Le cante, une histoire populaire de l’Andalousie / Troisième partie (cantes de minas)

A la mémoire de Madame Madeleine Rebérioux, qui m’enseigna l’histoire sociale à l’Université de Vincennes au début des années 1970.

lundi 1er novembre 2021 par Claude Worms

Le titre de cet article fait référence à deux livres fondamentaux d’Howard Zinn (Une histoire populaire des États-Unis. De 1492 à nos jours, Marseille, Éditions Agone, 2002) et de Michelle Zancarini-Fournel (Les luttes et les rêves. Une histoire populaire de la France de 1685 à nos jours, Paris, Éditions La Découverte, 2016). Des générations de "flamencologues" ont répété à satiété la thèse selon laquelle le cante était d’autant plus "pur" que les coplas traitaient de thèmes réputés universels, tels la mort, l’amour, la mère, etc. Il s’agit là d’un postulat essentialiste selon lequel les andalous en général, et les gitans en particulier, seraient enclins à un fatalisme qui engendrerait passivité et soumission à l’ordre social établi...

Enfant travaillant à la mine

... Or, si les letras sont effectivement rarement engagées politiquement ou socialement, au sens strict du terme (du moins jusqu’à la fin du franquisme), leur lecture sans a priori montre qu’elles racontent une histoire populaire de l’Andalousie : parfois directement, par des prises de position dans des conflits politiques et des luttes sociales ; plus souvent indirectement, par le constat accablant des énormes inégalités qui marquent la société andalouse pendant un siècle et demi d’histoire du flamenco.

Calcination du minerai à Río Tinto — photo extraite du livre "Río Tinto Mine", de William Giles Nash — Londres, 1904

Troisième partie : ¡ A la mina no voy más !

III A Les mines et l’économie andalouse (années 1830-années 1930)

Pendant un siècle, les mines sont, avec l’agriculture, l’une des deux principales ressources économiques de l’Andalousie. Le sous-sol est particulièrement riche en minerais au nord et à l’extrême est de la région : d’une part dans la Sierra Morena, avec deux zones principales à l’est (de La Carolina à Linares) et à l’ouest, autour de Río Tinto (au centre de la province de Huelva) ; d’autre part les Alpujarras almerienses (province d’Almería) et leur prolongement vers Cartagena et La Unión (région frontalière entre l’Andalousie et la province de Murcia). Notre étude portera donc sur ces quatre pôles majeurs, dont l’exploitation est d’abord marquée, selon les zones et/ou l’époque, par des techniques archaïques et le sous-investissement, puis par la domination de capitaux étrangers — anglais surtout, mais aussi français, belges et allemands.

Bien qu’on y ait trouvé du zinc, du soufre, du cuivre et de l’or, les deux productions majeures des mines d’Almería (Sierra de Gádor et Sierra Almagrera) ont été le plomb (entre 1820 et 1890), puis le fer (entre 1890 et 1930). Le développement fulgurant des mines de plomb se fit dans un chaos total : division de la propriété minière en une multitude de sociétés éphémères (les concessions dépassaient rarement 1,5 hectare) ; empirisme et précarité des moyens d’extraction. La métallurgie induite était elle aussi artisanale, les barres de plomb étant fondues vaille que vaille à partir de combustibles végétaux locaux. Il fallut attendre l’arrivée timide de capitaux malaguènes pour que l’on passe à des usines plus modernes (Adra et Almería), avec hauts-fourneaux anglais et usage du charbon. La production était essentiellement destinée à l’exportation, d’abord avec succès du fait de coûts de production très bas à niveau européen. Les bénéfices des rares entreprises de grande envergure furent investis dans la propriété terrienne, jugée plus sûre et socialement plus prestigieuse, ce qui provoqua un développement des latifundia jusqu’alors inconnu dans la région. Les plus aventureux jouèrent en bourse : entre 1839 et 1845, 13000 actions des mines de Sierra Almagrera furent échangées en Espagne, pour une valeur de dix milliards de pesetas (plus de soixante millions d’euros) (Andrés Sánchez Picón, in Ruiz Ballesteros). Dès 1830, on estime que 20000 personnes travaillent dans les mines et les secteurs qui leur sont liés. Outre des ouvriers venus d’autres régions, il s’agit surtout de journaliers agricoles qui n’abandonnent pas leur métier d’origine et cherchent dans ces emplois des revenus complémentaires : peu accoutumés au travail dans les mines, ils sont particulièrement vulnérables, d’autant que le morcellement et la précarité des entreprises sont autant d’obstacles à la constitution d’associations ouvrières. Les mines de plomb entrent dans une longue crise du fait de la surproduction mondiale à partir des années 1870. A partir des années 1890, l’exploitation des mines de fer relance l’activité du secteur : entre 1890 et 1915, la production passe à Almería de 100000 à 900000 tonnes par an (Andrés Sánchez Picón). Il s’agit cette fois de grandes entreprises, à forte capitalisation étrangère, disposant de moyens modernes d’extraction, de chargement, et de transport (lignes ferroviaires de Linares à Almería et de Lorca à Baza — cf. deuxième partie). Les courbes de production suivent là encore les vicissitudes du marché mondial : forte progression pendant la première Guerre Mondiale (l’Espagne est neutre), puis déclin parachevé par la crise de 1929.

Galerie, La Unión, 1916

Les caractéristiques (carences techniques, parcellisation des propriétés, etc.) et l’évolution à partir des années 1840 (pic de production au tournant des XIXe et XXe siècles) des mines de Cartagena et La Unión sont plus ou moins identiques à celles des mines d’Almería — argent, puis soufre et plomb, cependant sans relance par le fer. Faute de main d’œuvre locale suffisante, on y eut plus recours à des ouvriers venus du reste de la province de Murcia et de la haute Andalousie (provinces de Jaén et de Granada).

Les mines de la province de Jaén (Linares, La Carolina, Baños, Santa Elena, Carboneros, Vilches, etc.) ne se développent vigoureusement qu’à partir des années 1860. Elles sont dynamisées par l’épuisement des meilleurs gisements d’Almería et par la construction des lignes ferroviaires qui les désenclavent : au début du XXe siècle, la région produit 90% du plomb andalou, avant de décliner après la première Guerre Mondiale et la crise de 1929. Les capitaux étrangers (anglais et français surtout) affluent, et l’essentiel de la production est contrôlé par quelques grandes compagnies, notamment The Linares Lead et la Sociedad Minera y Metalúrgica Peñarroya, qui devait en 1930 devenir la première société anonyme espagnole. La dualité des techniques d’exploitation est frappante : d’une part, des moyens modernes qui concernent le drainage (machines à vapeur) et la fusion ; d’autre part, pour l’extraction et le transport du minerai dans les galeries, les entreprises jugent plus rentable l’emploi d’une main d’œuvre abondante sous-payée : la première reste l’affaire des "barreneros", la seconde recoure à l’énergie animale et humaine, souvent celle des enfants. Beaucoup de mineurs sont des anciens des mines d’Almería et de Cartagena/La Unión, où ils ont déjà acquis un solide savoir-faire professionnel et une expérience des conflits avec les directions. D’autre part, un grand nombre d’étrangers (ingénieurs, techniciens et ouvriers) sont venus travailler dans la région, à tel point que la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne et la Belgique ont ouvert des consulats à Linares, qui est devenu l’une des villes andalouses les plus cosmopolites de l’époque : l’anticléricalisme, le républicanisme et le socialisme y sont bien implantés. Entre 1847 et 1877, la population de Linares sextuple ; de 1860 à 1910, elle passe de 12000 à 37000 habitants — fait unique en Andalousie, on n’y trouve alors qu’une seule église… (Antonio Moreno Rovilla, in Ruiz Ballesteros).

Construction d’une voie ferrée à Río Tinto, 1873

Les mines de Río Tinto, Nerva, Tharsis et Campillos (province de Huelva) sont un cas particulier, du fait de la haute valeur ajoutée de leur production (cuivre pour les trois quart et fer pour 15%) et surtout de sa concentration entre les mains d’une seule compagnie anglaise, la Río Tinto Company Limited, fondée en 1873. A partir de cette date, et jusqu’au déclin des années 1930, toute la région, de la zone minière à la capitale provinciale, peut-être considérée comme une colonie anglaise. La compagnie restructure le réseau des entreprises préexistantes, rationalise et modernise la production et les transformations intermédiaires, réalise de fortes économies d’échelle et sert à ses actionnaires des bénéfices annuels considérables, bien que variables : 500000 livres en 1885, 2000000 de livres entre 1906 et 1916 et encore 1300000 livres en 1926, avant un résultat quasi nul en 1936. La Río Tinto Company et quelques autres entreprises de moindre envergure produisent au début du XXe siècle 20% du cuivre mondial. Les infrastructures ferroviaires sont à l’avenant : en 1895, pour le réseau interne aux sites miniers, 65 kilomètres de voie, 63 locomotives et 1760 wagons ; cinq lignes reliaient quotidiennement Río Tinto au port d’exportation de Huelva, avec 51 locomotives et 2300 wagons en fonction en 1909 (Arenas Posadas).

Dans un premier temps, pour attirer la main d’œuvre, la Río Tinto Company propose des salaires presque décents (quatre pesetas par jour en moyenne) et se vante de les payer en espèces, et non en bons d’achat dans les magasins d’entreprise (ce sera systématique à partir de 1890). Ces bonnes dispositions furent vite abandonnées, l’entreprise profitant du surnombre des ouvriers et mineurs disponibles pour ramener progressivement les rémunérations au niveau de celui des journaliers agricoles locaux. Les salaires de base applicables aux mineurs (90% du total), sont calculés à la journée mais payés mensuellement, avec avances hebdomadaires possibles. Les déductions sont très nombreuses, et loin d’être compensées par les primes de productivité : amendes diverses, pour faute professionnelle ou pour ne pas avoir atteint la production journalière imposée ; jours chômés, surtout pour émanations de gaz toxiques ; frais d’éclairage personnel dans les galeries ; contribution obligatoire au "fond médical" de l’entreprise, etc.

Paysage minier, Río Tinto, 1900 — photo : Fundación Río Tinto

La compagnie pratique un paternalisme classique qui lui sert d’image de marque et dont elle diffuse abondamment les vertus, jusqu’au pavillon qu’elle inaugure à l’Exposición Iberoamericana de Séville (1929). Selon un communiqué de juin 1931 (Arenas Posadas) :

• 2515 maisons louées aux employés dans les districts miniers et 254 à Huelva — en fait, 200 à Herva pour 2000 candidats. En 1913, la commission de l’Instituto de Reformas Sociales s’alarmait déjà de l’habitat dans le "quartier modèle" de Mesas Pinos : ventilation insuffisante, toits très bas, pas de cuisine ni de toilettes, etc.

• Économats d’entreprise, supposés offrir aux ouvriers des denrées et autres produits de première nécessité à prix réduit — les prix d’achat et de vente firent en permanence l’objet d’âpres conflits entre la compagnie et les producteurs locaux et les heureux clients. A Nerva, les 10 et 11 mai 1898, les femmes incendièrent les magasins et coupèrent les lignes téléphoniques, en protestation contre le manque d’approvisionnement et les prix trop élevés. La mairie de la bourgade, sur demande de la compagnie, inaugura l’année suivante une nouvelle caserne de la Garde Civile…

• Services médicaux et pharmaceutiques — en 1913, on comptait 29 médecins et infirmiers engagés par la compagnie et l’hôpital central ne disposait que de 52 lits pour les ouvriers et 4 pour les salariés britanniques. La compagnie employait au début des années 1910 entre 12000 et 15000 personnes, dont 50 à 60% de mineurs. Il va sans dire que le personnel médical veillait surtout aux intérêts de son employeur, et compensait autant que possible les fluctuations du rendement financier : les prescriptions diminuèrent de 50% entre 1894 et 1896 , la durée moyenne des hospitalisations passa de 22,5 jours en 1898 à 12,5 jours en 1908.

• Des rentes servies à 1064 retraités — entre 1901 et 1930, 95% de ces retraités percevaient 1,5 pesetas par jour, les autres 2,5.

Dans le même document, la Río Tinto Company vantait aussi ses trains ouvriers, ses écoles gratuites (300 élèves), ses bains publics, ses cinémas et son théâtre à "prix modiques", et jusqu’à ses terrains de football.

Les statistiques suivantes, concernant le budget moyen des ouvriers mineurs à Linares et Río Tinto, sans doute généralisables à toutes les régions minières, suffiront à relativiser les bienfaits du paternalisme. A Linares, entre 1881 et 1886, les salaires journaliers se situent entre 1,75 (enfants) et 6 pesetas (adultes les plus spécialisés) — salaire moyen : 3,21. Les dépenses quotidiennes d’une famille atteignent 3,87 pesetas pour les produits de première nécessité, dont 2,79 pour la seule nourriture. Pour une année, le budget minimum est donc de 1412 pesetas, alors même qu’un mineur rémunéré selon le salaire moyen ne gagne, pour une moyenne de 280 jours ouvrés, que 956 pesetas. Le déficit pour atteindre le minimum de survie, 32,3%, ne peut être comblé que par le travail des femmes et des enfants… si tout va bien par ailleurs. En 1884, la répartition de la main d’œuvre est la suivante : hommes, 75,10% ; femmes, 2,61% ; enfants, 22,29% — à partir de huit ans, ils sont astreints aux mêmes horaires que les adultes, de jour comme de nuit (dix heures, auxquelles il convient d’ajouter les allers-retours à pied depuis le domicile, souvent plus de deux heures) et, pour la plupart, tirent les wagonnets de minerai dans les galeries, courbés ou à quatre pattes (Egea Bruno). ). A Río Tinto, en 1908, le salaire moyen est de 25, 5 pesetas par semaine, dont il faut déduire au minimum 3 pesetas pour le loyer et 0,25 peseta pour la contribution obligatoire au fond médical. A titre de comparaison, cette même année, le kilo de pain coûte entre 0,37 et 0,45 pesetas, celui de viande 1,41, celui de farine 1,29, celui de sucre 3,98, le litre d’huile 4,51 (Pérez López).

Le bilan d’un siècle d’activité minière en Andalousie est accablant : exploitation barbare de la main d’œuvre, même au regard des pratiques inhumaines de l’industrie européenne de l’époque ; désastre sanitaire ; économie prédatrice, qui porte atteinte à l’agriculture, à l’élevage transhumant et aux forêts ; rapatriement des bénéfices à l’étranger et/ou réinvestissements non productifs ; rendement quasi nul pour les finances publiques, du fait des exemptions fiscales exorbitantes accordées aux grandes entreprises ; déséquilibre des infrastructures, notamment du réseau ferré.

Río Tinto : en attente de la distribution de repas gratuits

III B Luttes sociales

Parce que les questions de sécurité et les conditions de travail y sont primordiales, les syndicats d’obédience trade-unioniste sont plus influents que ceux de tendance révolutionnaire dans les mines, en Andalousie comme partout ailleurs en Europe. D’autre part, les activités minières y ont des conséquences sanitaires et environnementales désastreuses. A Río Tinto en particulier, la calcination en plein air pratiquée à grande échelle rejette du gaz sulfurique qui menace la santé de la population et qui, transformé en pluies acides, rend les terres d’une bonne partie de la province de Huelva incultivables. A Linares, s’y ajoute la déforestation (étayage des mines et utilisation du bois comme combustible pour la calcination) qui heurte de plein fouet l’agropastoralisme traditionnel. Les grèves furent donc plus dures et nombreuses dans ces deux régions. Cependant, les tentatives de constitution de fronts communs regroupant ouvriers et paysans avortèrent dans la plupart des cas.

A La Unión, les grèves sont rares et tardives. Le premier mouvement d’envergure a lieu en mai 1898, quand les ouvriers de La Unión, El Algar, Llanos del Real et Portmán déclenchent une grève générale pour obtenir le paiement de leur salaire en argent liquide, et non en bons d’achat dans les magasins d’entreprise. Le Gouverneur Civil décrète l’état de siège, qui se solde par trois morts parmi les grévistes. Finalement, les mineurs reprennent le travail sur la simple promesse des patrons de les "écouter". Le 3 mars 1916, une nouvelle grève générale mobilise près de 20000 ouvriers de toute la région de Cartagena. Soutenues par l’UGT et la CNT, les revendications portent sur des augmentations salariales, la fin définitive des bons d’achat et la prise en charge par les employeurs des frais d’éclairage personnel dans les galeries — bref, il s’agit surtout de ne pas mourir de faim. Pour toute réponse, ceux-ci proposent une augmentation d’un real, ce qui porterait les salaires à une fourchette comprise entre 2,50 et 3,25 pesetas par jour, sans régulation de l’horaire de travail, ni vacances, ni mesures de sécurité supplémentaires ni soins médicaux. Pour parer à toute éventualité, le Gouverneur Civil obtient le renfort d’un régiment de Séville et de forts contingents de la Garde Civile. L’affrontement le plus violent a lieu le 7 mars, autour d’un site de calcination connu comme "El Descargador" : le journal républicain El Radical de Madrid dénombre dans son édition du 8 mars onze morts et plus de soixante blessés. La stratégie de la peur gagne une fois encore : les mineurs reprennent le travail pour une augmentation d’un real (Fernández Herrera).

Gare de Nerva : départ de manifestation, 1888

Dans la zone Linares / La Carolina, le PSOE et l’UGT ont un rôle prépondérant dans les luttes ouvrières. La section locale du PSOE est définitivement lancée par la visite de Pablo Iglesias à Linares, lors d’un meeting qui regroupe 2000 personnes au théâtre San Ildefonso le 18 septembre 1887. Le parti socialiste local progresse lentement mais régulièrement jusqu’aux années 1920, en multipliant les actions éducatives, en offrant une assistance juridique aux travailleurs (création du Circulo Social en 1888) et en publiant à partir de 1896 un journal, El Defensor de los Trabajadores, puis une revue, ¡ Adelante ! Dès 1890, la manifestation du 1er mai mobilise 14000 personnes à Linares. En 1914, un conseiller municipal socialiste est élu à Linares ; ils seront 6 en 1920 et 12 en 1931. Surtout, l’implantation locale du parti et du syndicat, avec la création de nouvelles sections à La Carolina et à Bailén, permet une bonne coordination des grèves, qui, jointe à la modération des revendications et des moyens d’action, enregistrent plus de succès qu’ailleurs — entre 1887 et 1924, on dénombre soixante-dix grèves dans les mines de la région. Nous retrouvons ici les vertus et les limites du trade-unionisme, qui, sans s’attaquer frontalement aux rapports de classes, obtient au moins au jour le jour des réformes ponctuelles mais essentielles concernant les conditions de travail et de sécurité, et quelques modestes mais précieuses hausses des salaires.

Río Tinto : manifestation, 1888

A Río Tinto, le premier grand affrontement eu lieu le 4 février 1888, une année qui resta dans la mémoire collective comme "el año de los tiros". C’est la calcination en plein air, que la Río Tinto Company pratiquait à grande échelle, qui le déclencha : les pyrites étaient amoncelées en gros monticules ("teleras") sur des amas de bois qui brûlaient pendant des mois. Outre les mineurs, les paysans étaient quadruplement victimes des émanations de gaz sulfurique — maladies, mort d’animaux, terres incultivables et déforestation. L’oligarchie terrienne locale y vit une occasion d’affronter la compagnie, qui menaçait son hégémonie politique, en s’alliant aux petits propriétaires indépendants et aux mineurs. Dès le début des années 1880, deux oligarques, José María Ordoñez (Higuera de la Sierra) et Lorenzo Serrano (Zalamea la Real), fondent une "Ligue antifumée" ("Liga antihumista"). Parallèlement, la concentration de milliers de travailleurs amène des militants de la Première Internationale, dont Maximiliano Tornet, à tenter d’organiser des associations ouvrières. C’est donc l’alliance d’intérêts divergents contre un ennemi commun qui déclenche les manifestations de février 1888. Le 1er février, un manifeste est adressé au maire de Río Tinto, signé par Tornet et 700 autres personnes, prétendant représenter 4000 ouvriers. Outre l’interdiction des "teleras", le texte revendique la suppression des cotisations obligatoires au fond médical de l’entreprise et celle des amendes, le paiement des jours chômés pour cause de pollution excessive, le passage de la journée de travail de douze à neuf heures et l’interdiction des contrats d’embauche confiés à des sous-traitants, dont les clauses étaient encore plus drastiques que celles des contrats directement négociés par la compagnie. Le 4 février, deux cortèges partis de Nerva et de Zalamea la Real convergent sur la grand-place de Río Tinto. Le maire, craignant que les effectifs de la Garde Civile soient insuffisants, fait appel au régiment de Pavia, dont les soldats tirent sur la foule. Dans un premier temps, on dénombre 13 morts, et des dizaines de blessés. Par crainte des représailles, ceux qui ne survécurent pas furent enterrés clandestinement. Le bilan reste incertain : la Río Tinto Company reconnut 45 victimes, la mémoire collective les chiffre à 300. L’ampleur de la tuerie dissuada les mineurs de reprendre la lutte jusqu’à la fin du siècle. Les "teleras" furent temporairement interdites (la compagnie compensa les pertes en licenciant des travailleurs — le chantage au chômage est un grand classique), autorisées à nouveau en 1890, puis abandonnées progressivement à partir de 1895 (la dernière s’éteint seulement en 1907) et remplacées par une technique plus moderne, la voie humide intégrale. Les revendications proprement ouvrières de la journée du 4 février précipitèrent une alliance de circonstance entre les grands propriétaires terriens et la compagnie, qui tenta par ailleursde séduire les petits paysans en leur proposant des emplois qu’ils n’avaient de toute façon pas d’autre choix que d’accepter, leurs terres étant devenues stériles.

Nerva : manifestation, 1920

Quelques grèves ponctuelles (1901, 1903, 1906 et 1908), auxquelles la compagnie répond systématiquement par la répression et les licenciements, préludent aux deux grands conflits de 1913 et 1920. Directeur-manager de la Río Tinto Company de 1908 à 1927, Walter Browing, connu comme le "vice-roi" de Huelva, se montre particulièrement implacable. En 1913, le Gouverneur Civil approuve les statuts du Sindicato de la Compañía Ferroviaria de Huelva y Minas de Río Tinto, qui dès lors donne une couverture légale à tout le mouvement syndical de la région. A partir du 1er avril 1913, des grèves de courte durée débouchent, le 31 mai, sur une mobilisation générale incluant non seulement les mineurs, mais aussi les dockers du port de Huelva. Les revendications sont multiples : augmentation du salaire journalier de 52% pour toutes les catégories, avec salaire minimum de 4 pesetas ; journée de 8 heures ; suppression de la cotisation obligatoire au fond médical (une fois de plus, ce qui en dit long sur son impéritie) ; réintégration des grévistes licenciés. S’y ajoutent deux exigences concernant les conditions de travail : la fin des "mauvais traitements" infligés par la hiérarchie ; un renforcement de la sécurité pour les postes les plus dangereux. Après quelques mois de manœuvres dilatoires, la grève reprend le 15 octobre, jusqu’à la constitution, le 18 novembre, d’une commission de médiation chargée de la rédaction d’un rapport. Ses conclusions, jugées trop favorables aux grévistes, sont ignorées par la compagnie jusqu’au 25 janvier 1914, date à laquelle la commission rend un deuxième arrêt d’exécution obligatoire. Finalement, le comité de grève démissionne le 15 février, sur une nette victoire des ouvriers après presque un an de conflit : l’accord prévoit, au moins sur le papier, la journée de 8 heures, un salaire minimum journalier de 3 pesetas, de nouveaux horaires et de nouvelles conditions de travail à négocier pour le personnel ferroviaire, la gestion du fond médical par les ouvriers, le droit de refuser d’être recruté par des entreprises sous-traitantes et, surtout, la reconnaissance du syndicat par la Río Tinto Company. Pour compenser ces coûts, la compagnie accélère son programme d’équipement en perforeuses mécaniques, ce qui lui permet de licencier près de 1000 ouvriers dès le premier trimestre de 1914.

Après plusieurs grèves sporadiques en juillet, une "grève générale révolutionnaire" est déclarée le 15 août 1917. Pas de revendications concrètes, la grève est ouvertement politique. D’où la vigueur de la riposte : 7 à 10 morts, 22 blessés, 44 condamnés à des peines de prison (dont sept conseillers municipaux socialistes de Nerva) et 210 licenciés. Cependant, le Conseil Municipal de Nerva élit le 7 décembre le premier maire socialiste d’Espagne, José Díaz del Real.

La fin de la Première Guerre mondiale provoque à Río Tinto, comme dans les autres régions minières d’Andalousie, une perte de marchés extérieurs, notamment ceux de la Norvège, de l’Allemagne et des États-Unis. La Río Tinto Company réduit autant que possible ses effectifs pour les tâches les moins spécialisées. Les salaires n’ont pas évolué depuis 1914, alors que les prix des produits de première nécessité ont doublé. Aussi une nouvelle grève débute-t-elle en juin 1920 pour obtenir une hausse des salaires. Elle mobilise plus de 11000 salariés, y compris des contremaîtres, des employés de bureau et même le personnel de maison des anglo-saxons. En septembre, les économats ferment et la faim devient une préoccupation quotidienne, à tel point que trois mille enfants sont accueillis par des familles dans toute l’Espagne, alors que la municipalité de Río Tinto organise une aide alimentaire, distribuant jusqu’à 1500 repas gratuits par jour. Les grévistes doivent se résoudre à reprendre le travail le 9 janvier 1921, alors qu’ils n’ont obtenu qu’une augmentation de 2,25 pesetas du salaire journalier. Les représailles, qui touchent 2000 à 2500 ouvriers au cours des mois suivants, affaiblissent durablement l’action syndicale qui ne reprend que dix ans plus tard, et poussent de nombreuses familles à émigrer.

III C Letras

La musicologie ne saurait ignorer l’histoire sociale. A la lecture de ce qui précède, on pourra s’étonner qu’il n’existe aucun cante minero originaire de la province de Huelva. Les coplas des fandangos vernaculaires locaux, pourtant souvent d’origine rurale, ignorent pareillement les méfaits des "teleras". Il faut sans doute chercher les causes d’un tel phénomène dans la toute-puissance de la Río Tinto Company, fondée sur son poids économique mais aussi sur un solide réseau de connivences et de complicités tressé par la corruption d’une partie des pouvoirs politiques et judiciaires locaux, provinciaux et nationaux. Le symbole pourrait en être la "guardiña", une milice patronale qui sévit en étroite collaboration avec la Garde Civile, voire l’armée. Les actes d’intimidation, les passages à tabac et les assassinats ne manquent pas non plus. La sollicitude de la compagnie s’étend à la vie quotidienne de l’ensemble de la population, à laquelle elle entend inculquer la morale puritaine-victorienne. Il est révélateur qu’on ait même tenté, heureusement sans succès, de momifier les fandangos en curiosité folklorique et en inoffensif divertissement de salon — des éditeurs anglo-saxons en ont publié des arrangements pour voix et piano dès la fin du XIXe siècle. On ne saurait être trop prudent : quand les cabarets ne sont pas purement et simplement fermés, ils sont au moins constamment surveillés, leurs clients étant toujours suspectés d’y fomenter quelque embryon de grève. Il faudra attendre les années 1920, précisément quand les mines de Río Tinto connaissent les premiers signes de leur déclin, pour que des cantaores professionnels commencent à s’emparer des fandangos de Huelva et en tirent la matière première de leurs fandangos personnels. Dans les trois autres zones minières andalouses, aucune compagnie n’est en mesure d’exercer une telle pression : pas de censure rampante sur les letras et une profusion de cafés cantantes, aussi éphémères que la fortune de leurs clients, mais propices à l’émulation professionnelle et, donc, à la création.

Remarquons cependant que la majorité des letras des cantes de minas (cartageneras, fandangos mineros, levanticas, mineras, murcianas, tarantas et tarantos) ne font pas directement référence au travail dans les mines, ou de manière passablement rhétorique. La recension la plus exhaustive en la matière (Rafael Chaves Arcos et Norma Paul Kliman) cite 234 coplas enregistrées sur cylindre ou 78 tours ; seule une cinquantaine est assignable à cette thématique. C’est sans doute parce qu’aucun grand créateur et/ou interprète de ce répertoire ne fut mineur, qu’il s’agisse d’artistes originaires de zones minières (El Rojo el Alpargatero, Pedro "el Morato", El Ciego de la Playa, etc.) ou de grands professionnels y ayant ponctuellement séjourné, attirés par les opportunités offertes par le nombreux cafés cantantes et autres cabarets qui y proliférèrent et/ou soucieux de trouver matière à recréations dans le répertoire des fandangos locaux (Antonio Chacón, Manuel Escacena, El Cojo de Málaga, Cayetano Muriel "Niño de Cabra", etc.). Pour cette même raison, les coplas mineras proprement dites restent en général très allusives et s’en tiennent à des considérations générales sur le danger, la mort et la peur permanents, ou sur la vie quotidienne dans les cuencas mineras, sans entrer concrètement dans les conditions de travail. Nous classerons les letras en trois thèmes génériques, les deux derniers étant par ailleurs difficilement dissociables : la vie hors travail dans les zones minières ; la mort, les accidents et les maladies au travail ; les conditions de travail : hiérarchie, discipline et salaires.

• La vie hors travail dans les zones minières :

L’exploitation des mines génère d’autres activités florissantes, au premier rang desquelles la vente de denrées à laquelle s’adonnent des marchands ambulants, souvent eux-mêmes petits producteurs agricoles et parfois mineurs à temps partiel. Les carrioles, tirées par des mulets, des juments, etc. parcourent ces régions en tous sens, notamment celles d’Almería et de Cartagena/La Unión :

Los pícaros tartaneros / un lunes por la mañana / le robaron las manzanas / a los pobres arrieros / que venían de Totana. (cartagenera)

En donde nacen los tempranos / soy del reino de Almería / y al amanecer del día / me encuentro a Pedro el Morato / vendiendo verdulería. (minera)

La jaca de mi tartana / que ya compañera no tiene / salgo de Murcía y me voy a Herrerías / y yo me pongo en Cartagena / en el pueblo de Totana. (taranta)

Cartagenera (Niña de los Peines)
Minera (Antonio Chacón)
Taranta (Niña de Linares)

Cartagenera : Pastora Pavón "Niña de los Peines" (chant) / Ramón Montoya (guitare)

Minera : Antonio Chacón (chant) / Ramón Montoya (guitare)

Taranta : Niña de Linares (chant) / Ramón Montoya (guitare)

Les mineurs sont renommés pour mener grand train quand ils en ont les moyens. L’argent est aussi vite dépensé que gagné, d’abord par la fréquentation assidue des cabarets et autres maisons closes. A l’apogée du développement des mines de Linares, la pratique de l’ "endoble" (alternance de deux journées de travail et d’une journée de repos) favorise ce que Sierra Álvarez qualifie d’ "itinéraires éthilique" entre "espaces de sociabilité debout" (tavernes) et "espaces de sociabilité assis" (cafés, cantantes ou non) — sans préjudice d’autres "itinéraires nocturnes" (cafés avec serveuses bien disposées ou bordels). L’énigmatique Gabriela, à laquelle on attribue une célèbre taranta, est emblématique de la vie nocturne débridée des villes minières. Elle serait née vers 1845 à Cartagena, puis se serait établie à Las Herrerías où elle ouvrit un cabaret vers 1873. Cantaora semi-professionnelle, femme de mœurs légères, voire tenancière de maison close, on ne sait. Toujours est-il que nombreux furent ceux qui se disputèrent ses faveurs, entre autres Pedro "el Morato" et un député, Antonio Gálvez Arce :

Grandes voces se sentían / del silencio de la noche. / Y eran los pobres mineros / que alegres se divertían / malgastando su dinero. (taranta)

Corre, ve y dile a mi Gabriela / que voy para las Herrerías / que duerma y no tenga pena / que antes de que amanezca el día / estaré yo en Cartagena. (taranta)

Taranta (Niña de Málaga)
Taranta (Niña de los Peines)

Taranta : Niña de Málaga (chant) / Miguel Borrull (guitare)

Taranta : Pastora Pavón "Niña de los Peines" (chant) / Luis Molina (guitare)

La fréquentation des lieux de "perdition" est d’autant plus inévitable que les mineurs qui n’ont pas réussi, ou qui ont dilapidé leur fortune, sont socialement marginalisés :

Los de San Antonio Abad / fueron a Quitapellejos / a un baile de sociedad. / Por llevar el traje viejo / no los dejaron entrar. (taranta)

Taranta (Niño de la Huerta)

Taranta : Niño de la Huerta (chant) / Manolo de Badajoz (guitare)

De toute façon, mieux vaut dépenser pendant qu’il en est encore temps :

Malditos sean los dineros / que ganamos en las minas. / Yo gastármelos prefiero / aunque viva en la ruina / por si de pronto me muero. (minera)

Minera (Camarón de La Isla)

Minera : Camarón de La Isla (chant) / Paco de Lucía (guitare)

Sans que l’on puisse décider s’ils sont destinés à une épouse, à une jeune fille que l’on courtise ou à une prostituée dont on espère gagner les faveurs, les cadeaux sont une autre occasion de dépenses importante :

Que vengo de las minas de las Carboneras / que mira lo que te he comprado / unas botas de cartera / con los botones a un lado / te las pones cuando quiera. (levantica)

Levantica (El Cojo de Málaga)

Minera : El Cojo de Málaga (chant) / Miguel Borrull (guitare)

Conclusion désabusée :

Estoy pasando un verano / que yo no me divierto un día / mientras mi tío Cayetano / se está gastando en bebidas / todos los dineros que yo gano. (taranta)

Taranta (Manuel Escacena)

Taranta : Manuel Escacena (chant) / Pepiti Cilera (guitare)

Dans ces conditions, la violence entre mineurs est aussi un sujet de chroniques :

Aperador de la Lavá / échese usted al vaciadero / y digale a Venancio Corral / que con él batirme quiero. (murciana) (un "a(o)perador" est un contremaître ; un "vaciadero" est un site de décharge).

Para, para carretero / llévame por caridad / a las minas del Romero / que acaban de asesinar / al hermano que más quiero. (taranta) — fait divers ou dénonciation d’un accident du travail ?

Murciana (El Cojo de Málaga)
Taranta (Enrique Morente)
Enrique Morente/Nueva York - Granada (1990)

Murciana : El Cojo de Málaga (chant) / Miguel Borrull (guitare)

Taranta : Enrique Morente (chant) / Sabicas (guitare)

Qu’elles s’abattent sur des militants ouvriers ou sur des coupables de vol ou de meurtre, les condamnations sont fréquentes :

De Cartagena salí / en San Antón me prendieron / conducido a Murcia fui / y allí fueron mis quebrantos / al acordarme de ti. (cartagenera)

Lloraba una cartagenera / a los pies de un soberano / ¡ Por Dios y por la Magdalena / que no se lleven a mi hermano / al peñón de la Gomera ! (cartagenera) (La Gomera est un bagne situé au Maroc espagnol, proche de Ceuta).

Cartagenera (El Mochuelo)
Cartagenera (Antonio Chacón)

Cartagenera : El Mochuelo (chant) / Joaquín "hijo del Ciego" (guitare)

Cartagenera : Antonio Chacón (chant) / Juan Gandulla "Habichuela" (guitare)

• La mort, les accidents et les maladies au travail :

Sur ces sujets, les letras se passent de tout commentaire :

Baja el minero cantando / a la oscura galería / y en su cantar va pensando / si veré a la madre mía / que por mí queda llorando. (cartagenera)

Mientras el minero canta / en el pozo un fandanguillo / sin dar tregua a su garganta / una mujer y un chiquillo / rezan y lloran por aquel que falta. (minera)

Cuando me voy a trabajar por la mañana / llorando dejo yo a mi madre / yo a cumplir con mi deber / a paso a paso me voy de ella alejando / por si no sé si la voy más a ver . (taranto)

Cartagenera (El Cojo de Málaga)
Minera (Antonio Grau)
Taranto (Pepe Pinto)

Cartagenera : El Cojo de Málaga (chant) / Miguel Borrull (guitare)

Minera : Antonio Grau (chant) / accompagnement par un orchestre

Taranto : Pepe Pinto (chant) / Manolo de Badajoz (guitare)

De qué le sirve al minero / el talento y el sentido / si allá en lo hondo de la mina parte le piedra blanda y dura / y sin temerle al peligro / trabaja en su sepultura. (taranta) [58]

En la mina del Guayabo / trabajando en una mina / se ha desprendido un peñon / ha matado a mi hermano / hermano de mi corazón. (cartagenera)

En una mañana mi novio / no quería bajar a la mina. / Dijo que tenía miedo / y como estaba en ruinas / que murieron todos los mineros, los pobres murieron. (taranta)

Taranta (Rubia de las Perlas)
Cartagenera (Niño de La Isla)
Niño de la Isla/Seguiriyas Cortas de la Isla y Cantes de la Bahía (1999)
Taranta (Niña de La Puebla)
La Niña De La Puebla/Con Personalidad Propia, Vol. 1 (2010)

Taranta : Rubia de las Perlas (chant) / Alfonso "el Cordobés" (guitare)

Cartagenera : Niño de La Isla (chant) / Ramón Montoya (guitare)

Taranta : Niña de La Puebla (chant) / ? (guitare)

Se la puede llamar viuda / a la mujer del minero / que pasa el día entero / cavando su sepultura. / ¡ Qué amargo gana el dinero ! (minera)

Cuando salgo de la mina / siempre la encuentro llorando / a la pobre madre mía / que a la puerta está esperando / por ver si salgo con vida. (taranto)

Me estoy jugando la vida / en la mina del carbón / ya no veo la luz del día / ni me conoce a mí el sol / que mala suerte es la mía. (taranto)

Minera (Canalejas de Puerto Real)
Tarantos (El Chocolate)
Antonio Núñez "El Chocolate" con José Cala "El Poeta"/Antología de Cantaores Flamencos, Vol. 8 (1973)

Minera : Canalejas de Puerto Real (chant) / Niño Ricardo (guitare)

Tarantos : El Chocolate (chant) / José Cala "el Poeta" (guitare)

• Les conditions de travail ; hiérarchie, discipline et salaires :

En Andalousie comme partout ailleurs, la sécurité est vitale pour les mineurs. Les techniques archaïques, au moins au cours des premières périodes d’exploitation, et le sous-investissement chronique, expliquent l’angoisse permanente. Trois opérations s’avèrent particulièrement dangereuses :

D’abord, l’extraction du minerai, qui se fait par perçage de la roche et insertion d’explosifs avec des instruments rudimentaires ("barrena(o)") :

Se oye un grito en el rumbío / que me hiela el corazón : / Dios mío ten compasión / que un barreno me ha crujío / no tengo salvación. (minera)

Como minerico bueno / tempranico me levanto / y preparo mi barreno / mientras lo preparo canto / y no pienso en lo que peno. (minera)

Dime qué llevas en el carro / que tan despacio tú caminas. / Llevo al probe de mi hermano / que un barreno en la mina / le ha cortado las dos manos. (taranto)

Quiero hacer fuerza y no puedo / siento de la muerte el frío / no me abandoné Dios mío / porque queda un barreno / que entre el escombro perdió. (minera)

Minera (Pencho Cros)
Pencho Cros · Antonio Fernández/Festival Nacional del Cante de las Minas : Antología (2018)
Minera (Antonio Grau)
Taranto (Camarón de La Isla)
Minera (Mayte Martín)

Minera : Pencho Cros (chant) / Antonio Fernández (guitare)

Minera : Antonio Grau (chant) / avec accompagnement d’orchestre

Taranto : Camarón de La Isla (chant) / Paco de Lucía (guitare)

Minera : Mayte Martín (chant) / Pedro Sierra (guitare)

Les mineurs descendaient dans les puits encordés, ou au mieux dans des cages tractées par des animaux de trait, parfois à main d’homme (ou d’enfant) :

Todos los mineros tiemblan / cuando dicen gente al torno / en ver que dejan su vida / a voluntad de una cuerda (taranta)

Taranta (José Cepero)

Taranta : José Cepero (chant) / Miguel Borrull (guitare)

Du fait de systèmes de ventilation déficients, les émanations toxiques sont mortelles :

Dile al del "troly" que tire / que ya falta la ventilación / y si perdemos la vida / en nuestro hogar se acabó / el cariño y la alegría. / ¡ Que en la casa del obrero no va a reinar la alegría. (taranta)

Que es un minero el que canta / no se asuste usted señora / con el polvo de la mina / tengo rota la garganta. (taranta)

Taranta (El Sota de Bélmez)
Taranta (Niño de las Marianas)

Taranta : El Sota de Bélmez (chant) / Ramón Montoya (guitare)

Taranta : Niño de las Marianas (chant) / Ramón Montoya (guitare)

Les quinquets (candiles, faroles) menacent en permanence de s’éteindre. Se perdre dans l’obscurité des galeries peut être fatal :

En el fondo de una mina / clamaba un minero así : / en qué soledad me encuentro / en mi compañía un candil / y yo la salida no la encuentro. (taranta) [71]

Salgo a mi trabajico madre / a las minas del Terrible / llevo mi candil encendido / porque el perderse es temible / eso a mí me ha sucedido. (taranta) [63]

Taranta (Niño de Almadén)
Niño de Almadén
Taranta (Niña de Antequera)

Taranta : Niño de Almadén (chant) / Perico "el del Lunar" (guitare)

Taranta : Niña de Antequera (chant) / Antonio Peana (guitare)

La relève est donc attendue avec espoir par ceux d’en bas et crainte par ceux d’en haut :

Todos los mineros tiemblan / cuando dicen gente al torno / en ver que dejan su vida / a voluntad de una cuerda. (taranta — cf. ci-dessus, José Cepero et Miguel Borrull)

Emboquillando un barreno / se me rompió la barrena / y yo le dije al compañero / ya se sienten las cadenas / y creo que viene el relevo. (minera)

Minera (El Cojo de Málaga)

Minera : El Cojo de Málaga (chant) / Ramón Montoya (guitare)

Le déclassement professionnel, avec les pertes de considération et de salaire qu’il occasionne, peut être dû à la maladie, à un accident du travail, à l’âge ou à des mesures disciplinaires. Les sanctions peuvent aussi être des affectations à des postes particulièrement dangereux :

Me llaman el barrenero / porque tiro la barrena / siendo yo el mejor minero / que sale de Cartagena. (cartagenera)

Las vueltas que el mundo da / válgame Dios, Tío Rufino / siendo un minero tan fino / ¡ Dónde ha venido a parar ! / a echar trigo al molino. (taranta)

Los aires son desabridos / con el tiempo variable / y dicen los contratables / que aquel que se vea aburrido / vaya a trabajar al cable. (cartagenera)

Cartagenera (Antonio Chacón)
Taranta (El Cojo de Málaga)
El Cojo de Málaga · M.Borrull/Great Interpreters of Flamenco - Niño de Cabra, El Cojo de Málaga (1907 - 1927) (2011)
Cartagenera (Antonio Chacón)
Don Antonio Chacón

Cartagenera : Antonio Chacón (chant) / Juan Gandulla "Habichuela" (guitare)

Taranta : El Cojo de Málaga (chant) / Miguel Borrull (guitare)

Cartagenera : Antonio Chacón (chant) / Juan Gandulla "Habichuela (guitare)

La faiblesse des salaires est souvent dénoncée, plutôt sous l’angle de la pauvreté qu’elle engendre que sous celui de revendications salariales explicites :

De romper los metales (minerales) / vengo de una carbonera / soy pasante de la pez y el cisco / y hasta yo muero de hambre. (murciana)

En una mina metido / y siempre enterrado en vida / estoy igual que he nacido. / Yo aquí estaré mientras viva / sin comer y mal vestido. (taranta)

Trasnochar y madrugar / subir y bajar la cuesta / y ganar poco jornal / eso a mí no me tiene cuenta / que yo a la mina no voy más. (taranto)

A dónde andará el capataz / de la mina dónde yo trabajo / que ayer le dijé en el tajo / que a mí me subiera el jornal / y si no a la mina yo no bajo. (taranto)

Murciana (Niña de Linares)
Taranta (Angelillo)
Angelillo con Luis Yance/Antología de Cantaores Flamencos, Vol. 5 (1967)
Taranto (Juan Valderrama)
Juanito Valderrama/Paco de Lucia/Tributo Flamenco A Don Juan Valderrama (2003)
Taranto (El Chocolate)

Murciana : Niña de Linares (chant) / Ramón Montoya (guitare)

Taranta : Angelillo (chant) / Luis Yance (guitare)

Taranto : Juan Valderrama (chant) / Paco de Lucía (guitare) — + murciana

Taranto : El Chocolate (chant) / ? (guitare)

Le matériel de travail n’étant pas fourni par les patrons, même l’achat d’un quinquet peut être une dépense inabordable :

Me van a hacer barrenero / de la mina de La Unión / y entre todos mis compañeros / me van a regalar un farol / porque no tengo dinero (levantica).

Levantica (Camarón de La Isla)
Camarón De La Isla · Paco De Lucía/Son Tus Ojos Dos Estrellas (2005)

Levantica : Camarón de La Isla (chant) / Paco de Lucía (guitare)

Enfin, quelques coplas attaque plus globalement l’extraction de la plus-value :

Vale más un minerico / con su ropa de trabajo / que todos los señoritos / calle arriba, calle abajo. (Fernández Riquelme, cité sans référence à un cante)

Minero, ¿pa qué trabajas / si pa ti no es el producto ? / Para el patrón son las alhajas / para tu familia el luto / y para ti la mortaja. (Fernández Riquelme)

Cuando se volvió dinero / la plata que había en el tajo / no se acordó del minero / que a costa de su trabajo / le dio el valor verdadero. (Fernández Riquelme)

De la entraña de la mina / sale el rico minera / para que tengan berlina / los hijos de don Pascual. (Fernández Riquelme)

Los capataces de la mina / van a hacer una romana / para pesar el dinero / que toítas las semanas / le roban al minero. (taranta)

Los mineros son leones / bajan a la mina enjaulados / trabajan entre piñones / y mueren desepultados / para darle al rico millones. (minera)

Taranta (Rafael Farina)
Minera (Jeromo Segura)
Jeromo Segura/La Voz de la Mina. Antología de los Cantes Mineros de la Unión (2014)

Taranta : Rafael Farina (chant) / Manuel Bonet (guitare)

Minera : Jeromo Segura (chant) / Rosendo Fernández (guitare)

Claude Worms

Bibliographie

ARENAS POSADAS, Carlos : Empresa, mercados, mina y mineros. Río Tinto, 1873-1936. Huelva, Universidad de Huelva Publicaciones, 2000

CHAVES ARCOS, Rafael et KLIMAN, Norman Paul : Los Cantes Mineros a través de los registros de pizarra y cilindros. Madrid, El Flamenco Vive, 2012

COLLADO AGUILAR, Miguel Ángel : El "año de los tiros" : cuando el capitalismo industrial asomó sus garras e Huelva. 2018 — https://www.elsaltodiario.com/historia/ano-de-los-tiros-masacre-riotinto-huelva-1888

EGEA BRUNO, Pedro María : Coyuntura minera y clase obrera en Linares. 1882-1886. Revista de Historia Contemporánea, 1991 — https://idus.us.es/handle/11441/55581

FERNÁNDEZ HERRERA, Teresa : Minería de La Unión : cuando sonaron los tiros. Periodistas en español, 2016 — https://periodistas-es.com/mineria-de-la-union-cuando-sonaron-los-tiros-75179

FERNÁNDEZ RIQUELME, Pedro : La lírica flamenca en los cantes de las minas. Murcia, Revista La Madrúga, Universidad de Muecia, 2011 – http://revistas.um.es/flamenco/article/view/132391

LINDE RUIZ, Rafael : Obrerismo y socialismo en el distrito minero de Linares-La Carolina (1887-1936), Boletín del Instituto de Estudios Giennenses, 2005

PÉREZ LÓPEZ, Jésus : La olvidada cuenca minera de Río Tinto. Movimiento obrero durante el dominio británico. Regimen de la Restauración. Revista La Comuna. 2018 — https://www.revistalacomuna.com/cultura-y-memoria/movimiento-obrero-cuenca

RUIZ BALLESTEROS, Esteban (coordination) : Cultura minera en Andalucía. Sevilla, Demófilo, Fundación Machado, 1994

SIERRA ÁLVAREZ, José : Rough characters. Mineros, alcohol y violencia en el Linares de finales del siglo XIX. Valencia, Historia Social, UNED, 1994 — https://www.jstor.org/stable/40340372


Cartagenera (Niña de los Peines)
Minera (Antonio Chacón)
Taranta (Niña de Linares)
Taranta (Niña de Málaga)
Taranta (Niña de los Peines)
Taranta (Niño de la Huerta)
Minera (Camarón de La Isla)
Levantica (El Cojo de Málaga)
Taranta (Manuel Escacena)
Murciana (El Cojo de Málaga)
Taranta (Enrique Morente)
Cartagenera (El Mochuelo)
Cartagenera (Antonio Chacón)
Cartagenera (El Cojo de Málaga)
Minera (Antonio Grau)
Taranto (Pepe Pinto)
Taranta (Rubia de las Perlas)
Cartagenera (Niño de La Isla)
Taranta (Niña de La Puebla)
Minera (Canalejas de Puerto Real)
Tarantos (El Chocolate)
Taranta (Niña de Antequera)
Minera (Pencho Cros)
Minera (Antonio Grau)
Taranto (Camarón de La Isla)
Minera (Mayte Martín)
Taranta (José Cepero)
Taranta (El Sota de Bélmez)
Taranta (Niño de las Marianas)
Taranta (Niño de Almadén)
Minera (El Cojo de Málaga)
Cartagenera (Antonio Chacón)
Taranta (El Cojo de Málaga)
Cartagenera (Antonio Chacón)
Murciana (Niña de Linares)
Taranta (Angelillo)
Taranto (Juan Valderrama)
Taranto (El Chocolate)
Taranta (Rafael Farina)
Minera (Jeromo Segura)
Levantica (Camarón de La Isla)




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