vendredi 16 novembre 2007 par Claude Worms
18 Chulos Records Naïve WN145087
Sur la lancée du succès international de « Lagrimas negras » enregistré en 2003 avec le pianiste cubain Bebo Valdes, le label Naïve réédite en France le second disque du chanteur gitan Diego El Cigala (voir Flamenco Magazine n° 5) paru en Espagne il y a déjà 6ans, mais resté inconnu du public français. Ce projet conçu au départ comme une anthologie flamenca , basée sur un éventail de palos classiques , devant être enregistrée "en vivo" , a radicalement changé de nature quand El Cigala a fait appel en cours de route à Javier Limón comme coproducteur et codirecteur artistique de ce disque qui a finalement été réalisé en studio à Madrid …de Février à Avril 2000. Et curieusement c’est pourtant le même Javier Limón qui a produit, deux ans plus tard, le très beau disque de El Cigala en public au Teatro Real pour Ariola BMG. Mais n’anticipons pas …
Commençant par un chant "por Tangos" ( composé avec la complicité du guitariste Vicente Amigo) qui donne son titre à l’album ,le disque comporte en tout 11 titres , dont les letras toutes écrites par El Cigala figurent intégralement dans le livret . Les palos vont des plus classiques ( 3 Bulerías, une Soleá ,un Tiento , un Fandango de Huelva ) jusqu’à des genres très rarement chantés par la nouvelle génération des chanteurs de flamenco comme le Martinete , la Taranta , la Granaína, ou plus encore la Vidalita , cante de "ida y vuelta" venu du folklore argentin. En ce sens il s’agit sans aucun doute d’un disque ancré dans la tradition. Mais, de par son esthétique musicale, « Entre vareta y canasta » relève souvent beaucoup plus du « nuevo flamenco ». D’abord par la présence de Juan José Heredia dit « El Niño Josele » jeune guitariste gitan d’Almería , neveu de Tomatito , et auparavant accompagnateur occasionnel d’ Enrique Morente, de Duquende, ou de Montse Cortés. El Niño Josele propose un jeu très original, bien plus qu’au cours du concert au Teatro Real ) . "Por Tangos", il explore des sonorités très mates en étouffant les cordes ; il fait de même "por Taranta", et il ajoute des glissandi très longs proches de la musique indienne dans une falsetta trouée de silences ; enfin "por Bulerías (dans « Te la regalo »), il privilégie un accompagnement dans le registre le plus grave de l’instrument qui contraste avec la voix suraiguë du chanteur .
El Cigala a eu la totale liberté du choix de ses invités en studio : il y a convié quatre choristes pour chanter les refrains "por Tangos" et "por Bulerías". Et à notre goût, il aurait mieux fait de s’en passer…Il a aussi invité quatre percussionnistes, essentiellement au cajón , dont trois proviennent de la famille gitane des Porrina originaires de Badajoz , et le dernier de la fratrie gitane des Losada qui avait affublé le chanteur du sobriquet « El Cigala » du temps de leur travail en commun dans la compagnie du guitariste Paco Peña. Ils interviennent dans les chants festeros et aussi dans un étonnant Martinete entonné sur un tempo plus rapide qu’à l’accoutumée, où deux d’entre eux intercalent des interventions d’une jolie variété de timbres. On relève également la présence sur un titre, une Vidalita plus légére mais pleine de charme, des frères Parrilla , Bernardo au violon et Juan à la flûte , neveux du guitariste Parrilla de Jerez qui font partie des très rares musiciens gitans formés à la musique classique et sachant faire sonner leur instrument flamenco.
Pour ce qui touche au style vocal d’El Cigala dans ce disque, ce n’est pas dans les Bulerías , contrairement aux quatre brillantes réussites de son dernier CD « Picasso en mis ojos » , que le chanteur convainc le plus. Mais plutôt dans certains palos assez lents : le Martinete , le Tiento et la Granaína . Dans tous ces cantes, la tension de la voix, effilée comme une flèche, et la maîtrise de l’ornementation, sont sobrement mises au service des lignes mélodiques amples et sinueuses qui font partie de ses marques de fabrique ; tout comme les longues tenues vocales qui donnent toute son émotion à sa magnifique Iaranta ; comme enfin les ahurissants changements de vitesse et de registre dans l’énonciation des letras qui rendent sa Soleá quasi méconnaissable à force de modernité.
Tout au long du disque El Cigala fait preuve d’une ardeur souvent fougueuse. On regrettera seulement qu’il fasse parfois trop recours au cri et que sa voix à la fois très gitane et si particulière , au timbre tout à la fois métallique et chaud , n’ait pas toujours l’ampleur, le grain, et la profondeur qu’elle atteint dans la Granaína « Brota de mi corazón » qui sait nous briser le cœur .
Gérard Tourtrol
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