours de l’ année scolaire 2011 – 2012, plusieurs ateliers leur ont permis d’ approfondir les problèmes d’ interprétation (précision de la mise en place – compás, ornementation…) et d’ élargir leur connaissance répertoire : Soleares de Triana ; Malagueñas de la Trini, de la Peñaranda et del Gayarrito ; Fandangos de Carmen Linares ; Serrana et Siguiriya de cambio de María Borrico ; Alegrías et Cantiñas ; Bulerías de Manolito de María et de Camarón ; Minera et Taranta de Pencho Cros ; Vidalita de Mayte Martín… Les élèves ont commencé à inclure ce répertoire dans leurs concerts, et en ont fait parfois un usage inattendu : l’ une d’ entre elles nous a annoncé fièrement qu’ elle avait obtenu un 20 à l’ épreuve du musique du baccalauréat en chantant a capella des Sevillanas de Romero Sanjuán…

Le moment de se frotter au "terrain" est donc arrivé en août dernier, avec un stage à Séville. Après deux jours de découverte de la culture andalouse et sévillane ( Reales Alcazares, Giralda, Musée des Beaux Arts, Barrio Santa Cruz et ... Triana – ça s’ imposait…), les 21 élèves ont suivi pendant quatre jours les cours de la cantaora Laura Vital, avec l’ assistance de Maguy Naïmi (pour les visites de la ville, et la traduction et le suivi des cours), Annie Couture (pour la technique vocale), Gilles Worms (pour l’ intendance – pas une mince affaire), et toujours l’ auteur de ces lignes pour la guitare… Nous ne ferons pas à nos lecteurs l’ injure de leur décrire le talent Laura Vital en tant que cantaora, qu’ ils connaissent certainement. Mais nous avons aussi découvert une excellente pédagogue, pour un programme de travail des plus exigeants, avec entre autres, les Cantiñas por Rosa dont elle est l’une des rares spécialistes, la Granaína et la Media Granaína. Laura s’ est révélée un professeur d’ une grande disponibilité, énergique, chaleureuse, apportant une égale attention aux difficultés de chacun, et infatigable – nous l’ avons entendue (avec une certaine admiration…) répéter une demi-heure durant la redoutable vocalise finale de la Media Granaína à 11 heures du matin… Nous avons eu la chance de la rencontrer grâce à Marcelo de la Puebla, professeur de guitare flamenca au Conservatoire de Séville, où elle enseigne elle-même le cante flamenco.

Une chance aussi : les élèves, au cours d’ une soirée à le Casa de la Memoria, ont pu entendre un autre cantaor (et musicien) remarquable, Jesús Corbacho, dans un style vocal très différent de celui de leur professeur (lire dans le questionnaire ci-dessous les réactions des élèves).

Pour le "terrain", on ne pouvait rêver mieux : merci au Centro Cívico de l’ Alameda de Hércules (l’ esplanade est l’ un des centres historiques du cante, comme en témoignent les bustes de La Niña de los Peines, de Manolo Caracol… et du torero Chicuelo), qui a mis gracieusement l’ une de ses salles à notre disposition. Trouver un local disponible et ouvert à Séville au mois d’août est un défi que nous n’ aurions pu relever sans l’ assistance des associations "Sevillana 2000" et "Atmosphère", et de Margot Rista qui dirige une maison d’hôtes ( Casa del buen viaje ) à deux pas de la Casa de Pilatos et s’ occupe aussi d’ activités culturelles.

De gauche à droite : Gilles Worms, Annie Couture, Maguy Naïmi, Claude Worms, Laura Vital

Mais l’ expérience ne s’ arrête pas là, et a été élargie par divers partenariats. Deux ateliers d’ initiation à la transmission orale (en l’ occurrence, du flamenco) ont été dispensés en mars 2012 aux professeurs et aux élèves du Conservatoire de Juvisy sur Orge par Maguy Naïmi, Thierry Rodier (professeur de guitare du Conservatoire) et moi-même. Depuis plusieurs années, le Centre d’ Enseignement des Musiques Traditionnelles de la MJC de Ris-Orangis organise des ateliers mensuels d’ apprentissage de l’ accompagnement du cante et du baile flamencos, en collaboration avec le cours de danse de Chantal « Soledad » Rabourdin : Maguy Naïmi et Rouben Haroutunian pour le chant…, et toujours le même pour la guitare.
La MJC de Ris-Orangis et le Conservatoire des Deux Vallées ont signé une convention pour l’ année 2012-2013 : les cours de guitare se sont déroulés d’ octobre à janvier au Conservatoire, ce qui a permis de mettre en synergie ses élèves chanteurs avec les élèves guitaristes de Ris-Orangis, avant de regagner la MJC de février à mai pour travailler avec les danseuses et danseurs.

Enfin, le cycle devrait s’ achever en 2013 au Conservatoire (si le dieu des subventions nous est favorable), par un stage de perfectionnement avec Laura Vital et un concert (des élèves en première partie, et de Laura Vital en seconde partie), et, pour les guitaristes, par un stage dirigé par Oscar Herrero, suivi là encore d’ un concert.

A plus long terme, Marcelo de la Puebla nous a commandé, pour les élèves du Conservatoire de Séville, des arrangements de cantes traditionnels à trois voix et trois parties de guitare (une première…). Ces pièces seront aussi travaillées par les élèves du Conservatoire des Deux Vallées.

Nous ne doutons pas que nos lecteurs seront intéressés par le point de vue des élèves sur cette expérience originale. Nous leur cédons donc la parole. Par ordre d’ entrée en scène : Chloé, Guillaume, Adrien, Bastien, Camille, Clémence, Damien, Margot et Priscilla.

Claude Worms

Photos : William Gonnet

Pourquoi un stage en Espagne ? A Séville ?

Notre démarche, initiée par Annie, à toujours été de nous déplacer au sein de la culture dont nous souhaitions tirer les enseignements. Cela permet une certaine authenticité au vu des nombreux mélanges de styles musicaux. Mais avant tout, cela permet l’ imprégnation au cœur d’ une culture, moyen le plus efficace pour l’ appropriation d’ un répertoire. Et enfin, et ceci est sans doute le plus important, la découverte d’ une autre culture et d’ un autre rapport au monde qui ne peut que nous apporter curiosité tolérance et respect.

Ce stage n’ aurait pas eu le même impact sur nous s’ il s’ était déroulé en banlieue parisienne, ou dans une quelconque autre ville que Séville. Lors de cette semaine de stage, l’ approfondissement du chant était l’ un des principaux objectifs, mais la dimension culturelle nous permettait de nous immerger plus en profondeur dans le flamenco (visite du berceau du flamenco : Triana, etc…).

C’ était une opportunité à saisir que de pouvoir aller chanter directement dans un des lieux-phares de la musique flamenca. Cela fait maintenant deux ans que nous travaillons ce répertoire avec Claude Worms et Maguy Naïmi, et il semblait justifié que nous concrétisions ce travail par un stage en Espagne. Le fait de pouvoir découvrir la ville de manière historique grâce aux indications de Maguy, de pouvoir "vivre" le flamenco au cœur de Séville pendant une semaine, et de pouvoir profiter de tout ce que cette ville a à nous offrir, que ce soit musicalement, historiquement, visuellement ou humainement, a été une superbe expérience.

L’ objectif principal de ce stage était de découvrir ou d’approfondir un répertoire différent à travers la culture espagnole et andalouse. De par son histoire très riche, cette "Autonomía" est le refuge de cultures et de sonorités musicales très diverses. Séville, avec ses quartiers populaires tels que Triana, peut être considérée comme l’ un des berceaux de la musique flamenca. Cette ville est donc l’ endroit idéal pour rencontrer des musiciens de talent et évoluer dans l’ univers du flamenco. De nombreux textes de chansons décrivent les paysages andalous, comme les montagnes ou le fleuve Guadalquivir. Il nous est ainsi plus facile de donner un sens aux textes, et par conséquent à la musique.

Pour être en immersion dans le pays, afin d’ en comprendre les coutumes et les traditions. Séville étant en quelque sorte la capitale de l’ Andalousie, elle est le reflet de ce qui s’ y passe, de ce qui s’ y vit. On était plongé dans toute la culture andalouse.

L’ Andalousie étant le berceau comme le cœur du flamenco, il était important pour nous de découvrir à Séville ses valeurs fondamentales, son mode de vie ainsi que les lieux à travers lesquels les artistes on su s’ inspirer et participer au développement ainsi qu’ à l’enrichissement de la musique flamenca.

L’ Andalousie étant la terre natale du flamenco, il nous est apparu naturel que pour perfectionner au mieux notre expérience du chant dans ce domaine, il nous fallait y séjourner.

Dans un premier temps pour nous immerger dans la culture andalouse, issue d’ un étonnant métissage culturel.

Pour le cours de flamenco, il s’ agissait de sentir dans quelle ambiance ce genre musical se joue, chante et danse. Notamment la chaleur intense … qui peut malgré tout donner une certaine énergie, mais une énergie différente.
Nous avons aussi vu que cette musique faisait vraiment partie intégrante de la vie andalouse. Jeunes et vieux s’ y intéressent, et on a la sensation que les rythmes y sont quasiment une affaire d’ intuition.

Il était aussi très intéressant de recontextualiser les textes que nous travaillons en choeur, comme par exemple le "Romancero Gitano" de Federico García Lorca, textes qui ont d’ ailleurs parfois pour cadre la ville de Séville. Nous avons pu reconnaître certains éléments typiquement andalous qui ont inspiré ces textes très métaphoriques. Il s’ agit d’ images dont nous n’ avons pas forcément l’ habitude chez nous, qui font souvent référence à des choses précises – par exemple : "Torrecillas muertas". C’ est pourquoi il était plus difficile de sentir l’ interprétation adéquate lorsque nous avons commencé à les travailler en France. Pour ma part, il me fallait faire appel à une culture collective un peu floue, une connaissance virtuelle de la culture espagnole, tandis qu’ en visitant Séville, celle-ci a trouvé un écho concret.

Nous avions déjà eu cette démarche d’ aller apprendre les chants traditionnels sur place auprès de professionnels, en ce qui concerne les chants de marins bretons, ou les chants flamenco.
Avoir travaillé le flamenco dans notre conservatoire à Milly-la-Forêt en France auprès de Claude et Maguy nous a fait apprécier ce répertoire. C’ est pourquoi notre chef de chœur Annie Couture a organisé un stage à Séville, avec Laura Vital.

En quoi les seize heures de travail avec Laura ont-elles changé, affiné, votre perception et votre interprétation du chant flamenco ?

Ce travail avec Laura nous a vraiment orienté vers l’ imitation, tout en nous en montrant les limites. En effet nous savons maintenant que le flamenco, une musique populaire et de tradition orale, est aussi une source intarissable de points solfègiques, qui rendent le style difficile mais extrêmement passionnant à étudier de manière théorique. Le flamenco est donc une musique populaire-savante qui est en lien permanent avec la danse, la guitare (et le rythme pour les chants dit "a compás").

De plus, contre les idées reçues, le flamenco ne demande pas forcément une voix "cassée et rauque", mais dans tous les cas une véritable technique vocale et ornementale. Les ornements ne sont pas le reflet d’ un relâchement de la note mais au contraire un soutien permanent par le souffle. Ainsi le souffle du chanteur flamenco est remarquable dans le soutien et dans sa durée.

Je n’ avais encore presque jamais entendu ni chanté ce répertoire, mais la méthode de transmission par l’ oralité est toujours très efficace (comme pour la musique arabo-andalouse ou les mélodies roumaines), autant pour l’ apprentissage que pour la mémorisation à long terme. Je me souviendrai de ces chants longtemps après les avoir appris.

Le fait d’avoir pu découvrir une autre méthode de travail du chant flamenco que celle de Maguy et de Claude, dont nous profitons depuis quelque temps, m’ a permis de me rendre compte des subtilités de ce genre musical à part entière. Laura est une chanteuse talentueuse, doublée d’ une très bonne pédagogue, car parvenir à transmettre un savoir oral tout en évitant la barrière de la langue, ce n’ est pas donné à tout le monde ! J’ ai beaucoup appris sur la rigueur rythmique dont il faut faire preuve pour réussir un chant "a compás", sur la gestion des phrases mélodiques, sur les notes d’ appui dans les chants sans compás (un travail que j’ avais déjà entamé avec Maguy et Claude sur des Malagueñas) … Au final, le chant flamenco s’ est révélé sous un visage qui m’ était encore un peu étranger, et j’ en suis très heureux

Avant le travail avec Laura, je n’ avais qu’ une connaissance très limitée, voire inexistante, du chant flamenco. A mon grand regret, j’ avais souvent tendance à l’ assimiler à une musique brutale et donc dénuée de subtilités. Mais Laura m’ a effectivement ouvert les yeux. J’ ai appris à reconnaître la beauté et la "vie" de ces chants, révélés par une gestuelle expressive et une intériorisation rythmique et de l’ espace très rigoureuse. Tout cela n’ excluant pas une présence mélodique (plus ou moins complexe selon les œuvres) et l’ utilisation de nuances. Les chants flamencos, s’ ils observent certaines similitudes par leur appartenance à un même style, n’ en conservent pas moins des particularités et une "âme" propre qui, chantés par la talentueuse Laura, les rend très attrayants.

L’ oralité, quoi que difficile dans notre monde actuel, nous a permis de nous concentrer sur les seules explications et la seule voix de Laura.
J’ ai mieux compris les mécanismes de mélismes et de rythmique. De la même manière, en ce qui concerne le souffle dans le chant flamenco et la dynamique.

Ce travail avec Laura nous a permis d’ affiner notre perception du flamenco tout d’ abord de par la proximité. Le fait qu’ elle ne soit qu’ à quelques mètres de nous, nous a fait prendre conscience à quel point le corps et la gestuelle étaient importants en chant flamenco. De plus, cela nous a permis de cibler les difficultés techniques principales ainsi que l’ importance de la prononciation. Nous avons également pu nous rendre compte qu’ être en adéquation rythmique et musicale avec le(s) guitariste(s) était fondamental.

Ces heures de travail m’ ont permis de mieux comprendre le sens de la musique flamenca et ainsi d’ avoir une interprétation plus personnelle et réfléchie qu’ auparavant.

Tout d’ abord, j’ ai redécouvert le flamenco comme technique. Ce qui semble libre, ouvert à n’ importe quelle interprétation, se révèle être soumis à un cadre rythmique indispensable.
L’ aspect traditionnel, qui implique une transmission orale, rend ce cadre rythmique d’ autant plus important qu’ il doit bien être intégré, compris.

Puis, lorsque l’ on tient le rythme, il y a encore un aspect technique important qui consiste en un certain placement de l’ air et de la voix. Chaque partie du corps y participe, ce qui donne une certaine résonance à la musique. C’ est notamment ce qui m’ a impressionnée chez Laura.
De cette technique bien acquise peut découler l’ émotion. Or, en flamenco, on n’ est pas avare d’ émotion… Cependant j’ ai réalisé qu’ il était faux de la voir comme quelque chose d’ excessif. J’ avais auparavant une vision de quelque chose d’ assez poussif, comme une longue plainte infinie. J’ ai découvert l’ aspect agréable et positif du "pathétique" inhérent au chant flamenco, notamment à travers l’ esthétique du texte, dont on allonge les mots pour accentuer leur mélodie.

Pour les textes, nous avons travaillé plusieurs chants que j’ ai compris comme des hymnes, des éloges d’ une terre et / ou d’ un peuple, d’ une tradition, et c’ était très agréable de chanter pour faire l’ éloge de quelque chose.

Nous avons beaucoup travaillé la précision des mélismes, apprenant à les détailler rigoureusement pour les "fixer" dans la mémoire. De plus, Laura nous a fait travailler l’ aspect rythmique du flamenco, au travers de l’ étude de divers compás, ce qui nous a permis d’ être plus en place avec la guitare.
Par ailleurs, nous avons abordé avec Laura un répertoire plus difficile d’ accès que jusqu’alors, ce qui a enrichi notre écoute du flamenco.
Enfin, nous avons également travaillé sur la justesse d’ interprétation et les nuances, en rapport avec le texte.

¡Bis !

Vous avez entendu deux chanteurs de référence, Laura Vital et Jesús Corbacho. Pouvez-vous analyser ces deux conceptions d’ interprétation et de technique ?

L’ impression générale laissée par l’ écoute de ces deux voix, est que le flamenco ne nécessite pas un type de voix particulier. En effet Laura, une voix ronde et chaude avec beaucoup de puissance (voix de poitrine exclusivement utilisée) donne la couleur flamenca telle que je me la figurais. Mais après avoir écouté Jesús, il apparaît que le flamenco donne sa place aux effets de voix (légèrement dans le nez). Une voix pas forcément puissante, même parfois fine, comparable à celle des chanteurs baroques, est très appréciable dans ce style. Je pense que la façon de conduire la mélodie (et donc la part d’ improvisation du chanteur) est plus importante pour caractériser le flamenco que le type de voix du chanteur. Il est véritablement question d’ interprétation propre. Laura nous a montré entre autre dans le travail son attachement aux nuances, son soutien dans les montées ornementales qui se relâche dans les descentes tout en maintenant le soutien du souffle ; l ’importance du cadre dans les chants "a compás" : toujours avoir le rythme dans la tête en lien permanents avec le chant.

Nous avons pu voir chez Jesús la diversité des ornementations, qui utilise les changements de timbre de sa propre voix.

La technique de chant de Jesús Corbacho nous a tous, je pense, surpris au premier abord. Il me donnait l’ impression d’ intérioriser sa voix, créant ainsi un son nasillard, totalement en contraste avec ce à quoi nous avait habitués Laura Vital lors des précédents jours. Les deux chanteurs avaient leurs propres nuances, celles de Laura évoluant plus dans le forte que celles de Jesús.

L’ interprétation de Laura nous était plus abordable que celle de Jesús, moins familière et plus complexe de par le contrôle et le passage de l’ air à l‘ intérieur de la zone faciale.

Je ne pense pas m’ y connaître assez en interprétation et en technique de chant flamenco … Néanmoins, il m’ a semblé que Laura jouait beaucoup sur la place du son, sur son volume et sur son intensité, dans un registre assez grave pour une voix de femme, ce qui lui fait utiliser un registre de poitrine caractéristique du chant traditionnel, pour faire passer les sentiments propres au chant flamenco. Jesús, au contraire, utilise une technique vocale qui repose plus sur l’ ornement, presque à l’ excès, de la ligne mélodique, tout en restant dans un volume sonore assez faible et dans un registre qui ne lui permettait peut-être pas de se servir pleinement de sa voix de poitrine, ce qui fait passer un tout autre message à l’ auditeur.

Le fait qu’ il y ait eu une danseuse pendant que Jesús chantait a pu aussi modifier ma manière de recevoir le chant. Nous avons aussi passé beaucoup plus de temps avec Laura, et l’ affectif a sans doute influé sur ma manière d’ analyser leurs différentes conceptions du chant flamenco. Ce sont toutefois de très bons chanteurs, et j’espère avoir l’occasion de les écouter à nouveau.

Je ne suis pas très bien placé pour répondre à cette question, mais je peux avancer que ces deux chanteurs mettent en exergue deux conceptions différentes, tout d’ abord par leur sexe et ensuite par leurs recherches d’ interprétation et de technique très complexes. Je pense que Laura joue plus sur l’ espace "extérieur", avec un volume sonore plus important, et chante très peu en registre de tête, ce qui rend ses aigus très éclatants. Jésús joue plus sur l’espace "intérieur", avec un volume sonore moins important. Ce dernier l’ a bien montré lors de sa démonstration vocale dans la Malagueña. Ils recourent tous deux très largement à l’ ornementation pour embellir et personnaliser la mélodie, ainsi que pour faire passer l’ intention aux spectateurs.

Il me semble que Jesús Corbacho a choisi d’ intérioriser. La voix passe dans le nez, mais tout est en résonance. Et c’ est ça qui est particulier.
Laura Vital a une autre approche, celle d’ extérioriser, dans le sens où la dynamique lui permet de ne jamais se fatiguer. Elle utilise le plus souvent sa voix de poitrine ou mixte (il me semble).

Néanmoins, l’ émotion rejaillit dans ces deux conceptions, et je pense que le "message est passé"... !

Chacun des deux chanteurs avait une interprétation très personnelle de leurs chants. En effet, on a pu remarquer que Laura Vital interprétait les chants étudiés de manière très vive, très rythmique, alors que Jesús Corbacho avait une conception très intime et plus introvertie de ses chants. Cependant, ils vivaient tous les deux leur musique et l’ exprimait de manière différente. Ils nous transmettaient leurs émotions notamment à travers la gestuelle qu’ ils utilisaient beaucoup. On pouvait repérer qu’ ils utilisaient tous les deux une même technique de base et respectaient les points d’ appuis rythmiques du flamenco, tout en y mêlant leur expression personnelle.

Pour moi, Laura a une technique de voix beaucoup plus démonstrative tandis que Jesús est plus dans l’ intériorisation.

Les deux chanteurs offrent beaucoup d’ émotion. Mais nous ne les avons pas vus travailler dans les mêmes conditions : c’ est pourquoi il est difficile de comparer. Pour Jesús, je ne peux juger que ce que j’ ai vu en concert, c’est-à-dire dans un contexte moins détendu que les cours avec Laura. J’ ai trouvé qu’ il s’agissait d’ un chant très intérieur, malgré une puissance sonore évidente. Le travail de l’ air était assez fascinant, puisqu’ on avait l’ impression que le son était continu, qu’ il n’y avait pas de césure au moment de la reprise de souffle. Le son semblait même effectuer un cycle, revenant à son point de départ après avoir été extériorisé (mais tout ça est difficile à décrire, puisque je n’ ai pas tout à fait compris la technique en question).

De la même manière, chez Laura, la gestion du souffle est impressionnante, notamment chez elle du fait de la puissance vocale avec laquelle le chant est projeté (alors que je l’ ai trouvé plus pincée, plus retenue chez Jesús, sans que ça fasse forcément une différence de volume).

Nous avons pu observer que Laura accompagnait cet effort de gestes, voire de mouvements de danse du corps entier, ce qui évoquait comme des correspondances entre chant, rythme et sensation. Ces gestes semblaient si naturels qu’ ils donnaient l’ impression qu’ elle ne pouvait pas se tromper, le rythme étant comme ancré dans son corps. C’ est, selon moi, le résultat d’ une véritable appropriation du chant, c’est-à-dire le résultat du passage de la technique parfaitement intégrée à l’ interprétation personnelle.

Les deux interprètes ont donc pour moi cette fraîcheur qui fait de la technique quelque chose qui semble intuitif, naturel, alors que cela n’ a rien de simple.
Chaque chanteur gagne ainsi une indépendance par rapport au chant d’ origine, ayant la capacité de le moderniser, de le réactualiser tout en le respectant dans le fond (la technique). J’ ai l’ impression que ce phénomène encourage de ce fait d’ autant plus la transmission, puisqu’ il donne la certitude que l’ interprétation donnera à chaque fois quelque chose d’ unique
.

L’ interprétation de Laura Vital m’ a semblée plus passionnée, plus engagée que celle de Jesús Corbacho, qui lui serait plus dans une atmosphère de lamentation.
De plus, Jesús Corbacho utilise une technique vocale plus nasale, tandis que Laura Vital semble utiliser une voix de poitrine.

ENTRETIEN AVEC LAURA VITAL

Flamencoweb : Tu es une artiste qui a plus d’ une corde à son arc. Nous t’ avons vue en concert à Málaga avec José Menese, à la Biennale de Séville dans un spectacle pour enfants, "Flamenco school" ; à Nîmes cette année tu as présenté un autre spectacle pour enfants "Flamenco Land", hier nous t’avons vue au Théâtre de l’ Odéon de Nîmes dans un récital de poésie, chant et guitare, et ce soir au Théâtre de Nîmes dans un autre contexte encore…

Laura Vital : …et en plus je suis psychologue !… En fait, j’ aime tout ce qui est création. Je ne suis pas quelqu’ un de conformiste. Je suis très exigeante envers moi-même et par là même, je suis quelqu’ un d’ inquiet. En fait nous devons faire connaître toutes les facettes que nous avons en nous et que nous n’ osons pas exprimer parce que nous avons des préjugés. J’ ai dû me défendre contre mes propres préjugés.

F W : Quel genre de préjugés ?

L V : Par exemple, nous sommes habitués à chanter flamenco assis sur notre chaise, habillés d’ une certaine façon, et dans "Flamenco School" je devais porter un gilet à paillettes, être assise dans un autobus, et ça pour une flamenca… Mais je devais faire connaître ma vraie personnalité… En fait, je suis un peu hippie, je suis peu conformiste et je voulais faire ressortir tout ça, avoir le courage de le montrer. J’ aime la création.

F W : Tu t’ intéresses aussi à tout ce qui est didactique, pédagogie.

L V : J’ aime les enfants . Je pense que l’ avenir leur appartient. Dans les festivals, je suis surprise de voir qu’ il y a surtout des gens d’ un certain âge dans le public, et je me demande ce qu’ il va advenir du flamenco dans vingt ans. Nous devons conquérir de nouveaux publics. Les enfants sont l’ avenir de notre art. Dans "Flamenco School" nous avons voulu leur présenter un flamenco authentique qui ne soit pas édulcoré, nous leur avons chanté des Siguiriyas, des Soleares, toute une série de styles, mais dans un contexte très attrayant très coloré, afin de leur faciliter la compréhension de notre art.

F W : A ton avis, le flamenco devrait-il faire partie du cursus scolaire ?

L V : Bien sûr. Je pense que les enfants doivent grandir avec le flamenco. Nous, nous l’ avons appris en famille. Mon père et mon grand père chantaient, et pour moi ça a été facile, j’ ai grandi dans cet environnement tout naturellement. Nous devons faire en sorte que l’ enfant voit le flamenco avec le même naturel que nous, qui avons eu la chance de baigner dedans, afin qu’il s’ intéresse à la musique flamenca. Il faut l’ initier depuis l’ enfance et que ce ne soit pas quelque chose d’ épisodique. Le flamenco doit lui être accessible, et ce n’ est pas avec une émission de flamenco diffusée à trois heures ou quatre heures du matin qu’ on y arrivera. L’ école est, par conséquent le meilleur instrument. On peut, dans les écoles, inscrire dans le cursus scolaire la culture andalouse. Moi j’ ai eu la chance d’ avoir un père chanteur et une grand mère danseuse. Si dès son plus jeune âge, à l’ école, on familiarise l’ enfant à la structure rythmique, s’ il est habitué à écouter du chant, parvenu à l’ âge adulte il l’ aura intériorisé. Donc si nous voulons que les enfants connaissent le flamenco, nous devons l’ enseigner dans le cadre scolaire et non dans une émission de radio qui passe à quatre heures du matin.

F W : En quoi consiste ton travail au Conservatoire ? (de Séville - N D L R)

L V : Les étudiants que j’ ai au Conservatoire ont passé un examen d’ admission. Ce sont des gens qui chantent, qui savent chanter, mais qui ne connaissent pas le répertoire. Mon travail consiste donc à leur monter un répertoire afin qu’ ils sachent où se trouvent les origines de cet art, car si nous voulons savoir où nous allons, nous devons savoir d’ où nous venons. Je travaille beaucoup par conséquent sur les origines. Je travaille le flamenco classique, mais je ne leur donne pas seulement des cours de chant, je donne aussi des cours de technique vocale, des cours sur les instruments, sur l’ histoire du flamenco, la littérature, la versification, la mise en scène.

F W : Dans le spectacle "Convivencias" que nous venons de voir, il y a du chant flamenco polyphonique. Comment êtes-vous arrivés à ce résultat ?

L V : C’ est un travail intéressant, très beau, mais nous en sommes au début. Le spectacle que nous avons présenté est en format réduit. Il est prévu pour être plus long et nous devons présenter davantage de styles. Nous avons une Soleá que nous n’ avons pas pu présenter parce que cela aurait été trop long, il y a également des Sévillanes à trois voix dans lesquelles Manuel (Manolo Franco - le guitariste) joue la ligne mélodique du chant avec sa guitare et nous , nous faisons les accords de l’ accompagnement et les réponses au chant de la guitare. Nous avons travaillé d’ oreille, ce serait intéressant de pouvoir l’ écrire, mais je ne m’ y connais pas suffisamment pour pouvoir écrire la musique, et encore moins le flamenco. Nous travaillons sur la polyphonie depuis des mois, c’ est un processus créatif de longue haleine, mais nous n’ étions pas pressés, nous voulions que ce travail soit abouti. C’ était un pari risqué parce que le spectacle de ce soir était une première. Nous présentions pour la première fois notre travail au public, c’ était une véritable première et nous étions morts de peur.

F W : Vous faites une "rénovation des vieux chants" pour reprendre le titre d’ un des premiers LP de José Menese.

L V : C’ est que dans les vieux chants, tout y est. Par exemple le chant de la Rosa, le premier chant, l’ unique ; je vous parle de la Rosa primitive, celle enregistrée par Ramón Medrano dans la "Magna Antología" d’ Hispavox ; nous avons décidé mon père et moi de l’ harmoniser parce que, lorsqu’ il l’ a enregistrée, Ramón Medrano avait 80 ans et il n’ avait plus toutes ses facultés vocales. Il y a tout un répertoire classique que l’ on peut exhumer et renouveler, auquel on peut donner une deuxième vie et que l’ on peut faire sonner contemporain. En Andalousie, nous allons présenter "Convivencias" dans le cadre du cycle "Flamenco viene del Sur", à Grenade, et là, nous pourrons le faire dans sa version longue. Nous allons réduire la partie consacrée aux poèmes car elle est un peu longue, elle dure dans les vingt minutes, et nous allons rajouter d’ autres choses.

F W : Comment se fait le travail avec Manolo Franco ?

L V  : Facilement… Manolo est quelqu’ un de très créatif, il sait se donner avec une grande sensibilité, parce que nous sommes trois voix, trois personnalités différentes, et il s’ adapte à nous. Aussi bien Paco (Niño de Elche) que Rocío (Rocío Márquez) ou moi, nous nous sentons privilégiés. Il y a une très belle forme de communication entre lui et nous, car pour nous il est le Maître, qui nous accompagne avec toute sa sensibilité ; et lui, il se sent rajeuni par notre fraîcheur. Il se crée une énergie très forte.

F W : Quels sont tes projets ?

L V : Pour le moment, avec la production, faire la promotion de ce spectacle. J’ ai aussi "Flamenco School" et "Flamenco Land" pour lesquels nous avons des projets à l’ étranger. Et le projet d’ une pièce de théâtre avec Eduardo Rebollar, le guitariste qui m’ accompagnait hier, et une actrice de Séville, Susi, sur la vie de la Niña de Los Peines. Elle s’ intitule "Pastora eterna" (Pastora pour l’ éternité). Je vais faire aussi un disque, et je suis en train de mettre tout en œuvre pour commencer à enregistrer en février.

F W : Tu affectionnes particulièrement les chants de Cádiz, les Bulerías de La Perla.

L V : Mais c’ est que Cádiz est unique !…

F W : Reste - t’ il encore des Cantiñas à découvrir à Sanlúcar de Barrameda ?

L V : Oui. Il y a des chants qui sont peu connus comme celui de la Rosa, ou d’ autres peu chantés comme les Mirabrás et les Caracoles, et qui sont très beaux. C’ est pourquoi nous avons voulu les faire.

F W : Chanter la Rosa à la fin d’ une série de Cantiñas, cela doit être difficile pour des raisons de tessiture. A ce propos, comment avez-vous fait ce soir pour que le guitariste puisse vous accompagner tous les trois. Cela doit être difficile, vous n’ avez pas la même tessiture

L V : Il y a des choses à reprendre. Par exemple pour les Tangos, je les chante normalement avec un capodastre à la septième case, "por medio". Ce soir, je les ai chantés avec un capodastre à la troisième case, deux tons plus bas : c’ était trop grave pour moi. Mais c’ est très dur à mettre au point car Paco (Niño de Elche) chante grave, Rocío est mezzo et moi je suis un peu grave mais pas tant que ça . Paco a été obligé de modifier un peu la mélodie des Caracoles pour pouvoir les chanter.

Propos recueillis en espagnol et traduits par Maguy Naïmi pour Flamencoweb, lors du Festival Flamenco de Nîmes, le 15 janvier 2012 - lire le texte espagnol dans notre rubrique "Todo en español"

Discographie de Laura Vital

"Cantando junto al mar" : Fonoruz, 1994

"Ganadores del III Concurso de Jóvenes Intérpretes. XI Bienal de Sevilla" : Senador, 2001

"A mis soledades voy, de mis soledades vengo" : BOA Records, 2004

Participations diverses :

Pepa Sánchez : "Cantes y cantares de Triana", 2006

"Homenaje a Naranjito de Triana", 2006

"An Andalussian affair", 2008

"Antología del Cante por Serranas", 2009

Laura Vital





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