La discographie d’el Cojo de Málaga (première partie : cantes de minas)

lundi 23 mai 2022 par Claude Worms

De l’abondante production discographique de Joaquín José Vargas Soto "el Cojo de Málaga", la postérité a surtout retenu les cantes de minas. Mais elle recèle beaucoup d’autres trésors. Aussi lui consacrons-nous trois articles.

Joaquín José Soto Vargas "el Cojo de Málaga" est né le 27 juillet 1880 dans le quartier du Molinillo de Málaga. La poliomyélite le frappe très jeune et le laisse boiteux. D’abord connu dans sa ville natale en tant que spécialiste des bulerías et des marianas, il s’installe à Linares où il se produit d’abord sous le pseudonyme de "Niño de las Marianas" (à ne pas confondre avec Luis López Benítez autre "Niño de las Marianas" et père de Luis Maravilla). Il semble y avoir appris les cantes de minas de deux cantaores locaux, "El Grillo" et surtout "El Sordo". Dès 1906, il inaugure le café cantante madrilène El Gato où il partage l’affiche avec Sebastián "el Pena". Après un séjour à La Linea de la Concepción, il regagne Málaga où il chante au café cantante "El Novedades" en compagnie d’Antonio Chacón et de Manuel Torres. Alors qu’il travaille à Séville, il fait la connaissance de la bailaora Carmen Núñez Porras, qu’il épouse peu après. Son passage au Kursaal Imperial de Madrid, avec rien moins que La Pompi, son frère El Gloria, et La Macarrona lance définitivement sa carrière.

En 1917-1918, il est engagé au Villa Rosa de Barcelone, dirigé par Miguel Borrull qui deviendra son guitariste attitré — le duo sera aussi célèbre que ceux d’Antonio Chacón et Ramón Montoya et de Pastora Pavón "Niña de los Peines" et Luis Molina. Il enchaîne les engagements dans toutes les grandes villes d’Andalousie et à Madrid pendant les années 1920, non sans détours par Barcelone pour y réaliser la plupart de ses enregistrements. Il s’installe définitivement dans cette ville en 1931. Du fait de sa santé déclinante, il y concentre ses activités (cafés cantantes et innombrables "fiestas") mais espace de plus en plus ses tournées. Il meurt à Barcelone le 14 avril 1940.

Discographie

La discographie d’El Cojo de Málaga couvre une période relativement brève, de 1921 à 1929. Il l’a initiée alors qu’il avait quarante et un ans. Son style est donc déjà fermement établi, et on ne décèle aucune évolution significative au cours de la décennie. D’autre part, les dates d’enregistrement et/ou de distribution de ses disques restent parfois confuses. Pour ces deux raisons, nous nous abstiendrons de les renseigner. Nous nous sommes néanmoins efforcé de les présenter , autant que possible, par ordre chronologique pour chaque palo. La grande majorité a été réalisée avec Miguel Borrull, ou son fils, Miguel Borrull hijo. (seule exception notable : Ramón Montoya). Il est difficile de savoir précisément qui joue, les crédits ne mentionnant souvent indistinctement "Miguel Borrull", sans plus de précision, et les styles du père et du fils étant à peu près interchangeables — une écoute attentive des jaleos permet cependant parfois d’identifier "Miguel" (padre) ou "Miguelito" (hijo). Nous ne mentionnerons donc les guitaristes que s’il s’agit d’autres partenaires.

Son biographe, Gonzalo Rojo Guerrero (cf. bibliographie) recense 7 séries de sessions pour 134 faces de 78 tours : 1921, pour Gramófono ; 1922, pour Odeón, (avec Ramón Montoya) ; 1923, pour Pathé ; 1923, pour Gramófono ; 1923-1925, pour Regal ; 1927, pour Parlophón ; 1929, pour Gramófono.

Nous avons retenu 97 enregistrements : quelques disques n’ont pas encore été retrouvés, la qualité sonore de certains autres est trop dissuasive, et il arrive que plusieurs versions d’un même cantre et d’une même copla soient des quasi doublons (production intensive oblige).

El Cojo de Málaga avec son épouse

I Cantes de minas

Dans notre sélection, les cantes de minas représentent un peu plus du tiers du total (36), soit une proportion comparable à celle de la recension de Gonzalo Rojo Guerrero. Avec Antonio Chacón et Pastora Pavón "Niña de los Peines", El Cojo de Málaga est incontestablement l’un des trois grands spécialistes et créateurs de ce répertoire, du moins pour le premier tiers du XXe siècle. Que l’un des grands maîtres historiques des cantes de minas ait été gitan devrait pour le moins ébranler les tenants d’une théorie "ethnique" des palos, malheureusement persistante : aux gitans les palos a compás et aux payos les fandangos et leurs dérivés ? — il faudrait aussi sonder l’arbre généalogique de la Niña de los Peines, qui excellait en tout...

El Cojo de Málaga a appris nombre de cantes de minas autochtones durant son séjour à Linares et lors de quelques incursions à La Unión. C’est sans doute ce qui explique que, contrairement à la plupart des cantaores de son époque, il ait été peu influencé par Antonio Chacón dont il n’a pas enregistré les compositions en la matière, à l’exception d’une cartagenera. Surtout, son style vocal singulier rend ses interprétations fondamentalement originales, quel que soit le modèle de référence : sur le plan mélodique, un usage intensif des notes de passage chromatiques, souvent accompagnées de portamentos ; sur le plan ornemental, un continuum vibrato élargi/mélismes, le passage de l’un aux autres étant souvent indiscernable — de plus, contrairement à l’usage, ses mélismes plongent fréquemment sous la note porteuse, et procèdent parfois par notes disjointes, tempérées ou non. Dans ces conditions, il est souvent difficile de faire la distinction entre simples variantes et créations...

... D’autant plus que la nomenclature des cantes de minas est particulièrement confuse, et que, erreurs ou volonté des labels de dissimuler les redites, les mêmes modèles mélodiques et les mêmes coplas sont souvent sous-titrés différemment, singulièrement dans le catalogue d’El Cojo de Málaga. Nous n’en prendrons qu’un exemple, celui des quatre versions connues d’une composition attribuée à notre cantaor (" ¡ Ay ! la llamo..."), actuellement considérée comme une levantica : taranta en 1921, 1922 et 1923, elle devient une cartagenera en 1924. La confusion peut s’étendre aux catégories de cantes comme aux auteurs présumés. C’est le cas notamment des cartageneras, du fait de leur proximité mélodique avec les malagueñas : le modèle assigné à la copla "Perlas a millares..." est-il une cartagenera de La Peñaranda ou une malagueña de La Trini. Pour cette première partie, nous suivons les classifications et attributions de Rafael Chaves Arcos et Norman Paul Kliman, qui nous semblent les plus solidement argumentées. (cf. bibliographie).

Cartageneras (9)

Si l’on excepte la composition d’Antonio Chacón (Jerez, 1869 - Madrid, 1929) et la sienne propre, les sources d’El Cojo de Málaga se situent clairement dans le pôle oriental des cantes de minas : Concepción Rodríguez y Calvo "la Peñaranda" (La Unión, 1863 - Turia, Valencia, 1889) et Antonio Grau Mora "el Rojo el Alpargatero (Callosa de Segura, Alicante, 1847 - La Unión, Murcia, 1907) .

Cartagenera 1 (El Rojo el Alpargatero)
Cartageneras 2 et 3 (El Cojo de Málaga)
Cartagenera 4 (Antonio Chacón)
Cartagenera 5 (La Peñaranda)
Cartagenera 6 (La Peñaranda)
Cartagenera 7 (Antonio Chacón)
Cartagenera 8 (El Cojo de Málaga)
Cartagenera 9 (El Rojo el Alpargatero)

NB : cartageneras n° 8 et 9 — guitare : Ramón Montoya.

Levanticas (6)

Les deux principaux modèles mélodiques actuellement répertoriés comme levanticas sont des compositions d’El Cojo de Málaga. Le second, associé à la copla "Las vueltas que el mundo da..." a été popularisé par Camarón de La Isla en tant que taranto. Il n’en existe qu’une seule variante, due à Juan Perea Ramírez (Marchena, Sevilla, vers 1863 - Madrid, vers 1934).

Levantica 1
Levantica 2
Levantica 3
Levantica 4
Levantica 5
Levantica 6

NB : levanticas n°4 à 6 — guitare : Ramón Montoya.

Mineras (5)

Pour les mineras, El Cojo de Málaga s’inspire à la fois du pôle oriental des cantes de minas, avec les compositions de Pedro Segura "el Morato" (Antas, Almería, vers 1846 - La Unión, 1908 ou 1910), et du pôle occidental avec celles de "Basilio" (peut-être Basilio Salazar, Linares, Jaén, vers 1873 - Madrid, vers1937) et d’"El Bacalao" (peut-être JUan Díaz Rojas, Linares, Jaén, vers 1850 - ?).

Minera 1 (El Bacalao)
Minera 2 (Basilio)
Minera 3 (El Bacalao)
Minera 4 (Pedro "el Morato")
Minera 5 (Pedro "el Morato")

Murciana (2)

Il s’agit là encore d’une composition d’El Cojo de Málaga, associée à la copla "Échese usted al vaciadero...", qu’il n’a enregistrée que deux fois (1921, la version que nous vous proposons ici et, 1923, couplée avec la taranta n° 6). Il n’en existe qu’une seule variante, due à Ángel Sampedro Montero "Angelillo" (Vallecas, Madrid, 1908 - Buenos Aires, 1973).

Murciana

NB : la murciana est suivie du fandango de Lucena n° 2 (cf. deuxième partie).

Tarantas (8)

Après les deux premières tarantas enregistrées par El Cojo de Málaga (Fernando "el de Triana"), toutes les autres se rattachent à l’aire stylistique de Linares. Non seulement la sienne propre, clairement dérivée de la taranta attribuée à la famille Mendoza y Reyes (dite "Los Genaros", vers 1850-1910, selon Chaves Arcos et Kliman), mais surtout celles de "Basilio".

Taranta 1 (Fernando "el de Triana")
Taranta 2 (Fernando "el de Triana")
Taranta 3 (Basilio)
Taranta 4 (Basilio)
Taranta 5 (Basilio)
Taranta 6 (El Cojo de Málaga)
Taranta 7 (Basilio)
Taranta 8 (Basilio)

NB : la taranta n° 6 est suivie de la seconde version de la murciana. Tarantas n° 2 et 8 — guitare : Ramón Montoya.

Tarantos (6)

La principale source d’El Cojo de Málaga pour les tarantos, Pedro "el Morato", nous ramène au pôle oriental des cantes de minas. Par contre, la composition d’El Cojo de Málaga, associée à la copla "Como la sal al guisao", dérive des tarantas attribuées à "El Bacalao" (vers 1850-1920) et à Luis Soriano Cabrera "el Cabrerillo" (Linres, Jaén,1898 - 1939), donc à leurs modalités occidentales.

Taranto 1 (El Cojo de Málaga)
Taranto 2 (Pedro "el Morato")
Taranto 3 (Pedro "el Morato")
Taranto 4 (El Cojo de Málaga)
Taranto 5 (Pedro "el Morato")
Taranto 6 (El Cojo de Málaga)

NB : taranto n° 3 — guitare : Ramón Montoya.

Claude Worms

Bibliographie

CHAVES ARCOS, Rafael et KLIMAN, Norman Paul. Los cantes minerosa través de los registros de pizarra y cilindros. Madrid, El Flamenco Vive, 2012.

ROJO GUERRERO, Gonzalo. Joaquín José Vargas Soto "El Cojo de Málaga". Estepona, XXII Congreso de Arte Flamenco / Diputación Provincial de Málaga, 1994.


Cartagenera 1 (El Rojo el Alpargatero)
Cartageneras 2 et 3 (El Cojo de Málaga)
Cartagenera 4 (Antonio Chacón)
Cartagenera 5 (La Peñaranda)
Cartagenera 6 (La Peñaranda)
Cartagenera 7 (Antonio Chacón)
Cartagenera 8 (El Cojo de Málaga)
Cartagenera 9 (El Rojo el Alpargatero)
Levantica 1
Levantica 2
Levantica 3
Levantica 4
Levantica 5
Levantica 6
Murciana
Taranta 1 (Fernando "el de Triana")
Taranta 2 (Fernando "el de Triana")
Taranta 3 (Basilio)
Taranta 4 (Basilio)
Taranto 1 (El Cojo de Málaga)
Taranta 5 (Basilio)
Taranta 6 (El Cojo de Málaga)
Taranta 7 (Basilio)
Taranta 8 (Basilio)
Minera 1 (El Bacalao)
Taranto 2 (Pedro "el Morato")
Taranto 3 (Pedro "el Morato")
Taranto 4 (El Cojo de Málaga)
Taranto 5 (Pedro "el Morato")
Taranto 6 (El Cojo de Málaga)
Minera 2 (Basilio)
Minera 3 (El Bacalao)
Minera 4 (Pedro "el Morato")
Minera 5 (Pedro "el Morato")




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