"Flamenco se escribe con jota"

Théâtre des Gémeaux / Sceaux / du 20 au 22 novembre 2009

samedi 21 novembre 2009 par Nicolas Villodre

Un spectacle de Miguel Ángel Berna, Úrsula López et Rafael Campallo

Danse (Jota) : Miguel Ángel Berna

Danse (Flamenco) : Úrsula López et Rafael Campallo

Chant (Jota) : Lorena Palacios

Chant (Flamenco) : Juan José Amador et Miguel Rosendo

Guitare flamenca : Jesus Torres et Javier Patino

Guitare espagnole : Guillermo Gimeno

Bandurria : Alberto Artigas

Percussions : Jusué Barres

Nous avons pu assister à la première en France du dernier spectacle du danseur-chorégraphe Miguel Ángel Berna qui a été créé début mars 2009 au festival de Jerez. Disons-le tout net, nous n’avons pas été déçu, loin s’en faut.

Le titre est excellent puisqu’il indique clairement la démarche du chorégraphe, qui est de confronter son art si particulier, local (aragonais), localisé au participe passé, dont la pratique avait fini par se perdre (croyait-on), la Jota, et tout ce qui s’en suit (voix et instruments stridents, sautillements sur la demi-pointe, joie empreinte de vague à l’âme) et le Flamenco dont les lecteurs réguliers de ce site connaissent les arcanes, bien mieux que votre serviteur – forme, état d’esprit, façon de penser qui peut s’écrire aussi avec un « J » : celui du cante jondo.

Un magnifique dessin immensément agrandi d’ Antonio Saura, le frère de l’autre, peintre aragonais mondialement connu et reconnu grâce à Michel Tapié et à Miró, sert de rideau de scène au show. Le trait brut et vif rappelle celui de Dubuffet et fait penser aux croquis du danseur Vicente Escudero.

Photo : Tato Olivas

En dehors des standards, la musique a été composée par la Compagnie du danseur, en particulier par l’excellent guitariste au style traditionnel, Jesús Torres. Les musiciens, comme souvent, meublent le décor : on les a posés sur une estrade, pratiquement backstage, sous le cyclo de Saura. On a réuni en réalité deux orchestres : à gauche, une formation purement andalouse (le duo de chanteurs - palmeros, Javier Rivera - David Lagos, une paire de guitares, Jesús en personne et son aide de camp Javier Patino) ; à droite, un trio un peu plus classique (la chanteuse peroxydée castillane et énergique Lorena Palacios, le guitariste minimaliste Guillermo Gimeno et le multi-bandurriste Alberto Artigas), arbitrés et pulsés comme il faut par le percussionniste Josué Barres.

La danseuse Úrsula López a une belle prestance. Cela compte, en danse comme dans la vie. Elle donne le change et camoufle ses points faibles – on en a tous ! – avec ingénuité et même une certaine ingéniosité. Les gestes de bras mériteraient, par exemple, selon nous, d’être un peu plus précisés. Elle a le zapateado puissant (cf. son solo en costume d’homme) et porte avec élégance la robe à traîne et le châle. C’est indiscutable.

Le bailaor Rafael Campallo, formé par Galván père, est toujours juste. Il est d’un gabarit bien plus léger que celui de ses deux partenaires, c’est un corps sec, au centre de gravité assez bas. Ses jambes sont un peu arquées façon Lucky Luke. Mais il est d’une rare intensité. Sa gamme gestuelle très variée lui permet de mettre facilement le public dans sa poche. Ce qui n’a pas raté dès l’ entame de la soirée.

Last but not least, arrive le Niño Jota. Quelle idée, aussi, de vouloir consacrer sa vie à une expression comme la Jota ! La dynamique du trois temps, le tempo trépidant, les petits pas trépignants de cette danse populaire aragonaise fixée au 19e siècle, répandue dans toute l’ Espagne comme une traînée de poudre, expliquent qu’on l’ait parfois associée aux idées fixes d’un Berlioz, aux leitmotives de Liszt (qui s’en inspira), aux variations virtuoses de Massine (qui l’utilisa dans sa version chorégraphique du Tricorne) et, bien sûr, à cette autre danse de possédés qu’est la Tarentelle – il faut dire que le bandurria soprano a une sonorité métallique et un trémolo qui rappellent la mandoline.

La tentative de fusion entre le Flamenco et la Jota n’est pas du tout évidente, pas vraiment convaincante – ce sont des choses qui arrivent ! – mais ce n’est pas plus grave que cela. La perfection de la danse et le sens rythmique de Miguel Ángel Berna – sa science des castagnettes, en particulier – ne lui permettent pas d’absorber le flamenco, de le christianiser ou de le jotiser totalement – alors que l’inverse semble possible –, n’empêche ! les deux formes cohabitent, dialoguent, offrent en alternance leurs richesses aux spectateurs.

Photo : Nicolas Villodre

L’émotion du flamenco arrive là où on l’attend le moins – c’est même ainsi qu’on définit le duende. Celle que déclenche la Jota est plus calculée, d’ordre psychophysiologique ; son apogée est progressive ; son point de non retour assez symptomatique. Elle est obtenue par des effets de précipité, de crescendo, d’animation du tempo. La voix de la chanteuse, en l’occurrence celle de Lorena Palacios, s’aiguise, se perche, s’ hystérise et se met au diapason du joueur de bandurria, jusqu’à ce point culminant, à chaque fois repoussé par la vivacité de l’interprétation. Les rappels n’étaient pas volés.

Nicolas Villodre





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