Entretien avec Laura Vital

mardi 24 janvier 2012 par Maguy Naïmi

Festival Flamenco de Nîmes / 15 janvier 2012

Flamencoweb : Tu es une artiste qui a plus d’ une corde à son arc. Nous t’ avons vue en concert à Málaga avec José Menese, à la Biennale de Séville dans un spectacle pour enfants, "Flamenco school" ; à Nîmes cette année tu as présenté un autre spectacle pour enfants "Flamenco Land", hier nous t’avons vue au Théâtre de l’ Odéon de Nîmes dans un récital de poésie, chant et guitare, et ce soir au Théâtre de Nîmes dans un autre contexte encore…

Laura Vital : …et en plus je suis psychologue !… En fait, j’ aime tout ce qui est création. Je ne suis pas quelqu’ un de conformiste. Je suis très exigeante envers moi-même et par là même, je suis quelqu’ un d’ inquiet. En fait nous devons faire connaître toutes les facettes que nous avons en nous et que nous n’ osons pas exprimer parce que nous avons des préjugés. J’ ai dû me défendre contre mes propres préjugés.

F W : Quel genre de préjugés ?

L V : Par exemple, nous sommes habitués à chanter flamenco assis sur notre chaise, habillés d’ une certaine façon, et dans "Flamenco School" je devais porter un gilet à paillettes, être assise dans un autobus, et ça pour une flamenca… Mais je devais faire connaître ma vraie personnalité… En fait, je suis un peu hippie, je suis peu conformiste et je voulais faire ressortir tout ça, avoir le courage de le montrer. J’ aime la création.

F W : Tu t’ intéresses aussi à tout ce qui est didactique, pédagogie.

L V : J’ aime les enfants . Je pense que l’ avenir leur appartient. Dans les festivals, je suis surprise de voir qu’ il y a surtout des gens d’ un certain âge dans le public, et je me demande ce qu’ il va advenir du flamenco dans vingt ans. Nous devons conquérir de nouveaux publics. Les enfants sont l’ avenir de notre art. Dans "Flamenco School" nous avons voulu leur présenter un flamenco authentique qui ne soit pas édulcoré, nous leur avons chanté des Siguiriyas, des Soleares, toute une série de styles, mais dans un contexte très attrayant très coloré, afin de leur faciliter la compréhension de notre art.

F W : A ton avis, le flamenco devrait-il faire partie du cursus scolaire ?

L V : Bien sûr. Je pense que les enfants doivent grandir avec le flamenco. Nous, nous l’ avons appris en famille. Mon père et mon grand père chantaient, et pour moi ça a été facile, j’ ai grandi dans cet environnement tout naturellement. Nous devons faire en sorte que l’ enfant voit le flamenco avec le même naturel que nous, qui avons eu la chance de baigner dedans, afin qu’il s’ intéresse à la musique flamenca. Il faut l’ initier depuis l’ enfance et que ce ne soit pas quelque chose d’ épisodique. Le flamenco doit lui être accessible, et ce n’ est pas avec une émission de flamenco diffusée à trois heures ou quatre heures du matin qu’ on y arrivera. L’ école est, par conséquent le meilleur instrument. On peut, dans les écoles, inscrire dans le cursus scolaire la culture andalouse. Moi j’ ai eu la chance d’ avoir un père chanteur et une grand mère danseuse. Si dès son plus jeune âge, à l’ école, on familiarise l’ enfant à la structure rythmique, s’ il est habitué à écouter du chant, parvenu à l’ âge adulte il l’ aura intériorisé. Donc si nous voulons que les enfants connaissent le flamenco, nous devons l’ enseigner dans le cadre scolaire et non dans une émission de radio qui passe à quatre heures du matin.

F W : En quoi consiste ton travail au Conservatoire ? (de Séville - N D L R)

L V : Les étudiants que j’ ai au Conservatoire ont passé un examen d’ admission. Ce sont des gens qui chantent, qui savent chanter, mais qui ne connaissent pas le répertoire. Mon travail consiste donc à leur monter un répertoire afin qu’ ils sachent où se trouvent les origines de cet art, car si nous voulons savoir où nous allons, nous devons savoir d’ où nous venons. Je travaille beaucoup par conséquent sur les origines. Je travaille le flamenco classique, mais je ne leur donne pas seulement des cours de chant, je donne aussi des cours de technique vocale, des cours sur les instruments, sur l’ histoire du flamenco, la littérature, la versification, la mise en scène.

F W : Dans le spectacle "Convivencias" que nous venons de voir, il y a du chant flamenco polyphonique. Comment êtes-vous arrivés à ce résultat ?

L V : C’ est un travail intéressant, très beau, mais nous en sommes au début. Le spectacle que nous avons présenté est en format réduit. Il est prévu pour être plus long et nous devons présenter davantage de styles. Nous avons une Soleá que nous n’ avons pas pu présenter parce que cela aurait été trop long, il y a également des Sévillanes à trois voix dans lesquelles Manuel (Manolo Franco - le guitariste) joue la ligne mélodique du chant avec sa guitare et nous , nous faisons les accords de l’ accompagnement et les réponses au chant de la guitare. Nous avons travaillé d’ oreille, ce serait intéressant de pouvoir l’ écrire, mais je ne m’ y connais pas suffisamment pour pouvoir écrire la musique, et encore moins le flamenco. Nous travaillons sur la polyphonie depuis des mois, c’ est un processus créatif de longue haleine, mais nous n’ étions pas pressés, nous voulions que ce travail soit abouti. C’ était un pari risqué parce que le spectacle de ce soir était une première. Nous présentions pour la première fois notre travail au public, c’ était une véritable première et nous étions morts de peur.

F W : Vous faites une "rénovation des vieux chants" pour reprendre le titre d’ un des premiers LP de José Menese.

L V : C’ est que dans les vieux chants, tout y est. Par exemple le chant de la Rosa, le premier chant, l’ unique ; je vous parle de la Rosa primitive, celle enregistrée par Ramón Medrano dans la "Magna Antología" d’ Hispavox ; nous avons décidé mon père et moi de l’ harmoniser parce que, lorsqu’ il l’ a enregistrée, Ramón Medrano avait 80 ans et il n’ avait plus toutes ses facultés vocales. Il y a tout un répertoire classique que l’ on peut exhumer et renouveler, auquel on peut donner une deuxième vie et que l’ on peut faire sonner contemporain. En Andalousie, nous allons présenter "Convivencias" dans le cadre du cycle "Flamenco viene del Sur", à Grenade, et là, nous pourrons le faire dans sa version longue. Nous allons réduire la partie consacrée aux poèmes car elle est un peu longue, elle dure dans les vingt minutes, et nous allons rajouter d’ autres choses.

F W : Comment se fait le travail avec Manolo Franco ?

L V : Facilement…Manolo est quelqu’ un de très créatif, il sait se donner avec une grande sensibilité, parce que nous sommes trois voix, trois personnalités différentes, et il s’ adapte à nous. Aussi bien Paco (Niño de Elche) que Rocío (Rocío Márquez) ou moi, nous nous sentons privilégiés. Il y a une très belle forme de communication entre lui et nous, car pour nous il est le Maître, qui nous accompagne avec toute sa sensibilité ; et lui, il se sent rajeuni par notre fraîcheur . Il se crée une énergie très forte.

F W : Quels sont tes projets ?

L V : Pour le moment, avec la production, faire la promotion de ce spectacle. J’ ai aussi "Flamenco School" et "Flamenco Land" pour lesquels nous avons des projets à l’ étranger. Et le projet d’ une pièce de théâtre avec Eduardo Rebollar, le guitariste qui m’ accompagnait hier, et une actrice de Séville, Susi, sur la vie de la Niña de Los Peines. Elle s’ intitule "Pastora eterna" (Pastora pour l’ éternité). Je vais faire aussi un disque, et je suis en train de mettre tout en œuvre pour commencer à enregistrer en février.

F W : Tu affectionnes particulièrement les chants de Cádiz, les Bulerías de La Perla.

L V : Mais c’ est que Cádiz est unique !…

F W : Reste - t’ il encore des Cantiñas à découvrir à Sanlúcar de Barrameda ?

L V : Oui. Il y a des chants qui sont peu connus comme celui de la Rosa, ou d’ autres peu chantés comme les Mirabrás et les Caracoles, et qui sont très beaux. C’ est pourquoi nous avons voulu les faire.

F W : Chanter la Rosa à la fin d’ une série de Cantiñas, cela doit être difficile pour des raisons de tessiture. A ce propos, comment avez-vous fait ce soir pour que le guitariste puisse vous accompagner tous les trois. Cela doit être difficile, vous n’ avez pas la même tessiture

L V : Il y a des choses à reprendre. Par exemple pour les Tangos, je les chante normalement avec un capodastre à la septième case, « por medio ». Ce soir, je les ai chantés avec un capodastre à la troisième case, deux tons plus bas : c’ était trop grave pour moi. Mais c’ est très dur à mettre au point car Paco (Niño de Elche) chante grave, Rocío est mezzo et moi je suis un peu grave mais pas tant que ça . Paco a été obligé de modifier un peu la mélodie des Caracoles pour pouvoir les chanter.

Propos recueillis et traduits par Maguy Naïmi pour Flamencoweb

(version espagnole dans notre rubrique "Todo en español")

Photos : Claude Delmas





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