IVe Festival Flamenco en Loire : du 25 au 27 juin 2021

jeudi 1er juillet 2021 par Claude Worms

Dédiée cette année au Guadalquivir, qui le lui a bien rendu, la quatrième édition du Festival Flamenco en Loire n’a pas dérogé à sa réputation de qualité artistique et de convivialité. Comme de coutume, la programmation, conçue par Mathias Berchadsky et le trio directeur de la Compagnie Eoliharpe (Claire Bossé, Maud Civel et Gilles Constant) était à la fois diversifiée et bien équilibrée, entre tradition et création contemporaine, entre artistes "espagnols" et "français" (entre guillemets, parce que le flamenco ignore les frontières) et apportait une égale attention au cante, au toque et au baile...

Primeros pasos por sevillana, sous la direction attentive d’Helena Cueto, accompagnée par David "el Gamba" et Dani Barba)

... De concerts en spectacles, les festivaliers n’auront guère eu le temps de quitter le village andalou jouxtant la scène, pour se restaurer et se désaltérer (c’était succulent…), s’initier aux sevillanas ou écouter une conférence – si ce n’est pour participer à des stages et autres master classes animés par les artistes.

Les festivités avaient commencé bien en amont du dernier week-end de juin, par des interventions à l’EHPAD de Gennes et au Foyer Logement des Rosiers sur Loire (27 et 28 mai), puis au collège de Gennes (11 juin), animées par des artistes venus en voisins, Lise Boucault, Gabrielle Lemseffer, Joanne Delbeke et Steven Lebreton – l’action culturelle de la Compagnie Eoliharpe ne se limite d’ailleurs ni au flamenco, ni à ce festival bisannuel qui n’existerait pas sans le dévouement d’un "noyau dur" de militants pour son organisation (Marie-Claude André, Fanny Guineberteau, Marlène Lelièvre, Maryse et Sylvie Pauleau, David Sauterey) et d’une cinquantaine de bénévoles pour sa réalisation.

Helena Cueto

Le programme du festival commença au mieux par une belle démonstration de baile conjuguant harmonieusement les quatre disciplines fondamentales du flamenco, le chant, la danse, la guitare et les palmas. Helena Cueto nous offrit une leçon de chorégraphies classiques rigoureuses, selon leurs trois phases canoniques : marcajes del cante, falsetas en duo avec la guitare et escobillas, le tout dûment articulé par les llamadas, cierres et desplantes de rigueur : d’abord por taranto (taranto et levantica del Cojo de Málaga, sur un texte popularisé par Camarón de la Isla pour cette dernière) avec final por tango (extremeños et de Granada) ; puis des bulerías por soleá (de la "casa de los Pavón", Pastora "Niña de los Peines" et son frère Tomás) avec final por bulería – nous avons particulièrement apprécié l’adaptation d’un texte de tiento de Francisco Moreno Galván chanté jadis par José Menese ("Señor que va a caballo / Y no diñaba los buenos días / Si el caballo cojeara / Otro gallo cantaría").

de gauche à droite : Alejandro Mendía, David "el Gamba" et Dani Barba

Entretemps, les trois musiciens qui l’accompagnaient avaient eu l’occasion d’exprimer au mieux leurs qualités. Alejandro Mendía (chant) avait commencé le spectacle par une série de fandangos, construite de manière originale et interprétée avec une élégante musicalité : fandango d’Antonio Rengel, ad lib. et a capella / fandango del Gloria ad lib. accompagné par Dani Barba / deux fandangos por soleá, d’abord la version d’Isabelita de Jerez d’une letra de fandango de Lucena ("Ella es buena y volvera…") puis le classique incontournable "Antes de llegar a tu puerta mi caballo se paro…" (Tomás Pavón, Manuel Vallejo, Manuel Torres, etc.). Le cante de David "el Gamba " vaut surtout par la vigueur de son phrasé rythmique. Aussi avait-il judicieusement choisi d’interpréter une série d’alegrías conclue par une cantiña del Pinini dédiée à quelques "maestro(a)s" (La Perla de Cádiz, Pericón, Aurelio Sellés et Camarón). Dani Barba nous régala d’un solo por bulería tout en swing décontracté, conciliant habilement des tournures de Parrilla de Jerez avec des séquences harmoniques jazzy, et conclue par un "cambio" (modulation à la tonalité mineure homonyme du mode flamenco sur La, ou "por medio") citant un thème de Diego de Morón ("Aire fresco").

Laura Vital et Eduardo Rebollar

Enthousiasmé par son récital, notre ami Arnaud Dumond déclara que Laura Vital est une artiste "solaire", caractérisant ainsi autant sa personnalité que son style. Si nous appliquions le même qualificatif à Eduardo Rebollar, nous pourrions sans doute arrêter là notre compte rendu. Nous avons déjà eu souvent l’occasion de souligner la plénitude vocale et la maîtrise technique de la cantaora (longueur de souffle, conduite mélodique, nuances dynamiques, clarté de l’articulation et de l’ornementation, etc.). Avec un tel instrument, la tentation serait grande de s’en tenir à faire étalage de virtuosité. Laura Vital n’y cède jamais et le met constamment au service de l’expressivité, caractérisant l’affect de chaque palo, de chaque cante et de chaque letra avec respect et sobriété. Le moins que l’on puisse écrire est qu’elle "transmet" (la vertu première de tout artiste flamenco) constamment, en préservant l’équilibre entre la forme, l’éloquence et l’énergie qui est la marque des grandes chanteuses-compositrices "classiques" – dans tous les sens, flamencos ou non, de cet adjectif.

Eduardo Rebollar compte parmi les rares guitaristes qui donnent un surcroît de sens à tout ce qu’ils jouent, jusque dans la moindre nuance de leurs accompagnements, avec une intuition aigüe du discours musical à grande échelle – commentant avec autant de justesse que de concision ce qui vient d’être dit, devançant ce qui va advenir et poussant sa partenaire, par ses relances, à se surpasser. Il était particulièrement en verve ce soir, ce qui nous valut quelques succulentes "réponses a cuerda pelá", façon Paco Cepero grande époque, avec des pointes d’humour quand le palo s’y prêtait (tangos, cantiñas, bulerías).
Sur un plan plus technique, Eduardo Rebollar est le créateur d’un système de rasgueados original qui lui permet de produire en continuité une sorte de crescendo de densités, en divisant insensiblement la pulsation en triolets de doubles croches, triples croches et quintolets de triples croches (y compris au tempo effréné de la bulería). Il en use en musicien, ne négligeant ni la dynamique (accentuation des temps forts du compás - tangos, fandangos de Huelva et cantiñas) ni la dimension mélodique (sur les cordes aigües, par renversements des accords).

Sans jamais s’écarter des canons harmoniques traditionnels, ses introductions, notamment pour les palos ad lib. (malagueña et granaína), sont des condensés d’ethos d’où les cantes semblent émaner avec une naturelle évidence. "¡ Llámame !", disait souvent Pepe de la Matrona à ses accompagnateurs : la guitare d’Eduardo Rebollar est un appel permanent au chant.

Le programme du récital était pour l’essentiel tiré de celui de l’album indispensable "Tejiendo Lunas" (Music Pendulo, 2015), non sans quelques inédits : tangos ( cantes de Juana "la Revuelo", Pastora Pavón "Niña de los Peines" et Tía Marina Habichuela, ponctués de deux compositions d’Enrique Morente et associés à un chant de la tradition des Roms des Balkans) ; malagueñas de La Trini et de La Peñaranda et fandango de Frasquito Yerbabuena (un parcours historique à rebours de la genèse des malagueñas : ad lib / rythme abandolao rubato sur tempo modéré / rythme abandolao sur tempo vif façon verdial) ; cantiñas de Pastora Pavón avec une introduction por rosa, reprise au cours de la série (Laura Vital est la spécialiste actuelle de la rosa, qu’elle a reconstituée à partir d’un enregistrement fragmentaire de Ramón Medrano) ; granaína avec, en introduction, un chant d’Oum Kalthoum dans la langue originale (ce dernier, repris a compás de tango pour le final, donna toute la mesure de la connivence du duo avec le public : après une fausse sortie, une nouvelle reprise fut accompagnée spontanément par les palmas des spectateurs – en mesure, ce qui est rare en France…) ; fandangos de Huelva dont l’interprétation faisait honneur au père de la cantaora, grand expert du genre ; bulerías sur le fil conducteur de cantes de La Perla de Cádiz, avec inserts de compostions de Juana Cruz (la mère de Camarón) et de María "la Sabina" (nous avons particulièrement admiré la créativité des phrasés rythmiques de Laura Vital sur des compositions de La Perla dont nous avons pourtant écouté quelques centaines de versions). Ajoutons que pour les fandangos et les bulerías, la cantaora se livra à l’exercice obligé du chant en avant-scène, sans que l’on observe un notable déficit de puissance malgré l’absence de micro.

Salué par une ovation à la hauteur de l’évènement, les deux musiciens nous offrirent en bis une magnifique vidalita por bulería, avec des mélismes alla Pepe Marchena impeccablement ajustés au compás (une performance musicale autant que technique). Laura Vital et Eduardo Rebollar forment incontestablement l’un des plus remarquables duos chant-guitare du flamenco contemporain, avec un bonheur communicatif de faire ensemble de la musique qui ne saurait être restitué en studio. A quand l’album live qui s’impose ?

De gauche à droite : Juan de María, Manuel Tañé, José Maya, Mathias "el Mati" Berchadsky et Dani Barba

Après une conférence, qui s’efforçait de répondre à l’épineuse question "Qu’est-ce que le flamenco", et une initiation aux sevillanas, la soirée du samedi était entièrement consacrée au baile, avec le spectacle de José Maya. Saluons d’abord le courage et le professionnalisme de Mathias "el Mati" Berchadsky et de Dani Barba, qui remplacèrent au pied levé le guitariste Yoni Jiménez.

José Maya est à l’évidence un adepte du "baile de hombre, de cintura abajo", selon les critères du fameux décalogue de Vincente Escudero : immobilité des hanches, soulignée par les bras croisés sur le torse ou les mains positionnées sur la ceinture ; giration des poignets de l’intérieur vers l’extérieur, doigts joints ; pirouettes et sauts, si utilisés avec modération ; prépondérance du zapateado. Dans ces conditions, les mouvements de bras ("braceos") sont limités au minimum et privilégient la ligne droite plutôt que la courbe, surtout pour souligner les desplantes avec trois figures imposées : diagonales bras déployés par rapport au torse, bras perpendiculaires au torse à hauteur des épaules, ou un bras levé le l’autre le long du corps, poing appuyé sur la ceinture. Force est de constater que le bailaor en est un virtuose, et l’on ne peut que souligner sa générosité, sa puissance et la diversité comme la précision des figures rythmiques de ses escobillas. Mais… poussé à l’extrême comme ce fut le cas lors de ce spectacle, ce style tend à ignorer la musique à deux points de vue. D’une part, la musique produite par la danse elle-même est réduite à une seule composante, le rythme (peu de nuances dynamiques et aucune diversité sonore pour les techniques de pied). D’autre part, et surtout, le cante et le toque y sont réduits au rôle de simples faire-valoir de la danse.

Or, les chorégraphies flamencas, du moins dans leurs versions traditionnelles comme c’était le cas ce soir, ne tirent leur cohérence et leur sens que de la succession d’épisodes au cours desquels le chant ("marcajes"), la guitare ("falsetas") et la danse prennent successivement les commandes de la performance. Il est significatif que José Maya ait écourté autant que décemment faire se pouvait les marcages des cantes, qu’il étouffait régulièrement dès le deuxième ou le troisième tercio par des zapateados d’une puissance et d’une prolixité hors de propos, qui frisaient l’irrespect. Seul y échappa le baile por soleá (cantes de Joaquín "el de la Paula" et de La Serneta), qui fut du coup, à notre avis, la pièce la plus aboutie du programme. Mathias "el Mati" Berchadsky et Dani Barba n’eurent le loisir de nous offrir quelques instants bienvenus de musicalité sereine que lors de brèves introductions : malagueña et soleá pour le premier, tiento pour le second.

Le "cante corto" (muy corto...) de Manuel Tañe et de Juan de María convient bien à la danse de José Maya, qui n’en requiert effectivement pas plus. Par contre, écrire que leurs cantes en duo chant/guitare nous ont laissé perplexe serait un euphémisme. Nous peinons à comprendre pourquoi Manuel Tañe choisit deux malagueñas pour lesquelles il ne possède ni la longueur de souffle, ni la fermeté de conduite mélodique, ni l’agilité ornementale nécessaires : si la malagueña del Mellizo peut à la rigueur s’accommoder d’une fragmentation des périodes mélodiques ("tercios") en courts traits tout uniment en puissance (encore que… écoutez Aurelio Sellés ou Rancapino, qui ne sont pas non plus des chanteurs "à voix", mais qui savent l’importance des nuances et des contrastes de dynamique et de phrasé pour l’expressivité), tel n’est pas le cas de celle de Juan Breva (sur rythme abandolao), qui ne se peut apprécier que par la lisibilité de la totalité son arc de mélodique (son tronçonnage arbitraire la défigure irrémédiablement). Nous n’insisterons pas sur les tientos-tangos de Juan de María : accelerando intempestif sur chaque dernier tercio des tientos, paradoxalement moins marqué pour la transition vers les tangos, placement rythmique hasardeux, justesse approximative, etc.

Toujours est-il que les très (trop) longues séquences de zapateado finirent par nous lasser, d’autant que les trois chorégraphies étaient basées sur des compases de douze temps : por soleá, por bulería et por siguiriya (pour les cantes : martinete, siguiriya de Tío José de Paula et cambio de Juan Junquera) – traités de cette manière et du moins vus et écoutés de l’extérieur, les zapateados por bulería et por siguiriya s’avèrent singulièrement interchangeables. Pourquoi dès lors, pour apporter un peu de variété rythmique, ne pas avoir dansé une farruca, un zapateado, des tarantos-tangos ou des tientos-tangos, qui sont tout autant des "bailes de hombre" ? On aura compris que cette esthétique du baile n’est pas vraiment notre tasse de thé, mais l’honnêteté nous oblige à écrire que, par sa fougue comme par sa présence scénique, et surtout pour la créativité des ses couples remates-desplantes, José Maya n’a rien à envier à des virtuoses de même obédience, tel Farruquito. En tout cas, le public fut captivé tout au long du spectacle, et le manifesta avec ardeur – c’est bien là l’objectif prioritaire d’un artiste sur scène.

Les spectacles de danse flamenca se suivent et ne se ressemblent pas… A une heure bien peu flamenca (dimanche, à 11h), nous avons eu le privilège de voir "Naufragio universal" , une pièce de Chloé Brûlé et Marco Vargas qui restera pour nous l’un des deux grands moments de ce festival, avec le récital de Laura Vital et Eduardo Rebollar. Danse sans frontières stylistiques (flamenca, classique, contemporaine)… et sans musique flamenca : son accompagnement, ou plutôt son image sonore, était dévolue à des extraits symphoniques de parfum vénitien (entre concerto grosso et "Mort à Venise", comme le suggéraient les costumes très "villégiature de luxe" , lunettes de soleil et chapeaux inclus) et au silence, qui jamais n’aura été si musical.

"Naufragio universal" est un merveilleux poème chorégraphique en forme de parabole dénué de tout symbolisme pesant, la narration émanant sans intermédiaires parasites de temporalités diversement habitées (de l’extrême ralenti au saccadé haletant), d’arrêts sur image d’une grande beauté plastique (et non de "desplantes") et de l’occupation infiniment mouvante de l’espace scénique. Car il faudrait ajouter aux deux protagonistes un troisième personnage constitué de carrés et de rectangles de plancher de petites dimensions, dont les diverses configurations figuraient des radeaux ou des gués toujours en péril, fragiles refuges instables sur quelque abîme menaçant – furie océanique tempétueuse, marécage bourbeux, dystopie et "naufrage" moral et social, tréfonds de l’inconscient, etc., on ne sait. En ce sens, cette pièce fait écho à la polysémie des letras flamencas traditionnelles : comme le couple qui danse sous nos yeux, le "je" qui s’exprime dans le cante n’est que rarement saisi dans une situation précisément décrite, en sorte que ce qu’il nous dit des êtres humains peut être diversement interprété, du plus intime au plus politiquement engagé.

Chloé Brûlé et Marco Vargas incarnent donc deux personnages "universels", en ce qu’ils affrontent comme ils le peuvent la précarité et la fragilité qui les assaillent sans relâche. Ils se séparent et s’unissent, construisent et reconstruisent leurs puzzles salvateurs, dans une dialectique vertigineuse entre équilibre et déséquilibre, harmonie et chaos. Aucune certitude ne nous est jamais assénée. Toutes les émotions auxquelles nous participons passent exclusivement par le rythme fluide et l’élégance d’une chorégraphie pourtant non figurative qui fait feu de tout bois, du pur idiome classique à la gestuelle et au zapateado les plus flamencos – les deux artistes ont l’intelligence de ne pas accompagner les inserts flamencos, brefs et d’autant plus explosifs, d’une musique référentielle qui ferait pléonasme. Même les manipulations des morceaux de plancher – les sortir de la caisse qui les contient, les passer de main en main, les déployer inlassablement et enfin les ranger – font partie intégrante du fil chorégraphique. Nous ne saurions rendre compte plus adéquatement d’un spectacle qu’il faut voir et revoir, plutôt que le décrire. Sachez cependant que l’histoire se termine bien, danseuse et danseur juchés debout, étroitement enlacés, sur la caisse de plancher définitivement close – d’où nous pouvons déduire qu’ils sont sauvés.

La pluie, qui jusqu’alors nous avait épargnés, obligea Chloé Brûlé et Marco Vargas à adapter leur scénographie, qui était prévue pour une représentation en plein air au bord de la Loire (Le Thoureil), à l’espace de la nef de l’église voisine. Ce fut chose faite en quelques minutes, et l’on mesurera par là leur respect du public et leur conscience musicale : non seulement le nouveau dispositif scénique permit à chacun de ne rien perdre du spectacle, mais ils adaptèrent le fin nuancier de leurs zapateados à une acoustique radicalement différente. Pour remercier les spectateurs qui les ovationnaient, les deux artistes leur offrirent des bulerías impromptues sur des cantes jerezanos a capella de David "el Gamba" (décidément infatigable) : preuve, s’il en était besoin, qu’ils savent aussi le faire.

Les très jeunes enfants qui assistaient nombreux au spectacle sont restés bouche bée du début à la fin. C’est un public qui ne trompe pas.

Louis Winsberg et Alberto García

Sans doute impressionnées par la présence de Louis Winsberg, qu’on ne présente plus, les intempéries se livrèrent à un dernier assaut virulent pendant les balances, mais nous accordèrent un trêve, ponctuellement, à l’heure du concert (dimanche, 17h). Entièrement constitué de compositions issues de l’album "For Paco" (Label Bleu, 2016), le programme en présentait des versions notablement remodelées pour l’effectif réduit à un quintet du groupe Jaleo : outre Louis Winsberg, Sabrina Romero (cajón, chant et danse), Alberto García (chant et guitare), Cédric Baud (saz basse, sitar électrique et mandoline) et Stéphane Edouard (percussions).

La plupart des pièces étaient basées sur les compases de tango-rumba et de bulería, réduite à un medio compás ternaire qui pouvait aussi bien faire office de 4/4 jazzy propice aux chorus du leader. Il n’en résultait cependant aucune monotonie, tant le groupe sait tirer partie de toutes les textures rythmiques, mélodiques et sonores offertes par les diverses configurations des cordes pincées, des percussions et des voix. Nous en avons eu une première démonstration avec les deux volets de "Podemos" qui ouvraient le concert : introduction de guitare en claire référence au style de Paco de Lucía (alternance entre passages ad lib. et ébauches de bulería façon "Huida" et mode flamenco sur Do# avec cadences rappelant la rondeña" Mi niño Curro"), suivie d’une canción por bulería ponctuée d’ "ayeos" à deux voix et de breaks de saz et de guitare.

Sabrina Romero / Alberto García

Suivit logiquement l’hommage proprement dit, intitulé "For Paco". Il n’est pas indifférent de remarquer que le palo de référence était cette fois la siguiriya, celui-là même que Paco de Lucía avait choisi pour rendre hommage à sa mère ("Luzia") : cante par Sabrina Romero et compás subtilement masqué par un leitmotiv en arpèges à 3/8. Dans la même veine, "Bulerhimalaya", après une poignante introduction por martinete d’Alberto García, ajoutait à la musique son complément visuel indispensable, un long baile de Sabrina Romero. Ajoutons que Louis Winsberg a l’intelligence de ne jamais citer explicitement Paco ; il nous en offre de pénétrants portraits musicaux plutôt que de se livrer à des exercices de style « à la manière de ». Ces portraits sont d’ailleurs très flamencos, dans la mesure où ils ignorent le thème/développement et procèdent par touches mélodico-rythmiques incessamment remodelées pour les lignes, et en dégradés d’alliages de timbres pour les couleurs.

Stéphane Edouard / Cédric Baud

L’autre référence musicale de Jaleo pourrait être la rumba de la movida madrilène (Ketama, La Barbería del Sur), dont nous avons retrouvé la veine mélodique et les harmonies ouvertes dans plusieurs chansons, notamment dans "Sentimiento" (spectaculaire chorus de percussions) et "Que más" (introduction onirique en duo saz/guitare, beau chorus de guitare et brillant dialogue cajón/percussions). Mais la palette musicale de Jaleo ne se limite pas au jazz méditerranéen "por lo flamenco", et Louis Winsberg nous régala de deux surprises : d’abord "Libertad", un gospel choral hiératique pour voix soliste, chœur (contrechants en voix de tête d’Alberto García) et duo de sazs, tout en recueillement et émotion ; ensuite "Salsita", une rumba caribéenne en duo acidulé spakr/mandoline évoquant le timbre d’un cuatro à quatre mains (Louis Winsberg et Cédric Baud).

"¡ Viva Jerez !" concluait le programme par une bulería, résolument binaire cette fois, alla Diego Carrasco-Moraíto. Après un long bis qui résumait à lui seul le concert (succulente évocation guitaristique de la bulería de Cádiz pour la coda), le Festival Flamenco en Loire s’achevait ainsi comme il avait commencé avec le récital de Laura Vital et Eduardo Rebollar, par la joie de musiquer ensemble, public inclus.

Cet article prenant des proportions alarmantes, nous ne pouvons rendre compte des stages – nous n’avons d’ailleurs pu assister qu’au cours de Laura Vital et à la master class d’Eduardo Rebollar, tous deux passionnants. Les stagiaires que nous avons rencontrés étaient ravis et récidiveront certainement dans deux ans. Il y en eu pour tous les goûts et pour tous les niveaux : chant (Laura Vital), guitare (Alvaro Martínez, Mathias Berchadsky, Eduardo Rebollar et Louis Winsberg), danse (La Cecilia et José Maya) et palmas (David "el Gamba").

Claude Worms

Photos : Florent Ourth / Festival Flamenco en Loire

PS, à l’adresse de la municipalité de Gennes et, vraisemblablement, de la Direction des Monuments Historiques : quelques aménagements des gradins de l’amphithéâtre et du chemin d’accès au site seraient les bienvenus. Ils amélioreraient le confort des spectateurs et allégeraient la lourde tâche des bénévoles (installation de la scène et du dispositif de sonorisation).

PS (2) : nous étions logés à l’hôtel Les Cocottes des Rosiers sur Loire : hôtesse accueillante, petits déjeuners appétissants, confort, calme et situation idéale à deux pas d’une promenade en bord de Loire où nous avons pu visiter une belle exposition de peintres locaux. Si vous passez dans la région…





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