Rétrospective Carmen Amaya à Madrid

mardi 3 septembre 2013 par Nicolas Villodre

Cycle Carmen Amaya : O Dikhipen. Gitanos en el cine / Filmoteca Española, Madrid, du 3 au 29 septembre 2013.

Dans le cadre de la sixième édition de la manifestation O Dikhipen-Gitanos en el cine (organisée avec l’ appui de l’ Instituto de Cultura Gitana et l’ aide de Montse Madridejos et David Pérez Merinero), à l’ occasion du 50e anniversaire de la disparition de la plus intense des bailaoras du 20e siècle, la Filmoteca Española rend justement hommage à Carmen Amaya ce mois de septembre 2013. Notre amie Catherine Gautier et son équipe de détectives ont retrouvé pratiquement tous les films où figure cette star de la danse flamenca catalane (il n’y a pas que la crème, la sardane et la rumba qui puissent puiser leurs origines en Occitanie, le vrai art… andalou aussi !), née (d’

après les organisateurs) en 1918 et non (comme l’ indiquent wikipedia et les moutons de Panurge) en 1913, repérée gamine à Barcelone par le géant de la guitare Sabicas, qui l’ accompagnera durant des années au cours de leur exil et / ou tournée américaine, ce dès le déclenchement de la Guerre Civile espagnole, captée toute jeunette par les caméras 35mm du cinéma républicain, lancée au firmament du star system par le Diaghilev américain, l’ imprésario Sol Hurok, immortalisée par le photographe Gjon Mili dans une double page du magazine Life en 1941 (le n° 10 du volume 10 du 10 mars, pp.12-13, pour être précis), filmée en long, en large et en travers par les réalisateurs hollywoodiens et latino-américains. Disparue trop tôt, en 1963, avant la sortie de son dernier film, et non des moindres, Los Tarantos

Dans les années 1910, l’ actuelle plage Nova Icària-Bogatell était un no man’s land appelé Somorrostro où vivait la tribu gitane de José Amaya, guitariste et

géniteur de Carmen. Dans les années vingt, la danseuse se produit avec parents et fratrie, pour quelques pièces de monnaie, dans les établissements barcelonais du barrio chino. Remarquée par l’ entourage de la chanteuse populaire Raquel Meller, elle est engagée dans la troupe de cette dernière, de nouveau invitée à Paris en 1929. C’ est dans la ville-lumière que le cinéaste Benito Perojo se décide à engager le trio Amaya pour son long métrage La Bodega (1930), une co-production franco-espagnole, film inspiré par l’ école soviétique (si l’ on en croit l’ historien du cinéma Román Gubern), qui permet de se rendre compte du jeune âge de Carmencita et de remettre en cause une date de naissance on ne peut plus approximative (le fait de se vieillir multipliait les chances pour la gamine de se faire engager dans le milieu du spectacle).

Dans Dos mujeres y un don Juan (1933) de José Buchs, Carmen Amaya fait encore de la simple figuration intelligente en jouant les palmeras. Dans Don Viudo de Rodríguez (1935) de Jerónimo Mihura, on la retrouve avec le comique de l’ époque, Lepe. Deux autres fameux films de la période républicaine faisaient partie du fonds de la Filmoteca : La Hija de Juan Simón (1935) de José Luis Sáenz de Heredia, avec le célèbre chanteur Angelillo, film auquel collabore… Luis Buñuel, et María de la O

(1936) de Francisco Elías, où celle qu’ on surnomme déjà La Capitana figure au côté de Pastora Imperio et où l’ un des ses numéros de danse, parfaitement réglé, est filmé par une caméra plongeante.

Après Barcelone (où elle zapatée sur les scènes suivantes : le Bar del Manquet, le Cangrejo Flamenco, l’ Edén, le Teatro Circo Barcelonés, le bar de Juanito El Dorado ou la Villa Rosa), on la retrouve à Madrid, Séville, Saint-Sébastien ou à Valladolid. Outre Pastora Imperio et Sabicas, déjà cités, d’ autres partagent avec elle l’affiche : Concha Piquer, Miguel de Molina (au Théâtre de la Zarzuela, notamment), La Niña de los Peines, Manuel Vallejo, Manuel Torres, José Cepero, les Borrull, Niño Ricardo et Ramón Montoya.

En Amérique latine où la tribu Amaya se rend dans des conditions rocambolesques depuis le Portugal, Carmen se produit en Argentine, en Uruguay, au Chili, au Pérou, au Brésil, en Équateur, au Venezuela, en République dominicaine, à Cuba, au Mexique avant de tourner aux États-Unis. Ses routines de danse ainsi qu’ un ou deux instrumentaux de son partenaire

Sabicas sont filmés en intégralité afin de promouvoir la troupe ou bien hachés menus et insérés dans des fictions, voire des films de propagande hollywoodiens destinés surtout à mobiliser les diverses composantes de la population (l’ Amérique blanche se met alors à découvrir ses artistes de jazz dans des comédies telles que Cabin in the Sky ou Stormy Weather).

Deux courts métrages font déjà partie de l’ histoire du film de flamenco : El Embrujo del Fandango (1940) de Jean Angelo (qui est cité dans le long métrage de cette même année, Martingala, de Fernando Mignoni, avec le cantaor Niño de la Marchena et la débutante Lola Flores) et Danzas gitanas / Original Gypsy Dances (1941) de Jack Kemp, une bande commanditée par Sol Hurok. Elle danse en pantalon, ce qui en Espagne eût pu choquer, semble s’ être fait retoucher (affiner) le nez suivant les canons de la chirurgie esthétique américaine et s’ y affirme pionnière en matière de "Gender", quelques années après Marlene Dietrich (cf. Morocco, 1930). À Hollywood, Carmen tourne dans Knickerbocker Holiday / Pierna de plata (1944) de Harry Joe Brown (dont la Filmoteca a pu obtenir une copie neuve de Cohen Media Collection-Park Circus), Follow the Boys / Sueños de gloria (1944) d’ Eddie Sutherland, avec… W.C. Fields, George Raft et la danseuse fétiche de Balanchine, Vera Zorina, See My Lawyer / Entiéndase con mi abogado (1945) d’ Edward F. Cline (copies fournies par les studios Universal). Au Mexique, elle virevolte dans le mélodrame Los Amores de un torero / Pasión gitana (1945) de José Díaz Morales (copie prêtée par la Library of Congress).

La rétrospective présente aussi quelques curiosités : le film français au titre amusant Quand te tues-tu ? (1953) d’ Émile Couzin, le documentaire inédit Bajaní (2013) d’ Eva Vila, avec Karime Amaya, Winny Amaya et Juanito Manzano, Granizo sobre los cristales (2004) de David Prats, El fabuloso Sabicas (2012) de Pablo Calatayud, le court métrage de Juan Gyenes, Danza española (1962), les actualités cinématographiques la concernant, de 1947 (date de son retour en Espagne) à 1963 (date de sa mort à Bégur et aussi de la sortie du beau film de Francisco Rovira Beleta, Los Tarantos).

Los Tarantos fut tourné en 70 mm. Carmen Amaya s’ y donne totalement. Elle y crève, littéralement et, par la même occasion, elle crève aussi l’écran.

Nicolas Villodre

Galerie sonore

Carmen Amaya : Fiesta jerezana (Bulerías) - guitare : José et Paco Amaya

Carmen Amaya : Garrotín - guitare : Sabicas


Fiesta jerezana
Garrotín




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