Alegrías et Cantiñas

vendredi 18 mars 2011 par Claude Worms

1) Antécédents

La terminologie flamenca est décidément bien confuse. Selon certains spécialistes, le terme générique "Cantiñas" désigneraient tous les cantes apparentés au groupe des Alegrías, celles - ci comprises. Pour d’ autres, il conviendrait de réserver ce terme aux cantes apparentés aux Alegrías, qui jouiraient alors d’ un statut particulier. Ajoutons que beaucoup de cantes du groupe, attribués à tel(le) ou tel(le) créateur ou créatrice, sont désignés indifféremment comme Alegrías ou comme Cantiñas (par exemple : les cantes de Rosa La Papera et de sa fille, La Perla de Cádiz : Alegrías, ou Cantiñas ?). Pour plus de clarté, nous désignerons par le terme Alegrías les modèles "classiques" que nous ont transmis Aurelio Sellès et Pericón de Cádiz, les deux grands spécialistes du genre pour la première moitié du XX siècle, et réserverons le terme Cantiñas pour tous les autres.

Les témoignages de ces deux cantaores sont convergents, et assignent la paternité des Alegrías à Enrique El Mellizo, qui aurait adapté au compás de la Soleá des jotas aragonaises et navarraises, en en enrichissant considérablement l’ ornementation mélismatique, selon un processus habituel à la création des cantes du répertoire flamenco, que nous avons déjà eu l’ occasion de décrire dans plusieurs précédents articles. Hypothèse vraisemblable : la structure harmonique des Alegrías est identique à celle des Jotas (mode majeur, et mélodies basées sur les accords de tonique et dominante alternativement, avec éventuellement une cadence finale sur une séquence sous-dominante / tonique / dominante / tonique. D’ autre part, nombre de futures Cantiñas et Alegrías ont longtemps été nommées "Jotillas de Cádiz". On sait que les guerres contre l’ envahisseur français provoquèrent au début du XIX siècle une arrivée massive à Cádiz de "volontaires" (plus ou moins...) aragonais, et que, plus généralement, une immigration importante de gens venus du nord, attirés par l’ activité commerciale des ports de la baie gaditane, persista pendant tout le XIX siècle. Beaucoup ouvrirent des tavernes, et aller chez le "norteño" signifiait, en Andalousie, aller à la taverne (en somme, les "bougnats" locaux). Les Alegrías semblent postérieures aux autres cantes majeurs créés à Cádiz et Séville (Polo, Caña, Serrana, Siguiriyas, Soleares), et aux multiples dérivés des Fandangos. La première mention explicite (sous réserve de prochaines découvertes) date de 1869. Nous devons une fois de plus cette information au blog de Faustino Nuñez ("El afinador de noticias") :

"Teatro del Balón, 3 juin 1869 : "El Quiqui" chantera "por alegre", accompagné à la guitare par le célèbre professeur Sr Patiño, et, à la danse, par le jeune prodige Vicente, connu comme "El Colorado". Monsieur Manuel Vives, "El Zapatero", chantera "por alegre", accompagné par Monsieur Patiño y Monsieur Antonio Mellado, connu comme "En Raspador" (danse)...".

C’ est sans doute cette relative nouveauté qui explique le nombre réduit des transcriptions pour piano, ou piano et chant, dans les nombreux cancioneros de l’ époque. Seuls Modesto et Vicente Moreno proposent une version pour piano solo dans le premier cahiers de leur "Colección de cantos y bailes populares españoles". Ecrite en 3/8 et en La Majeur, son introduction est à peu près identique à celle de la transcription pour guitare de Rafael Marín, de 1902 : rasgueados (accords plaqués pour le piano) ; mesure à 3/8 également ; premier compás avec accord de A aux temps 1 à 7, accord de E7 aux temps 8 et 9, et "cierre" sur l’ accord de A aux temps 10 à 12... Curieusement, deux compositeurs français se sont intéressés aux Alegrías :

_ Henri Collet, dans sa suite pour piano "Clavelitos.Danses gitanes", opus 87 : le numéro 3 est une Alegría en Sol Majeur (peut-être avait-il eu connaissance de la célèbre composition de Javier Molina - cf : ci-dessous), en 3/8, dont la partie centrale évoque l’ "escobilla" de la danse.

_ Raoul Laparra, dans le deuxième cahier de ses "Vueltas", pour piano. Le numéro 8 est titré Alegrías (notez le pluriel), et évoque tour à tour le chant et la danse. La composition (mesure à3/8) est plus développée que celle d’ Henri Collet, avec un grand nombre de modulations.

Mais c’ est grâce au baile que les Alegrías se firent définitivement une place dans le répertoire flamenco. Dans sa méthode de guitare, Rafael Marín écrit à propos des Alegrías :

"On les connaît sous diverses dénominations. Certains les appellent Juguetillos, d’ autres La Rosa (dans sa méthode, Marín présente deux transcriptions : l’ une en La Majeur, nommée Alegría ; l’ autre en Mi Majeur, nommée "La Rosa" en en-tête, mais Alegría dans le sommaire - NDT), ou encore El Agua. Elles se chantent et se dansent le plus dans les provinces de Séville et de Cádiz. Quand on jouait et dansait les Alegrías il y a quelques années, elles avaient un tempo bien différent de celui d’ aujourd’ hui. Elles étaient alors presque andante, et actuellement, le tempo est prestissimo, si on le peut"

Et plus loin :

"Les véritables bailes flamencos sont très peu nombreux. En effet, si certains ont dansé les Guajiras, les Soleares et les Siguiriyas, ils ont dû abandonner peu à peu, puisque tous ces bailes se réduisaient à reproduire les mêmes figures et positions que celles des Alegrías. Et comme leurs tempos étaient beaucoup plus lents que celui des Alegrías, il en résultait des danses beaucoup plus monotones et beaucoup moins brillantes que celle des Alegrías..."

La description qu’ il nous donne de l’ accompagnement de la danse implique que la chorégraphie consistait en une suite de marquages du cante (donc : bras, mains et buste) et de pas sur l’ accompagnement de la guitare (donc : zapateado, nos actuelles "escobillas"). On ignorait à l’ époque, semble-t’ il, le "silencio" (cf : ci-dessous).

"Pour accompagner la danse des Alegrías, on commence par des rasgueados. Ensuite, le cantaor entonne une copla : la bailaora fait sa "salida" et commence à danser. Une fois le chant achevé, la bailaora exécute un mouvement de corps, presque imperceptible, mais suffisant pour que le guitariste comprenne qu’ elle veut commencer une falseta (le terme, tel que défini par Marín, indique à l’ époque une série de figures de la danse, et non une variation de la guitare. DNT). Alors, l’ accompagnateur commence une variation, qu’ il répète à sa guise, ou qu’ il lie à une autre, et ainsi successivement, jusqu’ à ce que la bailaora indique par un autre mouvement qu’ elle veut le chant. Alors, le guitariste exécute quelques temps en rasgueados, et enchaîne immédiatement par ce qu’ on nomme le remate de falseta". (traditionnellement, une séquence IV - I - V7 - I, sur un compás. NDT).

La Macarrona / La Mejorana / Pastora Imperio

Les premières spécialistes du genre étaient d’ ailleurs à la fois bailaoras et cantaoras (certaines ont même créé des Cantiñas encore en usage actuellement) : La Malena, La Macarrona, La Pitraca, Gabriela Ortega, Tía Luisa La Butrón et, surtout, Rosario Monje "La Mejorana". Si la plupart sont gaditanes (à l’ exception des deux premières, respectivement de Jerez et Séville), la chorégraphie canonique s’ est progressivement constituée à Séville, dans les cafés cantantes les plus importants, dont le Café de Silverio, le Café del Burrero, ou encore le Café Novedades. Il existe donc une école sévillane du baile por Alegrías, essentiellement féminine, marquée successivement par Pastora Imperio (la fille de La Mejorana), Matilde Coral et Milagros Mengibar.

Les bailaores ne furent pas en reste, depuis Miracielos, dont on assure qu’ il fut le premier à danser sur la guitare seule. Une lignée à particulièrement développé la chorégraphie des Alegrías, avec un exact équilibre entre mouvements de bras, "posturas", et zapateado : Miracielos et ses disciples, Enrique El Jorobao, puis Antonio el de Bilbao. Leur esthétique fut ensuite portée à son point de perfection par Vicente Escudero. L’ autre référence, pour les mouvements de bras et le placement du corps, est Juan "El Estampio", maître de Jerez. Nous y ajouterons, pour le zapateado et les "desplantes", le gaditan Lamparilla, le sévillan Francisco Mendoza Ríos "Faíco", et le madrilène Joaquín El Feo, par ailleurs créateur du baile "por Caracoles".

El Estampio / Antonio el de Bilbao / Vicente Escudero

Pour les falsetas de guitare les plus traditionnelles, un autre antécédent semble probable, les Panaderos. Nous avons déjà eu l’ occasion de remarquer la parenté du court final sous-titré "Jaleo final (Panaderos)" du "Polo gitano y Panaderos", opus 2, de Juan Parga, avec certaines falsetas comparables à celles de "La Rosa" de Ramón Montoya, même si les tonalités diffèrent - respectivement La Majeur et alternance Mi Majeur / Mi mineur (cf : dans la même rubrique, "Polo ? Caña ?? Policaña ???"). De même, les Panaderos de Rafael Marín, en La Majeur, évoquent certaines falsetas des Alegrías dans la même tonalité. D’ ailleurs, dans sa contribution à l’ Encyclopédie de la Musique et Dictionnaire du Conservatoire, Raoul Laparra remarquait déjà, en 1914 :

Les espagnols contemporains ont déjà vu changer le répertoire et se transformer, s’ altérer nombre de chants flamencos. Par exemple, les Alegrías d’ aujourd’ hui (l’ unique ballet classique de "tablado") sont les Panaderos d’ hier..." (article "La musique et la danse populaires en Espagne". Chapitre VII : L’ Andalousie).

Juan Parga : Panaderos (extrait)
Rafael Marín : Panaderos (extrait)

2) Les Alegrías

A) Le chant et son accompagnement

Alegrías / Manolo Vargas
Alegrías / Pericón de Cádiz

Manolo Vargas : Alegrías (guitare : Andrés Heredia)

Pericón de Cádiz : Alegrías (guitare : Felix de Utrera)

Alegrías / Amós Rodríguez
Alegrías / La Perla de Cádiz

Amós Rodríguez : Alegrías de Ignacio Espeleta (guitare : Joaquín de Paradas)

La Perla de Cádiz : Alegrías et Cantiñas de Rosa La Papera (guitare : Paco Aguilera)

Le compás des Alegrías est identique à celui de la Soleá : cycles de 12 temps / accents sur les temps 3, 6, 8, 10 et 12 - mais la guitare accentue plus fréquemment les temps 3, 7, 8, 10 et 12. Le tempo est en général plus rapide pour les Alegrías que pour les Soleares (une exception : les Alegrías de Córdoba -cf, ci-dessous).

Les tonalités usuelles varient en fonction de la tessiture des chanteurs : Do, Mi ou La Majeurs (tonalités "fictives" naturellement, compte non tenu de l’ usage du capodastre).

La plupart des modèles mélodiques peuvent être accompagnés par les seuls accords de tonique et dominante : C et G7 ; E et B7 ; A et E7, selon la tonalité de référence. Le premier compás reste sur l’ accord de tonique, et les compases suivants alternent les "cierres" sur la tonique et la dominante, les changements d’ accords étant généralement placés sur le temps 10.

L’ accompagnement "moderne" fait apparaître quelques substitutions et accords de passage. Trois sont sont particulièrement fréquents (nous donnerons les exemples pour la tonalité de La Majeur) :

_ remplacement d’ un compás V7 - I par un compás VIb - V7 - I. Pour des Alegrías en La Majeur : F (temps 3) - E7(temps 6) - A (temps 10). Il s’ agit en somme d’ une brève cadence flamenca II - I sur l’ accord de dominante.

_ Remplacement d’ un ou de plusieurs compás I - V7 par I - IIm (7) : A - E7 devient A - Bm7. Dans ce cas, l’ accord de IIm est précédé d’ un accord de passage (cadence intermédiaire V - I) : A - F#7 - Bm(7) - l’ accord de passage est placé sur l’ un des temps accentués 3, 6 ou 8. Ce procédé conduit à infléchir la ligne mélodique des modèles traditionnels : l’ accord de Bm(7) est en effet le relatif mineur de l’ accord de sous-dominante (D), et non de dominante (E7).

_ Remplacement d’ un ou plusieurs compás V7 - I par IV - V7 - I : E7 - A devient D - E7 - A. Ce procédé est particulièrement fréquent pour les Alegrías accompagnées en Do Majeur : F - G7 - C. Le placement des accords est presque toujours le suivant : IV, temps 3 ; V7, temps 6 ; I, temps 10.

L’ usage veut que chaque cante soit suivi d’ une courte mélodie, nommé "juguetillo". Sa durée minima est de deux compases : I - V7 (A - E7) ; puis V7 - I (E7 - A), les accords étant placés sur le temps 10. Cette mélodie est souvent répétée, ce qui donne des "juguetillos" sur 4 compases. Certains "juguetillos plus développés sont basés sur le schéma harmonique de la "Castellana", ou "Paseo Castellano" (cf : ci-dessous), sur 4 compases :

_ Compás 1 : I - V7 (A - E7)

_ Compás 2 : V7 - I (E7 - A)

_ Compás 3 : I - I7 (temps 3, 6 ou 8) - IV (A - A7 - D)

_ Compás 4 : IV - I - V7 - I (D - A - E7 - A). Les accords passent par groupes de 3 temps : 1 à 3 ; 4 à 6 ; 7 à 9 ; 10 à 12.

La plupart des "juguetillos", que certains auteurs classent dans la catégorie des Cantiñas, sont anonymes, et dérivent probablement de la multitude des "jaleos" gaditans (voir, dans la même rubrique, notre article "Polo ? Caña ??Policaña ???"). Mais certains, parmi les plus usités, sont attribués au cantaor Ignacio Espeleta, qui est aussi l’ inventeur du fameux "Tirititrán" introductif. Il l’ aurait improvisé un jour où, passablement ivre, il avait oublié le texte des Alegrías qu’il devait chanter, au cours d’ une représentation de l’ "Ópera flamenca" intitulé "Las calles de Cádiz", en 1933...

Pour être complet, signalons aussi un "juguetillo" harmoniquement atypique, diffusé, sinon créé, par La Niña de los Peines (Ole, ole, ole,¡Viva Zaragoza ! .... / Ole, ole, ole, ¡Viva los toreros !...). Le premier compás module vers le mode flamenco homonyme, mode flamenco de La, ou "por medio" (A - Bb, aux temps 3 à 10. L’ accord de Bb peut être placé dès le temps 12 du compás précédent, selon le phrasé du cante). Le deuxième compás revient à la tonalité de La Majeur (E7 au temps 3 - A au temps 10). Cette séquence harmonique sur deux compases est répétée pour la deuxième partie du texte (écoutez, ci-dessous, les Cantiñas de La Juanaca).

Une interprétation canonique des Alegrías doit comporter une suite d’ au moins trois cantes, de difficulté croissante. L’ ambitus de l’ ensemble est impressionnant. Ajoutez à cette contrainte la difficulté consistant à lier sur le souffle chaque cante à son "juguetillo" : considérées comme un genre "mineur", les Alegrías sont en réalité l’ un des cantes les plus difficiles du répertoire flamenco. Les grands interprètes historiques sont, logiquement des artistes gaditans : La Perla de Cádiz, La Sallago, Mariana Cornejo, Aurelio Sellés, Pericón de Cádiz, Manolo Vargas, El Flecha de Cádiz, Antonio El Chaqueta, Flores el Gaditano, El Bení de Cádiz, Amós Rodríguez (frère du précédent), Niño del Solano, Niño del Mentidero, Chato de La Isla, Juan Villar, Chano Lobato, El Chaquetón, Camarón, Rancapino... On leur ajoutera Fosforito, gaditan d’ adoption pour ce cante, et, pour les "étrangers", Carmen Linares, Enrique Morente, El Pele et Mayte Martín.

NB : pour les guitaristes :

Les tonalités les plus fréquentes pour les solos de guitare sont, comme pour l’ accompagnement, Do, Mi et La Majeurs. Mais il existe aussi des compositions en Sol Majeur (une création de Javier Molina) et Ré Majeur (sixième corde en Ré).

Ignacio Espeleta / La Perla de Cádiz / Lucero Tena

B) La danse et son accompagnement

Alegrías / Lucero Tena

Alegrías : Lucero Tena (danse) / Manolo Mairena (chant) / Victor Monge "Serranito" (guitare)

Alegrías 1 / Serranito
Alegrías 2 / Serranito
Alegrías 3 / Serranito
Alegrías 4 / Serranito
Alegrías 5 / Serranito
Alegrías 6 / Serranito
Alegrías 7 / Serranito

La chorégraphie classique des Alegrías comporte quatre phases :

_ 1) Introduction de guitare (compases en rasgueados et / ou falseta), entrée de la bailaora, et marquage ("marcaje") du chant. Cette première partie est conclue par une première accélération (dénommée parfois "subida") exécutée en zapateado, qui s’ achève par des "remates", ou "desplantes" spectaculaires, avec un brusque arrêt au temps 10.

_ 2) "Silencio". C’ est une séquence plus lente (parfois remplacée actuellement par un accompagnement ad lib.), exécutée en duo danse - guitare, sans chant. Elle met en valeur la grâce des bras, des mains et des "posturas". La partie de guitare est dans la tonalité homonyme mineure (La mineur pour les Alegrías en La Majeur), et obéit à un plan assez strict sur 6 compases :

_ Compás 1 : Am - E7. Le compás est divisé en deux medios compases de six temps. Le premier consiste en la répétition d’ un accord de Am, ou apparenté (parfois interrompu par un accord de passage - dans notre transcription : Am - B7dim - Am) sur les cinq premiers temps, suivie d’ un silence au sixième temps. Le deuxième medio compás est construit sur un court motif mélodique aux temps 7 à 9 (parfois précédé d’ une anacrouse commençant à l’ intérieur du temps 6 - voir notre transcription) qui conduit à un "cierre" sur E7 aux temps 10 à 12. Nous retrouvons ici le "collage" des deux carrures harmoniques des Fandangos, déjà observées à propos du "ay - estribillo" du Polo et de la Caña : premier medio compás binaire (Fandango de Huelva) / deuxième medio compás ternaire (Fandango "abandolao").

_ Compás 2 : E7 - Am. Même structure que le compás 1.

_ Compás 3 : Am - E7. Développement du motif mélodique du compás 1 sur les neuf premiers temps, suivi d’ un "cierre" sur l’ accord de E7 aux temps 10 à 12.

_ Compás 4 : E7 - Am. Développement du motif mélodique du compás 2 sur les neuf premiers temps, suivi d’ un "cierre" sur l’ accord de Am aux temps 10 à 12.

_ Compás 5 : Am - Dm (IVm). Reprise du compás 3, dont la ligne mélodique est modifiée pour amener un "cierre" sur l’ accord de Dm, en suggérant un accord de passage de A7 - cadence intermédiaire V - I, A7 - Dm (dans notre transcription, la note Do# remplace la note Do bécarre à la fin du développement mélodique.

_ Compás 6 : Dm - Am - E7 - A (accords par groupes de trois temps). Ce dernier compás permet de moduler vers la tonalité majeure de référence, par une séquence IVm - Im - V7 - IM.

3) "Escobilla". Duo danse - guitare. C’ est la séquence de virtuosité du zapateado. Elle est interprétée accelerando, jusqu’ à approximativement doubler le tempo - "redoble" (pour une noire = un temps des Alegrías, on passe en gros de la noire à la croche).

L’ "escobilla" proprement dite est souvent précédée de la "Castellana", qui peut être indifféremment chantée ou seulement jouée à la guitare. Le schéma type de quatre compases (cf : ci-dessus) peut être répété, et varié par des accords de passage (voir notre transcription).

L’ accompagnement de l’ "escobilla" est basée sur la répétition de courts motifs sur des medios compases, alternant au temps 10 les accords de tonique et de dominante. C’ est la seconde partie du compás qui est répétée, et nous avons donc des "cierres" harmoniques aux temps 4 à 6 et aux temps 10 à 12, le groupe 1 à 6 reprenant le groupe 7 à 10. Il en résulte un changement du système d’ accentuation :

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 (les temps 2 et 8 peuvent aussi être accentués).

Le schéma sur deux compases est le suivant : motif mélodique (temps 1à3) / "cierre" sur A (temps 4 à 6) / motif mélodique (temps 7 à 9) / "cierre" sur E7 (temps 10 à 12) ; puis : motif mélodique / "cierre" sur E7 / motif mélodique / "cierre" sur A. Ces deux compases sont repris et / ou variés (le "cierre" intermédiaire des temps 4 à 6 peut dans ce cas être omis) aussi longtemps que le zapateado le nécessite. Dans notre transcription, le schéma de base apparaît au dernier système de la page 6 (A - E7). Il est suivi d’ un retour à l’ accord de A par un trait chromatique ascendant, et précédé par deux compases dans lesquels Serranito substitue un phrasé à 6/8 au phrasé à 3/4 pour les motifs mélodiques.

4) Conclusion : passage "por Bulería". Ce final à longtemps été nommé "por Chufla". Le tempo final de l’ accélération de l’ "escobilla" devient le tempo de la Bulería conclusive. Traditionnellement, la transition entre "escobilla" et Bulería était marquée par une séquence codée sur quatre compases, nommée "ida" :

_ Compás 1 : F#7 - Bm (relatif mineur de l’ accord de sous-dominante, D) au temps 10. Réalisé en rasgueados ou par un mouvement mélodique

_ Compás 2 : G#7 - C#m (relatif mineur de l’ accord de dominante, E7) au temps 10. Réalisé en rasgueados ou par un mouvement mélodique.

_ Compases 3 et 4 : trait traditionnel en "picado" sur deux compases, qui conclut sur la note La au temps 10. Après un "golpe" sur le temps 11, la guitare entre "por Bulería" au temps 12 (voir notre transcription - deux derniers systèmes de la page 7).

NB : pour les guitaristes

_ Influence du "silencio" : beaucoup de compositions alternent les tonalités majeure et mineure homonymes.

_ Influence de l’ "escobilla" : les falsetas construites sur des systèmes de medios compases, avec motifs mélodiques et "cierres" sur les temps du schéma de l’ "escobilla", sont beaucoup plus fréquents que pour les Soleares. On pourra même trouver dans les solos traditionnels des medios compases isolés. Le compás est alors réduit à 6 temps : trois temps mélodiques suivis d’ un "cierre"

_ Influence de la "ida" : beaucoup de solos traditionnels concluent "por Bulería", après une paraphrase plus ou moins explicite de la "ida" (Niño Ricardo, Sabicas, Mario Escudero, Luis Maravilla, Pepe Martínez...).

3) Les Cantiñas

A propos des Cantiñas, José Blas Vega écrit, dans sa présentation de la "Magna Antología del Cante Flamenco" (Hispavox) :

... n’ importe quelle chanson ("La caracola", "El prendero"...), pregón ("La frutera", "La verdulera", "La castañera"...), ou hymne politique ("El trágala", "Riego", "Torrijos"...), héritages de la révolution de 1820, était assimilée (au compás des Alegrías. NDT). Un phénomène comparable à celui des Bulerías de ce siècle. (le XX siècle. NDT).

On ne saurait mieux dire. La plupart des Cantiñas trouvent en effet leur origine dans des chansons, ou des airs à danser, ou encore des "pregones" (chant de vendeurs ambulants vantant leur marchandise). A ce titre, elles prennent place parmi les innombrables et éphémères Jaleos de Cádiz. L’ appétit des gaditans pour ces friandises musicales étant insatiable, chaque saison apportait sans doute son lot de nouveautés, et reléguait aux oubliettes les airs démodés.
Certains furent utilisés par des compositeurs "savants" pour apporter une couleur locale à leurs zarzuelas et autres "sainetes", et jouirent ainsi d’ une popularité plus durable, jusqu’ à ce que des artistes flamencos s’ en emparent, et les adaptent au compás des Alegrías. Une nouvelle sorte de processus de "ida y vuelta" : du répertoire populaire à la scène ; puis de la scène au répertoire flamenco...

La plupart des Cantiñas sont actuellement des cantes isolés, intégrés par les artistes à des séries d’ Alegrías. Celles que nous conservons aujourd’ hui doivent leur survie aux hasards de la discographie : des enregistrements isolés, mais providentiels, de La Niña de los Peines, Rafael Romero, El Chaqueta, Ramón Medrano, Rafael El Tuerto, José Moreno Onofre... ont servi de modèles aux générations postérieures.

Cependant, deux variétés de Cantiñas ont fini par prendre rang, dans le répertoire apparenté aux Alegrías, de palos nettement définis et indépendants : les Caracoles et les Mirabrás.

A) Caracoles et Mirabrás

Caracoles
Mirabrás

Caracoles : Manuel Centeno (guitare : Juan Moreno)

Mirabrás : Naranjito de Triana (guitare : Manolo Sanlúcar)

Ces deux cantes ont une histoire et une généalogie commune. Il s’ agit de montages de plusieurs Cantiñas, hétéroclites quant à leurs letras (des chansons faisant référence à l’ actualité politique, associées à des "pregones"), mais cohérents du point de vue musical, leurs lignes mélodiques ayant été modifiées par une ou deux générations d’ artistes, jusqu’ à ce qu’ Antonio Chacón leur donne leur physionomie définitive.

Certains textes des Mirabrás sont contemporains des guerres patriotiques du début du XIX siècle ("Tiran bombitas de la cabaña..."). D’ autres font allusion à la "révolution cantonale", populaire et fédéraliste, des années 1870 ("A mí qué me importa / que el rey me culpe..." - letras chantées à l’ époque à Sanlúcar de Barrameda (mais le texte a pu être repris d’ un chant nettement antérieur, contemporain des Cortés de Cádiz). Quant au "Pregón de las castañas", pièce maîtresse de cette série de Cantiñas, il fut popularisé par une zarzuela à succès de Mariano Soriano Fuentes (musique) et José Sanz Pérez (livret) : "El Tío Caniyitas" (1849). Cependant, si le texte est identique à celui des Mirabrás ("¡Venga usted a mi puesto, hermosa !..."), la mélodie est totalement différente...

Les Mirabrás sont habituellement accompagnés en tonalité de Mi Majeur. Mais une partie du cante module vers le mode flamenco placé sur la dominante, B7 (donc : mode flamenco de Si, ou "por Granaína"). La modulation est amenée par une séquence C(7) - B(7) : l’ accord de VIb de la tonalité majeure de référence (C) devient l’ accord du deuxième degré du mode flamenco de Si. Le retour à la tonalité majeure se fait de la manière la plus simple : l’ accord de B(7) reprend sa fonction de dominante, pour une cadence V - I (B7 - E).

Les Caracoles ont été structurés par Antonio Chacón en trois parties, dont l’ ordre est resté immuable :

_ Un premier cante, en hommage à Madrid, sans doute composée par Chacón ("¡Cómo reluce la gran Calle de Alcalá !...").

_ Une transition formée de deux courts "juguetillos", sans doute de tradition orale, adaptés par Chacón ("¡Eres bonita !..." / "¡Te quiero yo !...").

_ La troisième partie, la plus développée, est un montage, quant aux textes et à la musique, de plusieurs "pregones" portés à la scène : "Canción de Geroma" (de "Geroma la Castañera", zarzuela de Mariano Soriano Fuentes et Mariano Fernández - 1844), et "La Caracolera" (chanson de Manuel Sanz de Terroba - 1876). Nous tirons cette analyse de l’ excellent ouvrage de Antonio et David Hurtado Torres, "La llave de la música flamenca" (Signatura Ediciones - Séville, 2009).

Les Caracoles sont accompagnés en tonalité de Do Majeur. Au début de la transition centrale, une brève modulation conduit au mode flamenco relatif, mode flamenco de Mi. La sous dominante de Do Majeur, l’ accord de F, devient deuxième degré du mode flamenco, pour une cadence II - I (F - E). Le retour à la tonalité majeure de référence se fait par une cadence V - I, G7 - C (troisième degré du mode flamenco de Mi, l’ accord de G(7) reprend sa fonction de dominante de Do Majeur).

La tradition attribue la première phase de constitution des Mirabrás et des Caracoles à un cantaor de Sanlúcar de Barrameda (comme son surnom ne l’ indique pas...), Tío José el Granaíno. Mais leur modèle actuel est sans aucun doute l’ oeuvre d’ Antonio Chacón (il a enregistré les Caracoles, mais pas les Mirabrás). Les meilleurs interprètes historiques se réclament tous le l’ école de Chacón, sévillans (Manuel Vallejo, Pepe de la Matrona, Manuel Centeno, Naranjito de Triana), ou non (Jacinto Almadén, Juan Varea). On leur ajoutera, entre autres, Fosforito et Enrique Morente ; et, pour les Mirabrás, El Chocolate, Rafael Romero et Chano Lobato.

Manuel Centeno / Naranjito de Triana

B) Romera, Alegrías de Córdoba et Cantiñas del Pinini

Romera
Alegrías de Córdoba
Cantiñas del Pinini

Romera : Antonio El Chaqueta (guitare : Perico el del Lunar)

Alegrías de Córdoba : José Moreno Onofre (guitare : José Morales)

Cantiñas del Pinini : Juan Peña "El Lebrijano" (guitares : Pedro Peña et Manolo Sanlúcar)

Ces trois Cantiñas sont parfois chantées seules, même si elles peuvent aussi être intégrées à des séries de Cantiñas et / ou d’ Alegrías.

Accompagnée en général en Mi Majeur, la Romera est attribuée à Romero el Tito. Mais son modèle unique actuel est issu de l’ enregistrement magistral d’ Antonio el Chaqueta, pour l’ anthologie Hispavox -Ducretet Thomson de 1954. La Romera est souvent associée aux Mirabrás, ou aux Cantiñas del Pinini. On pourra aussi écouter d’ autres très bonnes versions par El Chocolate, El Lebrijano, Chano Lobato et Camarón.

Improprement dénommées Alegrías, les Cantiñas de Cordóba sont une marque déposée de la dynastie Onofre : Manuel Moreno Madrid "Juanero el Feo", puis son fils Ricardo "Media Oreja", et son petit fils José Moreno Onofre, qui en a gravé une version, à un âge fort avancé, pour l’ "Archivo del Cante Flamenco" de J.M. Caballero Bonald. Ces cantes ont la particularité d’ alterner les tonalités majeure et mineure homonymes (en général , l’ accompagnement est en Mi Majeur / Mi mineur). Bonnes versions par Curro de Utrera, Antonio Ranchal, et plus récemment, Mariana Cornejo.

Comme leur nom l’ indique, les Cantiñas del Pinini sont une création de Fernando Peña Soto "Pinini", boucher à Cádiz puis à Utrera, où il s’ établit définitivement. Ces cantes sont une spécialité quasi exclusive du clan familial : Fernanda et Bernarda de Utrera, Bastián Bacán, Inés Bacán, El Funi, Pepa de Benito, El Lebrijano... (mais il existe aussi une excellente version récente enregistrée par Esperanza Fernández).

C) Cantiñas isolées

Rosa
Cantiña de La Contradandista
Cantiña de Las Mirris
Cantiñas de La Juanaca et de La Niña de los Peines
Cantiña de El Gafas

La Rosa : Ramón Medrano (guitare : Felix de Utrera)

Cantiña de La Contrabandista : Camarón de La Isla (guitares : Paco de Lucía et Ramón de Algeciras)

Cantiña de Las Mirris : Chano Lobato (guitare : Paco del Gastor)

Cantiñas de La Juanaca et La Niña de los Peines : Carmen Linares (guitare : Pepe Habichela)

Cantiña de El Gafas : Rafael Romero (guitare : Andrés Heredia)

Leur nombre comme leur nomenclature sont aléatoires, variant au gré des enregistrements, des modes, et des (re)découvertes. Certaines sont nommées par leur créateur supposé (Rosario la del Colorao, Las Mirris, La Juanaca, El Gafas...) ; d’ autre par une partie de leur letra (La Contrabandista, La Rosa...).

La Rosa est un cante énigmatique, que nous ne connaissons que par un enregistrement du vétéran Ramón Medrano ("Cunas del Cante. Vol. 1 : Los Puertos" - LP Hispavox, 1973). Il semble n’ avoir aucun rapport musical avec le solo du même nom enregistré à deux reprises par Ramón Montoya. Seul Manolo Simón s’ est intéressé récemment à cette Cantiña, qu’ il a d’ ailleurs remaniée (autre version par Mariana Cornejo).

Le même Ramón Medrano a aussi ressuscité le cante de Las Mirris (même enregistrement), grande spécialité de Chano Lobato, qui avait coutume de conclure ses séries d’ Alegrías et Cantiñas par ce cante.

Le titre "La Contrabandista" apparaît à plusieurs reprises dans la liste des Jaleos gaditans du XIX siècle. Sa version "por Cantiña" a été enregistrée d’ abord par Rafael El Tuerto, puis popularisée par le jeune Camarón, qui, à l’ époque, ne manquait pas une occasion d’ enrichir son répertoire. La mélodie passe, de manière caractéristique, par l’ accord de sous-dominante (A7 - D, pour un accompagnement en tonalité de La Majeur).

Enfin, les Cantiñas de La Juanaca, La Ninna de los Peines, ou d’ El Gafas, sont de bons exemples de cantes personnels inclus par la tradition dans le corpus des Alegrías.

Nous terminerons ce panorama par les innombrables "Alegrías" contemporaines, appellation au demeurant fort abusive : la plupart relèvent plutôt de la chansonnette, aussi vite oubliée qu’ enregistrée. On en retiendra surtout les créations d’ El Pele, Camarón, Enrique Morente, Carmen Linares et Mayte Martín.

NB : pour les guitaristes :

En plus de l’ alternance des tonalités majeure et mineure homonymes (par exemple, La Majeur et La mineur), trois systèmes de modulation font des compositions "por Alegría" de véritables oeuvres bimodales, d’ une tonalité majeure vers divers modes flamencos (les exemples ci-dessous partent de la tonalité de référence La Majeur. Le lecteur pourra aisément les transposer pour les autres tonalités usuelles : Do, Ré, Mi et Sol Majeurs).

_ Issue du "juguetillo" popularisé ou créé par la Niña de los Peines : modulation vers le mode flamenco homonyme, mode de La flamenco : cadence Bb - A. Retour à la tonalité majeure par E7 - A.

_ Issue des Caracoles : modulation vers le mode flamenco relatif, mode flamenco de Do# : cadence D - C#. Retour à la tonalité majeure par E7 - A.

_ Issue des Mirabrás : modulation vers le mode flamenco porté par la dominante de la tonalité, E7 = mode flamenco de Mi. Cadence par F - E. Retour à la tonalité majeure par E7 - A.

Claude Worms


Alegrías / Amós Rodríguez
Alegrías / Manolo Vargas
Alegrías / Lucero Tena
Alegrías / Pericón de Cádiz
Alegrías / La Perla de Cádiz
Caracoles
Mirabrás
Romera
Alegrías de Córdoba
Cantiñas del Pinini
Rosa
Cantiña de La Contradandista
Cantiña de El Gafas
Cantiñas de La Juanaca et de La Niña de los Peines
Cantiña de Las Mirris

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