De Pérez (Prado) à (Gato) Pérez : la rumba catalane

vendredi 17 octobre 2025 par Claude Worms

On date communément des premiers succès enregistrés en 1963 -1964 par Pedro Pubill Calaf "Peret" (Mataró, 1935 – Barcelone, 2014) la naissance d’un nouveau genre musical, la rumba catalana. Or, si le début des années 1960 marque en effet l’arrivée en force des artistes catalans spécialisés dans le genre rumbero dans les catalogues des labels espagnols, l’adjectif "nouveau" doit être pour le moins relativisé. Comme toujours en matière de musiques populaires, il est issu de métissages anciens et continus.

1] Cuba, Cadix, Séville, Barcelone

L’antécédent cubain de la rumba flamenca, le guaguancó, ne fait aucun doute. Leur base rythmique (clave) possède une signature identique, un couple contretemps / syncope placé sur la dernière double-croche du premier temps et la première du deuxième temps pour une mesure à 2/4 (ou dernière croche du deuxième temps et première du troisième temps en écriture à 4/4).

Comme beaucoup d’autres futurs palos et cantes (guajira, petenera, tango, etc.), la rumba a été importée en Andalousie via Cadix puis Séville. Elle est restée longtemps plus ou moins indistincte d’autres palos dont elle est proche par son rythme et est très rarement enregistrée en tant que telle jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle. Selon le tempo, le contretemps et la syncope plus ou moins marqués et le modèle mélodique, elle peut s’apparenter à la milonga, à la vidalita, à la colombiana (une création de Niño de Marchena), au garrotín ou, surtout, au tanguillo dans sa déclinaison binaire. En témoignent les rares enregistrements dont nous disposons pour la première moitié du XXe siècle : tango-chufla (Garrido de Jerez, 1908), milonga (Manuel Vallejo, 1923 ; Bernardo "el de los Lobitos", 1929), colombiana (Niño de Marchena, 1931). Seule Pastora Pavón "Niña de los Peines" est plus explicite, sous titrant "rumba" un enregistrement de 1918 (en fait une milonga, "Los ojitos negros") et "Sones cubanos flamencos" ("La Mora" et "Madúralo", 1935) des cantes considérés actuellement comme des tangos de Triana. Certains d’entre eux sont inclus dans une suite de cantes intitulée "Recuerdos de La Habana (rumbas flamencas de 1914)" chantés par Pepe "el de la Matrona" (1982). Il les aurait appris lors de son séjour à Cuba entre 1914 et 1917. Ajoutons qu’ils sont pour partie similaires à la milonga attribuée à Pepa de Oro enregistrée par Antonio Chacón en 1913 ("Si llegara a suceder" et "Oye los lamentos, china", sous-titrés "milonga argentina »..."). Bref, dès ses origines il apparaît que la rumba, sous quelque appellation que ce soit, ait été pour le flamenco une modalité rythmique susceptible d’être adaptée à toutes sortes de cantes et de chansons. Il semble que les cantaores gaditans en aient gardé une tradition spécifique proche de celle des tanguillos quant au tempo et à l’accompagnement de guitare — cf. les versions de Pericón de Cádiz, El Beni de Cádiz, Chano Lobato, etc.

Garrido de Jerez / Román García : tango-chufla (1908)

Garrido de Jerez : tango-chufla
El Garrido/Cante por Chuflas (2021)

Manuel Vallejo / Miguel Borrull : milonga (1923)

Manuel Vallejo : milonga
Manuel Vallejo/Obra Completa, Vol. 3 (2011)

Bernardo "el de los Lobitos" / Niño Ricardo : vidalita (1929)

Bernardo "el de los Lobitos" : vidalita
Bernardo el de Los Lobitos/Grandes Clásicos del Cante Flamenco, Vol. 19 : Trío de Ases Sevillanos (2001)

Niño de Marchena / Niño de la Flor / Rafael Nogales : colombiana (1931)

Niño de Marchena : colombiana
Niño de Marchena/Obra Completa en 78 Rpm, Vol. 10 (2014)

Niña de los Peines / Currito "el de la Jeroma" : "Los ojitos negros" (rumba) (1918)

Niña de los Peines : "Los ojitos negros" (rumba)
Niña de los Peines/Registros Sonoros, Vol. 8/13 (2004)

Niña de los Peines / Niño Ricardo : "La Mora" / "Madúralo" (sones cubanos flamencos) (1935)

Niña de los Peines : "La Mora" / "Madúralo" (sones cubanos flamenco)
Niña de los Peines/Obra Completa - The Complete Works (2004)

Pepe de la Matrona / Félix de Utrera : "Recuerdos de La Habana (rumbas flamencas de 1914) (1982)

Pepe de la Matrona : "Recuerdos de La Habana (rumbas flamencas de 1914)"
Pepe De La Matrona/Magna Antología Del Cante Flamenco vol. X (2008)

Pericón de Cádiz / Félix de Utrera : rumba (1971)

Pericón De Cádiz : rumba

Beni de Cádiz / ?  : rumba (1973)

Beni de Cádiz : rumba
Beni de Cadiz/Beni de Cádiz (2015)

El Orelles

Enregistré en 1943 par El Cojo de Huelva, "El cabrerillo ", une chanson pourtant sous-titrée "tanguillo ligero" s’approche nettement de nos rumbas flamencas actuelles, notamment par

l’accompagnement de Manuel Vázquez "Sarasate". On y entend déjà la mixture rasgueados / golpes qui deviendra plus tard le fameux "ventilador" (cf. ci-dessous). Significativement, elle est reprise en 1958 par le duo formé par Lola Flores et son mari Antonio González "el Pescaílla" (un autre créateur putatif de la rumba catalane — Barcelone, 1925 - Madrid, 1999) pour la musique du film "María de la O" et deviendra plus tard "Rumba argelina" dans le premier album du trio Radio Tarifa (1993) dont le programme comporte aussi la milonga « "Oye los lamentos, china". Cet usage de base rythmique applicable à toutes sortes de chansons conçues pour la danse rapproche la rumba de la sevillana, qui connaît elle aussi une vogue rénovatrice au cours des années 1960. Il est donc logique que nombre de spécialistes des sevillanas aient également été de prolifiques interprètes de rumbas, des Hermanos Reyes et autres Marismeños à Romero SanJuan — ce dernier, à notre avis, avec un tout autre talent.

El Cabrerillo / Manuel Vázquez "Sarasate" : "El cabrerillo" (tanguillo ligero) (1943)

Cojo de Huelva : "El cabrerillo" (tanguillo ligero)
Ramón Montoya & Cojo de Huelva

Lola Flores et Antonio González "el Pescaílla" : "El cabrerillo" (1958)

Lola Flores et Antonio González ’El Pescaílla’ : "El Cabrerillo"

Radio Tarifa : "Rumba argelina" (1993)

Radio Tarifa : "Rumba argelina"
Radio Tarifa

Los Hermanos Reyes : "Y el poeta lloró" (1963)

Los Hermanos Reyes : "Y el poeta lloró"

Romero SanJuan : "Sanjuanero" (1984)

Romero SanJuan : "Sanjuanero"
Romero Sanjuan/Manantial De la Belleza (1997)

Ajoutons enfin que dans un des fiefs du cante traditionnel, Utrera, des artistes tels Pepa et Gaspar

de Utrera (1971, en direct du XV Potaje gitano de Utrera, festival emblématique du flamenco roots s’il en est) ou Bambino n’hésitaient pas à inscrire la rumba à leur répertoire. Outre les guitares, ce dernier utilisait force instruments à percussion dès son premier album (1967) dont le programme était équitablement réparti entre canciones por bulería et rumbas flamencas. Des Hermanos Reyes à Bambino, tous étaient accompagnés par des guitaristes usant d’un "presque ventilador", ou plutôt d’un "ventilador andaluz" — rien moins que Pedro Peña pour Pepa et Gaspar de Utrera, et Juan Maya "Marote", Paco Cepero, Paco del Gastor, El Monchi, Enrique Escudero et Paquito Antequera pour le disque de Bambino. Gageons qu’ils ne pensaient pas attenter à leur art pour autant.

Pepa et Gaspar de Utrera / Pedro Peña : fiesta por rumba (1971)

Pepa et Gaspar de Utrera : Fiesta por rumba
Gaspar y Pepa Utrera/Cultura Jonda X. XV Potaje gitano de Utrera en directo (1971) (2009)

Bambino / Juan Maya "Marote", Paco Cepero, Paco del Gastor, El Monchi, Enrique Escudero et Paquito Antequera : "La pared" (1967)

Bambino : "La pared"
Bambino

Pérez Prado

2] Les pionniers de la rumba catalane

Il serait surprenant que les artistes catalans aient totalement ignoré les innovations de leurs collègues andalous — et vice-versa. De fait, la rumba catalane partage avec sa cousine flamenca nombre de caractères communs. Mais elle y ajoute une nouvelle injection de musiques latinas, essentiellement mais pas exclusivement afro-cubaines, et une dose de rock états-unien années 1950-1960.

Pour les mêmes raisons que Madrid, Barcelone est une ville flamenca depuis le dernier tiers du XIXe siècle : émigration économique andalouse et opportunités professionnelles pour les artistes. D’autre part, il est frappant de constater que l’écrasante majorité des rumberos catalans sont gitans, la plupart appartenant à des familles émigrées d’Andalousie (Grenade et Málaga surtout), mais aussi des provinces de Murcia et de Valence. Leur culture musicale était essentiellement flamenca, même si elle différait sans doute de l’ "orthodoxie" de l’axe Séville-Cadix. De fait, le format instrumental des premières rumbas enregistrées par El Pescaílla ou Peret est limité aux guitares et aux palmas et le style vocal analogue à celui des cantaores quant à l’usage des mélismes. Il nous semble donc abusif de distinguer radicalement la rumba catalane du répertoire flamenco.

Les gitans barcelonais appartiennent à deux catégories socio-professionnelles distinctes. D’une part, dans les quartiers de Gràcia, Hostafrancs et el Portal, des familles bien intégrées à la vie économique locales, qui ont su profiter dès le début du XXe siècle de l’intense activité commerciale de la ville et se ont agrégés à la moyenne bourgeoisie. D’autre part, les générations arrivées plus tardivement, reléguées dans des bidonvilles dont le plus célèbre est Somorrostro qui fut détruit en 1966. Ce quartier comptait alors près de vingt mille habitants, majoritairement gitans mais aussi émigrés d’Amérique latine — rappelons que Carmen Amaya et son père, le guitariste Francisco Amaya "el Chino" y sont nés. Ces différences d’origines sociales n’empêchaient évidemment pas les relations entre les uns et les autres, d’autant que les artistes de Somorrostro travaillaient surtout dans le circuit des fêtes familiales (mariages, baptêmes, etc.) et se produisaient éventuellement dans les cabarets du centre-ville.

Carmen Amaya / Paco et José Amaya : rumba (1961)`

Carmen Amaya : rumba
Carmen Amaya/Reina del Embrujo Gitano (2011)

Au cours des années 1960, la timide ouverture de l’Espagne au commerce international provoque un premier essor du tourisme sur la Costa del Sol et surtout la Costa Brava. Avec les touristes, pénètrent en Espagne les deux genres musicaux qui font fureur en Europe et aux États-Unis : le latin jazz, en provenance de Cuba et de Porto Rico via Spanish Harlem, et le rock. Il est intéressant de noter que l’un des spécialistes de la musique afro-cubaine était catalan. Francisco de Asis Javier Cugat Migall de Bru y Deulofeu "Xavier Cugat" (Gérone, 1900 – Barcelone, 1990), avait étudié la musique à Cuba où sa famille avait émigré en 1905 et avait été violoniste dans l’orchestre symphonique de La Havane. Il devient une vedette internationale à partir des années 1940 en composant pour les orchestres qu’il dirige des rumbas, boleros mambos et autres merengues dont les arrangements s’inspirent des modèles établis par Chano Pozo et Dizzy Gillespie. Dámaso Pérez Prado (Matanzas, 1916 – Mexico, 1989), qui peut être considéré comme l’un de ses disciples, œuvre dans le même type de répertoire avec un égal succès. En showman accompli, il y ajoute un jeu et des costumes de scène que n’aurait pas désavoués Cab Calloway. Bien que cubain, il est l’autre modèle des orchestres de danse barcelonais qui animent les cabarets huppés de la ville, assidûment fréquentés par les gitans aisés. Les innombrables tournées européennes des deux artistes passent d’ailleurs immanquablement par la capitale catalane. Les musiciens de Somorrostro et ceux de ces orchestres jouant souvent dans les mêmes établissements, il n’est pas trop hasardeux de conjecturer qu’ils se soient livrés à quelques jam-sessions after hours. D’autre part, le port de Barcelone a sans doute été un autre lieu de contacts et d’échanges, y compris musicaux, entre les marins d’outre-Atlantique et les journaliers-dockers locaux. On comprend dès lors pourquoi les rumberos catalans ont rapidement intégré à leur musique des percussions afro-cubaines (bongo, conga, güiro, etc.) et des cuivres, et aient fréquemment adopté une structure antiphonaire pour leurs compositions — "question" du soliste / "réponse" du chœur.

Xavier Cugat : "Merengue flamenco" (1956)

Xavier Cugat : "Merengue flamenco"
Xavier Cugat

Pérez Prado : "Rockambo Baby" (1960)

Pérez Prado : "Rockambo Baby"

Sur ce fond de métissages spontanés entre flamenco et musiques afro-cubaines, l’influence du rock achève de configurer les variantes catalanes de la rumba, jusque dans le look, en particulier

capillaire, de ses pionniers ("banane" et rouflaquettes). D’un point de vue musical, l’usage de la guitare électrique et de la basse en sont un effet direct, ainsi que la formatage couplet / refrain de chansons réduites à deux ou trois minutes. Comme le rock états-unien des années 1950, la rumba catalane s’adresse à un public jeune, friand de nouveautés, et doit s’adapter à ses modes et à ses lieux de consommation musicale — juke boxes, discothèques et surprises-parties (guateques) en plein essor. De ce point de vue, on ne saurait sous-estimer le poids des labels discographiques sur une production déclinée prioritairement en 45 tours singles, plus rarement EPs, compilée postérieurement en 33 tours LPs en cas de succès. Belter, une sorte de Sun Records barcelonais, en est l’exemple le plus frappant : d’abord micro-label confidentiel connu sous l’acronyme SAEF, il devient du jour au lendemain une major espagnole grâce à la rumba et se lance dès lors dans une production industrielle incluant rapidement la copla et le flamenco. La prolifération des concurrents au cours des années 1960, anciennement implantés ou nouveaux venus, montre à quel point le créneau promettait d’être lucratif : Olimpo, Regal/EMI, Odeón, Vergara, Movieplay, etc.

Comme la bulería, la rumba est une base rythmique malléable à laquelle peuvent être adaptées toutes sortes de chansons, quel que soit le genre musical d’origine : "todo se puede meter por

bulería... ou por rumba. Aussi le répertoire comporte-t-il autant de reprises que de compositions originales. Certaines prévisibles, "La bamba" de Ritchie Valens par Peret (1964) ou "Tequila" de The Champs par Juncal (alias Agustín Abellán "Chango") y sus Calistros (1970) par exemple ; d’autres nettement plus improbables, telles "Farewell Angelina" de Bob Dylan par Los Payos ("Adiós Angelina", 1968), "The Mosquito" des trois membres des Doors ayant survécu à Jim Morrison (Robbie Krieger, Ray Manzarek et John Densmore) par Peret ("El mosquito", 1973) ou "Speedy González" de David Hess par Combays (1987). Les compositions originales se différencient peu des standards de la chanson espagnole : tonalités majeures ou mineures avec cadence andalouse à la dominante, mais tout de même quelques harmonisations (accords de sixte et de treizième notamment) issues de la musique afro-cubaine. Outre qu’il s’agit d’un répertoire de chansons et non de suites de cantes, la rumba catalane diffère aussi du cante en ce qu’elle ne nécessite pas de facultés vocales exceptionnelles — ce n’est d’ailleurs pas ce qui est attendu des rumberos, dont les plus talentueux sont par-contre des maîtres du phrasé groovy latino. Il est révélateur que ses trois premiers grands créateurs aient été d’abord des instrumentistes. El Pescaílla et Peret étaient fondamentalement des guitaristes. Issu d’une famille flamenca de longue tradition, le premier exerça son métier dans d’innombrables tablaos et accompagna régulièrement son épouse Lola Flores et Rafael Farina ; le second commença sa carrière comme guitariste du groupe de la bailaora Carmen Salazar Vargas "la Camboria" — ses introductions évoquent souvent ce premier apprentissage (cf. "Vieja guitarra", 1971). S’il n’a pas inventé le "ventilador", Peret l’a porté à un niveau de virtuosité rythmique (souplesse de poignet, légèreté et précision des attaques) qui n’a rien à envier à celle des maîtres de la guitare funk — son couplage à un duo de palmeros (base et contretemps) signe définitivement l’identité de la rumba catalane. Josep María Valentí Guerra "Chacho" (Barcelone, 1940 – Jerez, 2025) étudia le piano à l’école de musique du Liceu et fut le premier à l’introduire dans la rumba. Ses riffs et ses chorus (cf. "Respondo", 1968 ou "Gitana de verde oliva", 1970) ont certainement influencé des pianistes de flamenco-rock et de flamenco-jazz, entre autres Jesús de la Rosa et Chano Domínguez. El Orelles, El Toqui et El Gitanet, trois de leurs aînés parfois considérés comme des précurseurs de la rumba catalane bien qu’ils aient plutôt été des spécialistes du tanguillo et du garrotín de Lleida, étaient aussi des guitaristes. De sorte que nous pourrions définir la rumba catalane comme un genre instrumental avec "voix obligée".

Peret : "La bamba" (1964)

Peret : "La bamba"
Peret/Mis mejores rumbas (2015)

Juncal y sus Calistros : "Tequila" (1970)

Juncal y sus Calistros : "Tequila"
Juncal y sus Calistros (Chango)

Los Payos : "Adiós Angelina" (1968)

Los Payos : "Adiós Angelina"

Antonio González "Pecaílla" : "Levántate" (1966)

Antonio González "Pescaílla" : "Levántate"
Antonio González "El Pescaílla"

Peret : "Vieja guitarra" (1971)

Peret : "Vieja guitarra"
Peret/Peret (1971) (Remasterizado 2025) (2025)

Chacho : "Respondo" (1968)

Chacho : "Respondo"

Chacho : "Gitana de verde oliva" (1968)

Chacho : "Gitana de verde oliva"
Chacho y su Piano

Patriarcas de la Rumba" : "Garrotín de Lleida (2005)

Patriarcas de la Rumba : "Garrotín de Lleida"
Patriarcas de la Rumba/Cosa Nostra (2006)

Les textes des rumbas catalanes sont pour la plupart anodins. Si on les replace dans le contexte

socio-politique du franquisme des années 1960 - 1970, quelques-uns ne sont cependant pas dénués de tout contenu critique, sinon engagé. Il n’est pas non plus indifférent que Peret ait été le premier artiste à chanter des rumbas en catalan ("El mig amic", 1968) et en caló ("Chavi", 1972)

"Si al que le sobra el dinero / tuviese la voluntad de repartir con el pobre / lo que él no puede gastar, / se acabaría la envidia y también la vanidad.

Si el que quiere por derecho / o el que ama de verdad / supiera que a las mujeres se las debe respertar / habría menos baruco y mucha más claridad". ("Si Fulano fuese Mengano", Peret, 1971)

"Yo te conocí muy arruinado, / cantar y cantar y yo estaba pelado. / Hoy podemos ir al mejor hotel / y tiempo no hay de sentarse a comer.

Cuando dientes hay tú no tienes pan / y si ya tienes el pan no hay con qué mascar. / Cuando tiempo hay no queda un real, / y cuando hay dinero en cantidad hay que trabajar.

Yo te conocí y en mi habitación / no existía luz, agua ni colchón / y tenemos hoy una gran mansión / donde nunca estoy disfrutándola yo.

Yo te conocí y anhelaba yo / comprar para ti una televisión. / En casa ya hay tres y no las veo jamás, / rendido yo estoy y me pongo a roncar". ("El pan y los dientes", Chacho, 1971)

"Circulaba por la noche en su coche un ciudadano / proveniente de una fiesta súper de ambiente mundano, / aturdido por la juerga, aplastado en el asiento, / se marchaba así a su casa computado a descansar.

De repente y por sorpresa unos guardias apostados / le ordenaron detenerse y aparcar en un costado. / El control daba con todo, se buscaba a unos maleantes / que habían dado un serio golpe junto allí minutos antes.

A las tres de la mañana nadie cree ni una palabra / a un sujeto mal vestido en un coche destartalado. / Aquí hay gato encerrado dijo un guardia inteligente : / deberemos comprobar quién es usted y en dónde ha estado.

Ese mes y en esos días los vecinos reclamaban / un despliegue policial superior al habitual. /
Mil atracos y secuestros, registros y redadas, / la ciudad era un infierno, se había perdido la calma.

Si hubiera sido de día habría pasado de largo / pero, señores, era de noche y todos los gatos son pardos." ("Todos los gatos son pardos", Gato Pérez, 1979)

Peret : "El mig amic" (1968)

Peret : "El mig amic"
Peret/Peret en Catalá (2001)

Peret : "Chavi" (1972)

Peret : "Chavi"
Peret/Orígenes (2015)

Peret : "Si Fulano fuese Mengano" (1971)

Peret : "Si Fulano fuese Mengano"
Peret/La Salsa De La Rumba (2001)

Chacho : "El pan y los dientes" (1971)

Chacho : "El pan y los dientes"

Gato Pérez : "Todos los gatos son pardos" (1979)

Gato Pérez : "Todos los gatos son pardos"
Gato Perez/Rumbero (2003)

Gato Pérez

3] Années 1970 - 1980

Peret, Chacho et, dans une moindre mesure, El Pescaílla et Chango avaient établi les standards stylistiques de la rumba catalane dès la fin des années 1960. Les artistes postérieurs ne les modifièrent que marginalement et ne connurent pour la plupart qu’une notoriété plus ou moins éphémère. Les seules innovations notables sont liées à des emprunts aux musiques noires états-uniennes — surtout au funk et à ses sous-produits discos — pour la rythmique, le traitement des

chœurs et les arrangements instrumentaux : orgue électronique, guitares électriques avec force pédales d’effets (wah wah, distorsion), basse fuzz, synthétiseurs, etc. Le succès des premières productions de l’école rumbera madrilène du quartier de Caño Roto (Las Grecas, Los Chorbos) n’est sans doute pas étranger à cette évolution, dont la discographie de Juan Castellón Jiménez "el Noy" (Madrid, 1948 – Xirivella, Valencia, 2010) est un bon exemple. Issu d’une famille d’artistes établie dans le quartier de Gràcia, petit-fils du cantaor Juanito Valencia, fils de Juan Castellón Vargas (membre du groupe de flamenco Los cuatro Vargas) et neveu de Dolores Vargas "La Terremoto" aux côtés desquels il fit ses premières armes, d’abord inconditionnel de Pérez Prado et du mambo, il enregistra ses premières rumbas dans un style proche de celui de Peret. Mais il ne tarda pas à adopter un son plus au goût du jour, avec orgue ("La bomba gitana", 1969) ou guitare funky ("Zorongo Rock", 1975) mixés très en avant — non sans revenir périodiquement à ses premières amours ("La mosca", 1973). Redevenu anonyme, il exerça paisiblement le métier de professeur de guitare au Conservatoire Supérieur de Danse de Valence jusqu’à son décès.

L’énigmatique Richart, dont nous ne savons rien sinon qu’il enregistra un EP single en 1971, semble avoir suivi la même tendance — les deux faces méritent le détour, pour leur musique

comme pour leurs titres, "Vive y diviértete" et surtout "Caña en Beat" (!). Formé par deux frères apparentés à Carmen Amaya, José (La Coruña, 1952) et Delfín (Oviedo, 1954), le duo Los Amayas fut révélé par leur version d’un hit de Tito Puente, "Caramelos" (1970). Ils se distinguent de leurs concurrents par des riffs de guitare inspirés du Latin Rock façon Carlos Santana et surtout par un chant à deux voix à l’unisson popularisé au même moment par Las Grecas. La rumba catalane ne pouvait manquer d’une enfant prodige, en l’occurrence Teresa Ximénez Pubill "Teresiya la Niña Gitana" dont la discographie se résume à trois EP Singles parus en 1971 et 1973. Mais la reine incontestée de la rumba catalane reste la très prolifique María Dolores Castellón Vargas "La Terremoto" (Barcelone, 1936 – Valence, 2016), l’une des stars qui assurèrent la fortune du label Belter. N’eût-elle enregistré que l’orientalisant "A-Chi-Li-Pu" (1970) et l’inénarrable "Anana Hip" (1971) qu’elle mériterait de passer à la postérité.

El Noy : "La bomba gitana" (1969)

El Noy : "La bomba gitana"
El Noi

El Noy : "Zorongo Rock" (1975)

El Noy : "Zorongo Rock"
El Noi

El Noy : "La mosca" (1973)

El Noy : "La mosca"
La Mosca

Richart : "Vive y diviértete" (1971)

Richart : "Vive y diviértete"
Richart/Caña Gitana en Beat / Vive y Diviertete (1971)

Richart : "Caña en Beat" (1971)

Richart : "Caña gitana en Beat"
Richard

Los Amaya : "Caramelos" (1970)

Los Amaya : "Caramelos"
Los Amaya y su combo gitano/Éxitos de 1970. Artistas Originales (2015)

Los Amaya : "El jala, jala" (1971)

Los Amaya : "El jala, jala"
Los Amaya/Grandes Exitos 1969-1976 (2013)

Los Amaya : "Zapatero remendón" (1971)

Los Amaya : "Zapatero remendón"

Teresiya "la Niña Gitana" : "Antón Pirulero" (1971)

Teresiya "la Niña Gitana" : "Antón Pirulero"
TERESiYA (La Niña Gitana)

Dolores Vargas "la Terremoto" : "A-Ci-Li-Pu" (1970)

Dolores Vargas "la Terremoto" : "A-Chi-Li-Pu"

Dolores Vargas "la Terremoto" : "Anana Hip" (1971)

Dolores Vargas "la Terremoto" : "Anana Hip"

La rumba catalane des années 1980 est encore moins inventive, stylistiquement partagée entre son de Caño Roto (Combays) et orthodoxie (Estrellas de Gràcia et Piel Morena, dont "Bamboleo"

fit toutefois le tour du monde avec les Gipsy Kings). Mais son âge d’or s’achève sur l’œuvre d’un remarquable auteur-compositeur-interprète, Xavier Patricio Pérez Álvarez "Gato Pérez" (Buenos Aires, 1951 – Caldes de Monbui, Barcelone, 1990). D’abord musicien de rock en Argentine puis à Barcelone où sa famille s’établit en 1966, il est introduit dans les circuits rumberos par Agustín "Chango" Abellán. Ses quatre premiers albums produits entre 1978 et 1982 ("Carabruta", "Romesco", "Atalaya" et "Flayres de Barcelunya") démontrent qu’il aurait pu totalement renouveler le genre s’il n’était mort prématurément. La qualité des compositions et des arrangements, comme ses interprétations distanciées, le rapprochent de Kiko Veneno, catalan de naissance mais sévillan d’adoption. Comme ceux de ce dernier, ses textes sont de savoureuses tranches de vie qui n’en abordent pas moins les problèmes du moment : violence policière ("Todos los gatos son pardos", cf. ci-dessus), racisme envers les gitans et les immigrés ("Gitanitos y morenos", 1982), drogue ("El chocolate de Marcelino", 1981), etc.

Combays : "Speedy González" (1987)

Combays : "Speedy González"
Combays/Por derecho (2012)

Estrellas de Gràcia : "Rumba cali" (1988)

Estrellas de Gracià : "Rumba cali"
Estrellas De Gracia/Sangre (2009)

Piel morena : "Bamboleo" (1988)

Piel morena : "Bamboleo"
Piel Morena/Bamboleo (1988)

Gato Pérez : "El chocolate de Marcelino" (1981)

Gato Pérez : "El chocolate de Marcelino"
Gato Perez/Rumbero (2003)

Gato Pérez : "Gitanitos y morenos" (1982)

Gato Pérez : "Gitanitos y morenos"
Gato Perez/Atalaya (1981)

Thierry "Titi" Robin et Farid "Roberto" Saadna

Épilogue

Tekameli : "Mis hermanos" (1994)

Tekameli : "Mis hermanos"
Tekameli/Religious Gypsy Songs (1994)

Tekameli" : 3escolteu" (2008)

Tekameli : "Escolteu"
Tekameli/Escolteu (2021)

Thierry "Titi" Robin et Els Rumberos Catalans : "Rumba malakatu" (2002)

Titi Robin et Els Rumberos Catalans : "Rumba malakatu"
Titi Robin

Thierry "Titi" Robin et Farid "Roberto" Saadna : "An sumia" (2000)

Titi Robin et Roberto Saadna : "An sumia"
Titi Robin

Manitas de Plata : rumba (1971)

Manitas de Plata : rumba
Manitas De Plata/Flamenco (1971)

Los Baliardos (José Reyes, Hippolyte et Manero Baliardo, Ricardo Bissaro) : "De Santana" (avec insert d’un fandango abandolao) (1968)

Los Baliardos : "De Santana"
Los Baliardos

Gipsy Kings : "Soy" (1989)

Gipsy Kings : "Soy"
Gipsy Kings

Alors que la créativité de la rumba catalane s’étiole progressivement au sud des Pyrénées au cours des années 1980, elle perdure au nord parce qu’elle y devient un marqueur majeur de la culture gitane — à l’ouest dans la région de Perpignan, à l’est dans celles de Nîmes et Montpellier et en Camargue. Pour cette raison, le style des rumberos de la côte méditerranéenne française est marqué par un certain "purisme" et privilégie le retour aux sources du format chant / guitares / palmas. Cependant, deux tendances innovantes se sont développées à Perpignan. Le groupe Tekameli fait œuvre originale par des arrangements à plusieurs voix inédits dans ce domaine, sans doute parce qu’il entend utiliser la rumba en tant que musique religieuse — cf. "Chants religieux gitans (Gypsy Gospels from Perpignan)", 1994 et "Escolteu (Chants Sacrés Gitans)", 2008. Le duo formé par Thierry "Titi" Robin (guitare et bouzouki) et Farid "Roberto" Saadna (chant et guitare) expérimente des métissages avec des musiques de tradition orale méditerranéennes, notamment maghrébines.

Les rumberos camarguais, nîmois et montpelliérains sont plus enclins au conservatisme parce qu’il s’agit fondamentalement d’une affaire de familles. Issu d’une famille catalane, le fondateur de cette tradition est évidemment le guitariste Ricardo Baliardo "Manitas de Plata" (Sète, 1921 – Montpellier, 2014). Il se produisait régulièrement avec son père (Moro), son frère (Hippolyte) et son cousin, le chanteur et guitariste José Reyes. Depuis et jusqu’aux Gipsy Kings, la plupart des musiciens des groupes de rumba les plus importants de la région appartiennent à l’une et/ou l’autre de ces deux dynasties.

Claude Worms


Garrido de Jerez : tango-chufla
Manuel Vallejo : milonga
Bernardo "el de los Lobitos" : vidalita
Niño de Marchena : colombiana
Niña de los Peines : "Los ojitos negros" (rumba)
Niña de los Peines : "La Mora" / "Madúralo" (sones cubanos flamenco)
Pepe de la Matrona : "Recuerdos de La Habana (rumbas flamencas de 1914)"
Pericón De Cádiz : rumba
Beni de Cádiz : rumba
Cojo de Huelva : "El cabrerillo" (tanguillo ligero)
Lola Flores et Antonio González ’El Pescaílla’ : "El Cabrerillo"
Radio Tarifa : "Rumba argelina"
Los Hermanos Reyes : "Y el poeta lloró"
Romero SanJuan : "Sanjuanero"
Pepa et Gaspar de Utrera : Fiesta por rumba
Bambino : "La pared"
Pérez Prado : "Rockambo Baby"
Xavier Cugat : "Merengue flamenco"
Carmen Amaya : rumba
Peret : "La bamba"
Juncal y sus Calistros : "Tequila"
Los Payos : "Adiós Angelina"
Antonio González "Pescaílla" : "Levántate"
Peret : "Vieja guitarra"
Chacho : "Respondo"
Chacho : "Gitana de verde oliva"
Patriarcas de la Rumba : "Garrotín de Lleida"
Peret : "El mig amic"
Peret : "Chavi"
Peret : "Si Fulano fuese Mengano"
Chacho : "El pan y los dientes"
Gato Pérez : "Todos los gatos son pardos"
El Noy : "La bomba gitana"
El Noy : "Zorongo Rock"
El Noy : "La mosca"
Richart : "Vive y diviértete"
Richart : "Caña gitana en Beat"
Los Amaya : "Caramelos"
Los Amaya : "El jala, jala"
Los Amaya : "Zapatero remendón"
Teresiya "la Niña Gitana" : "Antón Pirulero"
Dolores Vargas "la Terremoto" : "A-Chi-Li-Pu"
Dolores Vargas "la Terremoto" : "Anana Hip"
Combays : "Speedy González"
Estrellas de Gracià : "Rumba cali"
Piel morena : "Bamboleo"
Gato Pérez : "El chocolate de Marcelino"
Gato Pérez : "Gitanitos y morenos"
Tekameli : "Mis hermanos"
Tekameli : "Escolteu"
Titi Robin et Els Rumberos Catalans : "Rumba malakatu"
Titi Robin et Roberto Saadna : "An sumia"
Manitas de Plata : rumba
Los Baliardos : "De Santana"
Gipsy Kings : "Soy"




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