Alicia González Sánchez : "Paseando por la Granada flamenca"

mercredi 30 décembre 2020 par Claude Worms

Alicia González Sánchez : "Paseando por la Granada flamenca. Paisajes sonoros de la guitarra" — Grenade, Publicaciones de la Diputación de Granada, collection "Granada Universo Flamenco", volume 5, 2020 (texte en espagnol, 155 pages).

Illustrations : Laura González Sánchez.

Prologue : Walter Aaron Clark.

Nous avons déjà eu souvent l’occasion de souligner l’importance historique de Grenade dans l’histoire de la guitare flamenca — cf, notre étude générale sur Grenade, haut-lieu de la guitare flamenca. 1 et 2, nos articles sur la dynastie des Román (notamment Vicente "el Granaíno" et Román "el Granaíno"), Ángel Barrios et Manuel Cano, notre hommage à Juan Carmona "Habichuela" et notre anthologie de compositions de Manuel Cano (rubrique "Compositions pour guitare flamenca").

C’est dire si nous nous réjouissons de la parution, dans la collection "Granada Universo Flamenco" de la Diputación de Granada et grâce à l’action éditoriale de Fátima Gómez Abad et de Matilde Bautista Morente, de ce "Paseando por la Granada flamenca. Paisajes sonoros de la guitarra". L’étude rigoureuse et amplement documentée de la musicologue Alicia González Sánchez est, sinon une somme définitive, du moins une synthèse des recherches sur la question qu’aucun spécialiste ne saurait ignorer. L’aficionado curieux y trouvera ample matière à réflexion, l’auteure prenant soin d’éclairer ses analyses musicologiques par leurs contextes politiques, socio-économiques et urbanistiques. De ce point du vue, l’ample bibliographie ("Para saber más", pages 141 à 155) est à elle seule un utile outil de travail : on y trouvera des références, classées par thèmes, sur l’histoire de Grenade, son urbanisme, sa vie musicale et ses traditions flamencas ; sur la guitare flamenca (musiciens et luthiers grenadins) ; sur les théâtres et les cafés cantantes de la ville ; sur la présence du flamenco dans la presse locale, etc.

La bibliographie propose aussi neuf ouvrages "touristiques", guides de "paseos por Granada" publiés entre la fin du XVIIIe siècle et 2005. En effet, l’heureuse originalité du livre d’Alicia González Sánchez est de nous convier à trois parcours urbains, à la recherche des vestiges de ce que furent les "paysages sonores de la guitare" de Grenade. Les trois itinéraires, correspondant aux trois parties de son étude, s’organisent géographiquement autour de la ville basse, d’abord entre la place Bibarrambla et la Puerta Real (pages 23 à 46), puis de la Puerta Real au Paseo del Salón et à la Plaza del Humilladero, via le Campillo et la Carrera del Genil (pages 47 à 84), avant de monter vers la Sacromonte en passant par l’Alhambra (pages 85 à 109). Ce plan est d’autant plus judicieux qu’il correspond au découpage chronologique habituel des études sur la généalogie du flamenco : respectivement, fin de la Renaissance et baroque (fin du XVe siècle - première moitié du XVIIIe siècle) ; classicisme et romantisme (deuxième moitié du XVIIIe siècle et XIXe siècle) ; nationalisme musical (première moitié du XXe siècle).

Illustration, page 47

Le développement de la vile basse autour de la place Bibarrambla est lié à la politique des Rois Catholiques qui, après la prise de Grenade en 1492, convertirent ce quartier, qui abritait déjà le marché et la foire aux bestiaux durant la période nazarie, en centre commercial, religieux et administratif : cathédrale, archevêché, palais curial, siège de l’Inquisition, résidences nobiliaires, etc. C’est donc là que se déroulaient toutes les célébrations civiles et religieuses marquées par des fêtes et des processions, dont celle de la Semaine Sainte et surtout celle du Corpus Christi, évènement majeur du calendrier catholique dans une ville quasiment considérée comme une terre de mission.

Alicia González Sánchez n’apporte pas de connaissances nouvelles sur les usages de la guitare à cette époque, peu documentés. Ce qu’elle nous décrit pour Grenade confirme les travaux antérieurs de Norberto Torres, Eusebio Rioja, Faustino Nuñez et Guillermo Castro. Il semble que la séparation reste encore nette entre la guitare populaire "rasgueada", ou encore "española" (à quatre ordres d’abord, puis cinq) et la vihuela, d’usage savant et aristocratique. Même si la postérité a surtout retenu les noms des musiciens ayant composé pour ce dernier instrument (Luis de Narváez et Luis de Guzmán sont originaires de Grenade), certains virtuoses de la guitare "rasgueada" étaient sans doute célèbres en leur temps, tel Hernando de Orellana cité par Luis Zapata de Chaves dans ses "Miscelánea o Varia Historia" écrites entre 1583 et 1592. Peut-être faut-il y voir un indice de l’intérêt particulier des grenadins pour la guitare, sur lequel nous reviendrons. C’est en tout cas cet instrument populaire qui accompagnait les chants et les danses, y compris dans les processions et jusque dans les églises. Mais on le trouvait sans doute également dans les groupes de danseurs, chanteurs et instrumentistes au service des cours aristocratiques qui, à Grenade, "fusionnèrent" jusqu’au milieu du XVIe siècle les répertoires des musiciens morisques, juifs et chrétiens — villancicos, jácaras et romances.

Les "idas y vueltas" entre répertoires populaire et savant, tant sur le plan musical que chorégraphique, sont l’une des conséquences majeures de la vogue des "corrales de comedias". Rappelons qu’un spectacle théâtral type comprenait trois "journées" (actes) et de nombreux épisodes musicaux, dansés ou non : "cuatro de empezar" et "loa" en introduction, "entremés" après le premier acte, "baile" après le deuxième et "fin de fiesta" (jácara ou mojiganga) pour conclure. Les compositions pour guitare baroque sont majoritairement des stylisations des airs à danser des troupes de théâtre… et vice-versa. A Grenade comme ailleurs, les zarzuelas et tonadillas du XVIIIe siècle sont issues de cette tradition de spectacles conjuguant théâtre, musique et danse. Aussi l’auteure n’apporte-t-elle pas non plus de découvertes majeures sur ce répertoire "pré-flamenco" (cf. les auteurs cités ci-dessus). Mais elle le documente pour la ville : ses théâtres (Corral del Carbón dans la deuxième moitié du XVIe siècle, Coliseo, devenu Casa de las Comedias puis Corral de Comedias de 1593 à 1810, Teatro Napoleón à partir de 1810, rebaptisé successivement Teatro del Campillo, Teatro Principal et enfin Teatro Cervantes depuis 1909, Teatro Isabel la Católica fondé en 1863) ; ses artistes tondilleras (María "la Caramba" 1750-1787 ; María de la Chica "la Granadina", 1734-ca 1806) ; ses hôtes de marque (entre autres, les chanteurs-compositeurs Manuel García, sa fille Pauline Viardot et Antonio Guerrero ; l’étoile bolera Petra Cámara). Depuis les travaux de Gerhard Steingress, on sait que les tenants libéraux de d’une Espagne "européenne" (aristocratie "éclairée" et bourgeoisie d’affaires) et les conservateurs attachés aux traditions nationales (ancienne noblesse et petite bourgeoisie) s’affrontaient aussi sur le terrain musical : opéra italien et danse française contre airs "nationaux" et boléro. L’examen des programmes des théâtres ou des récitals de guitaristes tels Julián Arcas ou son fils, Estanislao, montre qu’à Grenade, plus qu’ailleurs, on pratiqua volontiers l’éclectisme et la coexistence pacifique. L’exemple de Lindoro, jeune homme de bonne famille et protagoniste d’un récit intitulé "Así va el mundo" (publié en 1797 dans le "Mensagero económico y erudito de Granada") est particulièrement éloquent : pianiste, guitariste, chanteur et danseur, il anime une soirée en dansant des boléros et des contredanses anglaises, en chantant un air d’opéra et une seguidilla... (pages 55 et 56). Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les cantes flamencos proprement dits concurrencent progressivement les airs pré-flamencos, comme en témoigne un programme de 1860 (page 57) : après une ouverture d’opéra, entre les deux actes d’une première comédie, l’acte unique d’une seconde et un ballet dont la vedette est Petra Cámara, les intermèdes sont dévolus à Antonio Giménez, chanteur lyrique, cantaor et guitariste, qui interprète le Jarabe de Cádiz, El Naranjero, les Mollares de Sevilla, des soleares "de varias clases", deux polos avec leur jaleo et deux malagueñas.

Illustration, page 84

Les cafés cantantes ont été les principaux promoteurs de ce nouveau genre "flamenco". Comme partout en Andalousie, les cafés-concert proliférèrent à Grenade dans les quartiers mal famés, en l’occurrence autour du Camplillo et, par extension, vers les rues Mesones et Zacatín d’une part, vers le Paseo del Salón et la place del Humilladero d’autre part. Mais la zone fit l’objet, à partir du début du XIXe siècle, d’ambitieuses opérations de réhabilitation et de spéculation immobilière, dont la construction du Teatro Napoleón donna le coup d’envoi. Entre anciens habitants du quartier, nouveaux venus résidant dans leurs hôtels particuliers flambant neufs et bourgeois en goguette, la mixité sociale de la vie nocturne n’est pas sans rappeler celle des Champs-Élysées, telle que l’a décrite récemment Ludivine Dantigny (La plus belle avenue du monde. Une histoire sociale et politique des Champs-Élysées, Paris, La Découverte, 2020). Aussi existe-t-il, outre les établissements polyvalents, des cafés-concert pour toutes les bourses et pour tous les goûts (musique classique, variétés, théâtre, danse, prestidigitation, projections cinématographiques, etc. et, de plus en plus, flamenco). Beaucoup sont aussi des lieux de réunion, de fêtes et surtout de "tertulias" pour des organisations professionnelles, des militants de toutes tendances politiques, des intellectuels et des artistes — les plus célèbres restent à cet égard le Café del Liceo, dépendant du Teatro Principal (cf. ci-dessus) et le Café Alameda, lieu de réunion de la "Tertulia del Rinconcillo" fréquentée par Federico et Francisco García Lorca, Manuel de Falla, Manuel Ángeles Ortiz, Arthur Rubinstein, Wanda Landowska, Rudyard Kipling, etc. — les premiers cités y ébauchèrent le projet du Concurso de Cante Jondo de 1922.

Outre cinq théâtres saisonniers installés chaque été le long de la Carrera del Genil et sur la place del Humilladero, Alicia González Sánchez répertorie quatorze cafés cantantes programmant, exclusivement ou non, du flamenco, et apporte de précieuses informations sur leur clientèle, leur organisation et les artistes qu’y s’y produisirent (pages 61 à 77). Le cante acquit également droit de cité dans les théâtres, comme en témoigne la "Gran juerga" donnée au Teatro Isabel la Católica en 1896, au bénéfice de Rafael Gálvez (sans doute le cantaor Rafael Gálvez Aragón, notable siguiriyero). Le programme est révélateur des goûts du public en cette fin du XIXe siècle : malagueñas à cinq reprises, granaínas à deux reprises, levanticas et guajiras (une fois), pour deux séries de soleares, une de tangos et une de siguiriyas, le baile étant réduit aux alegrías et sevillanas — Paquillo "el del Gas", Manuel Rosales, Miguel Cuéllar Villanueva, "el Rixado", Martín "el Calero", "el Tegeriaguero" (vraisemblablement Antonio "el Tejeringuero"), Juanillo "el Crespo", "el Calabacino", Ramón Machado, Francisco Sevilla et Rafael Gálvez pour le cante ; José de la Rosa, Francisco Rus et Paco "el Nene" pour le toque (page 59).

L’auteure souligne à juste titre le rôle déterminant des guitaristes dans la direction artistique et managériale des cuadros (ils étaient souvent les seuls qui sachent lire et écrire, et donc les seuls capables de négocier et signer les contrats). Mais l’engouement pour la guitare soliste est plus spécifique à Grenade : si des tocaores célèbres donnent comme ailleurs quelques concerts dans des théâtres, il leur arrive aussi de se produire en récitals dans des cafés cantantes, ce qui est beaucoup plus inhabituel : en 1881, Julián Arcas joue avec trois guitaristes de Grenade (Juan María Pacheco, Juan de Dios López et Aureliano del Pino) au Teatro Isabel la Católica ; Estanislao Arcas, son frère, donne des récitals au Café del Recreo en 1883 ; Paco "el Águila" au Café de la Mariana en 1887 ; Manuel Arcoya, Manuel Jofré, Vicente Lázaro, Paco "el de Lucena" et Carmelo Recio au Café de Italia ; Natalio Arcas au Café del Callejón, etc. Le programme présenté par Manuel Arcoya et Manuel Jofré au Café del Liceo en 1895 est une anthologie complète des toques de l’époque, telle qu’on peut la déduire de la méthode de Rafael Marín (1902), sans que l’on sache qui jouait quoi ni s’ils jouèrent aussi en duo : romeras, soleares, alegrías, tangos y rosas, rondeña, granaínas, peteneras, sevillanas, guajiras, seguidillas gitanas et malagueñas. Cet engouement insolite pour la guitare flamenca soliste est relayé par la presse qui annonce régulièrement les concerts et en publie de longues critiques. De même, les cours particuliers et les académies plus ou moins spécialisées dans l’enseignement de la guitare flamenca abondent plus qu’ailleurs. Les plus réputées sont dirigées par Manuel Arcoya, rue Mesones et par Carmelo Recio, rue Navas (il poursuivit ses activités pédagogiques à Madrid, où il présenta aussi des cuadros dont les vedettes étaient, entre autres, La Trini, La Serneta et les sœurs Macarronas). Nos lectrices seront ravies d’apprendre que les apprenties tocaoras étaient aussi nombreuses que leurs condisciples masculins : Carmelo Recio prend soin de réserver des jours aux unes et aux autres, à part égale, de 19h30 à 22h — lundi, mercredi et vendredi pour les dames, les autres jours, hormis le dimanche, pour les messieurs (page 84). On trouvera en appendice de brèves notices biographiques de vingt-sept maîtres historiques de la guitarra granaína, de Francisco Rodríguez "el Murciano" (1795-1848) à Juan Carmona "Habichuela" (1933-2016) et Juan Maya "Marote" (1936-2002) (pages 123 à 137).

La passion grenadine pour les cordes pincées s’étend aux instruments à plectre, bandurria et laúd, associés à la guitare en trios qui sont une spécialité de la ville, et sont aussi appréciés dans les cafés cantantes — tel le "Trío Infantil Albéniz", formé par Luis Sánchez, Luis Mañas et José Recuerda (respectivement, guitare, laúd et bandurria), programmé au Café Cervantes en 1909. La tradition de ces ensembles instrumentaux est liée à la zambra, ce qui nous conduit à la partie du livre la plus résolument locale : une ascension de la place del Humilladero au Sacromonte, dont les deux centres d’intérêt sont logiquement le concours de 1922 et la zambra.

Comme de coutume, le chapitre consacré au premier événement commence par la description des tertulias présidées, dans la taverne dont il était le propriétaire, par Antonio Barrios "el Polinario", peintre, cantaor, guitariste et père d’Ángel Barrios. Située dans l’enceinte de l’Alhambra, elle fut, après le Rinconcillo, le quartier général de l’organisation du concours. Tout à déjà été écrit sur le Concurso de Cante Jondo qui, paradoxalement, accorda une place importante à la guitare. On lui réserva deux prix (exclusivement pour l’ accompagnement du cante), dont seul le second fut attribué à José Cuéllar. Les candidats pouvaient être professionnels, contrairement à ce qui était stipulé pour les cantaores. Parmi les dix membres du jury, on dénombrait quatre guitaristes (Ramón Montoya, Manuel Jofré, Amalio Cuenca et Andrés Segovia), contre seulement deux cantaores (Antonio Chacón et Rafael Gálvez). Lors de la finale, José Cortés, Manolo de Huelva, José Cuéllar et Ramón Montoya accompagnèrent les concurrents, Montoya interprétant également quelques solos. Au cours des mois précédents, Manuel Jofré avait illustré por soleá et siguiriya la fameuse conférence de Federico García Lorca (19 février), puis la lecture d’extraits du Poema del Cante Jondo por siguiriya et petenera (7 juin). Andrés Segovia n’avait pas encore les préventions qu’il afficha par la suite à l’encontre de la guitare flamenca, et joua ce même jour por soleá, non sans remercier José Cuéllar qui lui avait prodigué quelques conseils.

A proximité de la taverne del Polinario, les trois hôtels situés dans l’enceinte de l’Alhambra veillaient non seulement au confort, mais aussi au divertissement d’une clientèle cosmopolite avide de couleur locale : musique de chambre, mais aussi chant et guitare flamencos au Siete Suelos ; Trío Albéniz au Washington Irving (José Recuerda, bandurria ; José Molina, laúd ; Luis Sánchez, guitare) ; cuadro flamenco lors de l’inauguration de l’Alhambra Palace, en présence d’Alphonse XIII, le 31 décembre 1909. Sur commande, les trois établissements organisaient aussi des zambras. Ce type de spectacle remonte vraisemblablement aux fêtes des morisques réfugiés au Sacromonte au XVIe siècle, dont ils partageaient les habitats troglodytes avec des familles gitanes, et dériva en "cantes y bailes gitanos". Sous sa forme contemporaine de représentation du rituel des noces gitanes, la zambra fut créée au milieu du XIXe siècle par Antonio Torcuato Martín "el Cujón", dans une salle installée au-dessus de sa forge, place del Humilladero. La formation type, avec jusqu’à six danseurs et danseuses, un ou deux guitaristes, autant de joueurs de bandurria, un ou deux chanteurs et accompagnement percussif de crotales, castagnettes et tambourins, n’a guère évolué depuis ; non plus que les chants et danses du programme — fondamentalement alboreá, cachucha et mosca, auxquelles sont ajoutés de manière plus aléatoire des tangos et des fandangos locaux, voire des manchegas.

Selon les récits de nombreux voyageurs (nous devons le plus connu à Charles Davillier) les troupes de zambra, en général dirigées par un "capitaine" guitariste, étaient régulièrement convoquées dans les hôtels de luxe où logeaient les touristes. Mais à partir de la fondation de la "zambra de los Amaya" en 1881, elles s’établirent définitivement au Sacromonte. Rappelons que cette zambra fut invitée à Paris lors de l’Exposition Universelle de 1900, pour un spectacle intitulé "Andalucía en tiempos de los moros " — l’auteur reproduit à ce propos une savoureuse chronique du quotidien "La Liberté", datée du 14 juillet, qui vante entre autres "les mélopées étranges et prenantes" de Mariano Morcillo, "le guitariste chanteur, arrivé d’hier, qui a eu un succès énorme" (page 93). Après quelques pauses Plaza Nueva (lieu de naissance de Vicente "el Granaíno"), Paseo de los Tristes (où se déroula le Festval de Cante Jondo de 1961 à 1990) et Plaza de Troqueros (siège actuel de la Peña de la Platería, dont l’auteure dresse un bref historique), notre périple s’achève donc au Sacromonte, avec les dynasties de guitaristes formés au sein des zambras : les Amaya, Ovejilla, Maya, Cotorreros, Román, Habichuela, Cortés, etc. Alicia González Sánchez attribue la puissance et la densité sonores caractéristiques de l’ "école du Sacromonte" aux contraintes acoustiques des caves. Elle y distingue deux tendances stylistiques, l’une accueillante aux techniques de la guitare classique, l’autre plus attachée au toque a cuerda pelá, respectivement incarnées par Juan Carmona "Habichuela" et Juan Maya "Marote", auquel on attribue l’invention de la technique de rasgueados dénommé "el abanico". Les inondations et les glissements de terrain de 1962-1963 provoquèrent l’exode de nombreuses familles gitanes vers les HLM de quartiers périphériques et vers Almería et Málaga. Le désastre interrompit une transmission orale séculaire, peu à peu rétablie à partir des années 1980 : le livre s’achève sur une liste impressionnante, quoique non exhaustive, de tocaores granaínos des deux dernières générations (page 109).

Nul "piéton de Grenade", pour paraphraser Léon-Paul Fargue, ne pourra désormais se livrer aux délices du vagabondage dans la ville sans être accompagné par "Paseando por la Granada flamenca".

Claude Worms


Publication précédentes de la collection "Granada Universo Flamenco"

En 2016, notre ami Joss Rodríguez avait inauguré la collection en beauté avec un magnifique recueil de photographies intitulé "Una mirada fotográfica hacia el flamenco de Granada". L’ouvrage est complété par un prologue de Miguel Ángel Fernández Borrero, des réflexions de l’auteur sur son travail de photographe de flamenco, des commentaires de Cristina Cruces Roldán et de Claude Worms (traduction : Maguy Naïmi) et une biographie de Joss Rodríguez par Matilde Bautista Morente.

En 2018, nous avions eu l’agréable surprise de découvrir en Antonio Campos, par ailleurs cantaor, l’auteur de trois récits biographiques sur sa relation au flamenco ("Desde la Alhambra yo te los cuento" — volume 2). Le prologue est signé par Juan José Tellez, les informations didactiques par Alicia González, et la présentation des récits, respectivement, par José Manuel Gamboa, José María Velázquez-Gaztelu et José Luis Ortiz Nuevo. On ne saurait être mieux entouré. Illustrations de Jesús Conde Ayala.

Le troisième volume de "Granada Universo Flameno" est consacré aux cantes emblématiques de la ville, la granaína et la media granaína. Dans son étude ("De Graná, granaínas", 2018) , Antonio Conde González-Carrascosa dénombre onze variantes attribuées à Canario Chico, José Cepero, Niño del Genil, Antonio Chacón, Manuel Vallejo, Pepe Marchena, Tía Marina Habichuela, Cojo de Málaga et Enrique Morente — sans compter une malagueña apparentée de Concha "la Peñaranda" et leur ancêtre commun, le fandando d’África Vázquez "la Pezeña", à laquelle il consacre par ailleurs un précieux chapitre biographique. Le livre est accompagné d’un CD regroupant vingt-six enregistrements, dont quelques très rares incunables. Prologue de Curro Albaicín.

Rappelons que nous devons au même auteur une biographie de José Cepero, avec l’intégralité de sa discographie en CD-Rom (Écija, La Droguería Music, 2017 — 446 pages).

La cantaora Esther Crisol de La Fuente revient sur le "Concurso de Cante Jondo" de 1922 — "1922. Una mirada al pasado", volume 4, 2019). Certes, on ne découvrira aucune information inédite sur un évènement maintes fois décrit et commenté. Mais son approche sous forme de dialogue entre une enfant avide d’apprendre et sa grand-mère lui donne une nouvelle jeunesse et montre à quel point il perdure dans la mémoire collective et continue à provoquer d’inépuisables controverses — surtout à deux ans d’un centenaire qui ne manquera pas d’être commémoré comme il convient. On lira avec intérêt le prologue d’Álvaro Salvador et les brèves notices Lola Fernández Marín ("Un acierto didáctico sobre un acontecimiento histórico"), Pepa Merlo ("La Alhambra en cante jondo. ’Lo que pudo ser’. Presencia femenina en el Concurso de Cante Jondo de 1922") et José Vallejo Prieto ("Unos amigos, una idea y una realidad").

Avec les succulentes illustrations de Seisdedos, pour les jeunes de 7 à 77 ans.

Claude Worms





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