mercredi 25 mars 2015 par Nicolas Villodre
Il ne se passe donc pas une saison sans qu’on ait droit à un spectacle inspiré de la vie ou de l’œuvre de Federico García Lorca. Ne serait-ce qu’il y a quelques jours, le Teatro real de Madrid donnait, en présence des jeunes rois d’Espagne, un opéra commandé par feu Gérard Mortier au compositeur Mauricio Sotelo, tiré du drame en cinq tableaux El Público, écrit en 1930 par le poète à Cuba.
Ballet Flamenco de Andalucía : " En la memoria del cante. 1922"
Théâtre de Chaillot, salle Jean Vilar / 22 mars 2015
Direction artístique : Rafaela Carrasco
Chorégraphie : Rafaela Carrasco et David Coria
Répétiteur : David Coria
Musique : Antonio Campos, Jesús Torres, Juan Antonio Rodríguez “Cano”
Solistes : Rafaela Carrasco, David Coria, Ana Morales et Hugo López
Corps de ballet : Alejandra Gudí, Florencia O’Ryan, Laura Santamaría, Paula Comitre, Carmen Yanes, Eduardo Leal, Antonio López, Alberto Sellés
Guitare : Jesús Torres et Juan Antonio Rodríguez “Cano”
Chant : Roberto Lorente et Gabriel de La Tomasa
Costumes : Blanco y Belmonte
Scénographie et lumières : Gloria Montesinos (A.A.I.)
Chef d’atelier : Pepa Carrasco
Traduction du Manifesto del 22 : Vicente Pradal
Production, technique, réalisation des costumes et graphisme : Agencia Andaluza de Instituciones Culturales
Distribution : Artemovimiento – Daniela Lazary
Photo : D.R.
Il ne se passe donc pas une saison sans qu’on ait droit à un spectacle inspiré de la vie ou de l’œuvre de Federico García Lorca. Ne serait-ce qu’il y a quelques jours, le Teatro Real de Madrid donnait, en présence des jeunes rois d’Espagne, un opéra commandé par feu Gérard Mortier au compositeur Mauricio Sotelo, tiré du drame en cinq tableaux El Público, écrit en 1930 par le poète à Cuba.
La superproduction du Ballet Flamenco de Andalucía En la memoria del cante. 1922, découverte l’été dernier au théâtre en plein air du Generalife, à l’Alhambra, à la fraîche, vient d’être programmée à Chaillot dans le cadre de la Deuxième Biennale. Il nous a semblé que ce spectacle a gagné en précision gestuelle, en densité et qu’il est maintenant au point vocalement, ce qui est somme toute normal, compte tenu du projet. Le cante, qu’on a pris l’habitude de voir accompagné de/à la guitare, peut-il également l’être par la danse ? Ou, plus exactement, l’art de Terpsichore est-il à même de rendre tribut au cante ? Y aurait-il alors une danse plus particulièrement vouée au chant et se trouve-t-il des danseurs de cante comme il existe des accompagnateurs de baile ?
Ce sont quelques-unes des questions que nous avons pu nous poser à la revoyure de ce show grand public mis en scène et en abyme avec un respect qu’on pourrait qualifier de mémoriel. Votre site favori a eu maintes occasions d’évoquer le Concours de Cante Jondo de 1922 qui se tint au jardin des Aljibes de l’Alhambra, aussi ne reviendrons-nous pas sur cet événement historique initié par Manuel de Falla, son disciple et ami Lorca, le peintre Zuloaga, présidé par Antonio Chacón, remporté par le chanteur jusque-là inconnu Diego Bermúdez “El Tenazas”, qui permit de découvrir l’adolescent Manolo Caracol. Que le Ballet andalou célèbre une fois encore le poète grenadin n’a par ailleurs rien de surprenant. Cet hommage au jeune Lorca n’est pas non plus une autocélébration déguisée, et ne revendique rien sur le plan régional ou national mais veut au contraire s’exporter au-delà du triangle des Bermudes de la terre andalouse.
Photo : Nicolas Villodre
De ce fait, il convient d’être exigeant vis-à-vis d’une compagnie qui a de facto le statut d’ambassadrice du flamenco. Nous avons pu constater d’emblée les qualités de cette production : sa musicalité, les costumes 1900 chatoyants (signés Blanco y Belmonte), les trames colorées faisant office de décor, les mouvements d’ensemble, les danses chorales toutes à l’unisson, que ce soit le ballet futuriste ou constructiviste avec les membres de la troupe vêtus unisexement en combinaisons noires de mécaniciens s’activant comme des robots, le tableau festif de la Zambra (dédié, paraît-il à “La Gazpacha”), les moindres déplacements du corps de ballet pensés comme actes dansés, les solos de David Coria (notamment sa variation sur une Malagueña d’Antonio Chacón) et de Hugo López, un Valentin-le-désossé d’origine cordouane, en nets progrès (même si ses séries de tours sont encore perfectibles), qui ont d’ailleurs fait mouche sur le public bon enfant du dimanche en matinée. Et le bonus final de Rafaela Carrasco ornant sa magnifique robe d’un tablier traditionnel et d’un immense châle, le tout en rouge et blanc printanier, évoluant sous le portrait poignant de Juana Vargas “La Macarrona”...
Photo : D.R.
Notre impression d’ensemble est pourtant que tout étant sous contrôle le ballet paraît un peu trop lisse à notre goût. Manque la prise de risque – y inclus celui du ridicule –, la surprise, l’humour et la note spirituelle, l’intensité, l’aspérité qui pourraient déranger cette belle ordonnance. Les idées chorégraphiques sont certes intéressantes mais, en réalité, pas si nombreuses qu’elles pourraient l’être, ou alors imperceptibles en raison de notre myopie. La scénographie semble avoir été allégée par rapport à sa version estivale et on abuse moins des déplacements incessants de la mini-estrade symbolique et de la grille de tribune ou de tribunal devant laquelle se tiennent les artistes en cause ou en compétition. La voix off, en partie sous-titrée, est didactique et a un ton un brin solennel.
Ceci dit, le va-et-vient entre les époques est réussi. Les échanges entre guitaristes contemporains (Juan Antonio Suárez “Cano” et Jesús Torres), cantaores vivants (Roberto Lorente et Gabriel de la Tomasa) et ceux de l’impressionnante playlist discographique (Ramón Montoya, Manuel Torre, La Niña de los Peines, Manolo Caracol, Antonio Chacón, Diego Bermúdez "El Tenazas", etc.), immortalisés dès les années vingt par le gramophone sont plus qu’efficaces : particulièrement touchants.
Nicolas Villodre
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